J’aime bien Cellou Dalein Diallo. La première raison de cet amour réside curieusement dans celle pour laquelle de nombreuses personnes – à tort certainement – le combattent. Mon premier amour est donc par défaut, d’autant plus que je n’ai connu véritablement l’homme que très tardivement, des années après qu’il ait été démis de ses fonctions de Premier Ministre. Tout ce que je sais de cette période et celle d’avant procède essentiellement du discernement, de la confrontation des acteurs clés, des témoignages aussi disparates qui abondent aujourd’hui.

C’est donc vrai, je l’aime tout d’abord parce que certains le « rejettent » sous le prétexte de son appartenance ethnique, et moi je voudrais défier cela. Il est peulh, et alors ? Je n’ai jamais compris que l’ethnie soit un facteur d’exclusion. À ce rythme d’ailleurs, nous risquerons surtout – si ce n’est pas d’ailleurs fait – de condamner les minorités ethniques. Je trouve toutes ces considérations portées sur l’ethnie ou les croyances religieuses plus ou moins irrationnelles. Aussi, j’aime bien sa façon de parler, d’être démonstratif – quoiqu’il ait quitté la gestion des affaires publiques depuis bien longtemps. Il lui arrive très rarement de ne pas vous convaincre dans une interview ou un débat. Il a tellement d’expériences dans les hautes fonctions d’Etat, et c’est un bel homme.

J’ai quelques amis qui doivent bien se gratter la tête en lisant cette déclaration d’amour, non pas qu’elle ne fut, mais parce qu’elle a toujours été là et toujours aussi vraie. Combien de mépris, d’injures, de condescendances n’ai-je pas encaissés pour l’avoir dit et réitéré ? À la vérité, mon amour est si grand pour l’homme que je n’ai jamais pu digérer le moindre de ses pataquès. Ne dit-on pas que celui aime bien châtie bien ?

À mes yeux donc, Cellou Dalein Diallo n’a pu que remplir – probablement disons – que les conditions d’un vote utile, mais jamais celui d’UN VOTE DE RUPTURE. Même s’il lui est fait le reproche de mener la politique exactement comme ceux dont il combat, et en s’en tenant uniquement aux résultats antérieurs,  » l’ambassadeur du néolibéralisme  » reste pour l’heure le plus proche de Sékhoutoureya parmi les candidats potentiels des présidentielles prochaines. Indépendamment même de son passé dans la gestion des affaires publiques qui reste pour le moins, non seulement un véritable débat, mais également un autre de passions – j’ai aussi envie de dire que Cellou Dalein Diallo a un véritable problème avec les principes et valeurs qu’il proclame. De tous les temps à la tête de l’UFDG, il a toujours eu cette « propension » à jouer dans la Realpolitik.

Encore une fois, c’est peut-être le lieu de rappeler – pour les besoins de la contradiction – que toutes les luttes politiques ne sont guère démocratiques et que toute opposition ne l’est pas aussi systématiquement. C’est en tout cas ce que nous enseigne cette dernière décennie politique, au regard même de toutes nos innombrables désillusions. C’est peu de dire qu’autant le régime d’Alpha Condé a déçu – et que même confronté à la « colère populaire »jusqu’au bout – autant son opposition n’a pas su suffisamment convaincre. Dans le spectacle politique au compte duquel les uns et les autres ont joué des rôles des plus comiques aux plus cyniques, derrière les rideaux, c’est à peine qu’on puisse faire la distinction entre les gentils et les mauvais…

Et pour cause, Cellou Dalein Diallo, lui, comme tous les autres ou presque se sont accommodés à la politique du pouvoir en place, bien sûr quand cela pouvait servir leurs intérêts. On nous sermonnait à ces occasions – comme par enchantement – l’esprit républicain retrouvé. Et comme ils pouvaient s’en douter, personne n’y a cru. Personne d’aussi politiquement éveillé. C’est ainsi qu’on peut rafraîchir les mémoires sur les fameux accords politiques que nul n’ait pu respecter. Des allers-retours dans la girouette politique. Oui, de Sidya Touré qui est devenu entre-temps le Haut représentant du Chef de l’Etat. De Papa Koly Kourouma, de Lansana Kouyaté qui s’est « absenté », de l’inimitable Alhussein Makanera Kaké, de Tibou Kamara etc.

Par dessus tout, l’opposition guinéenne n’a pas su rassurer. Elle n’a pas su mettre d’accord les guinéens sur la démarche à suivre, encore moins sur les buts à atteindre, parce que ses revendications « strictement politiques » l’ont porté hors-sol des revendications sociales, des « préoccupations réelles » des populations. L’opposition guinéenne a ainsi brillé par ses contradictions plutôt que les raisons « irrésistibles » qui devaient lui permettre de fédérer, de faire bloc au despotisme d’Etat dont elle n’était pas finalement si étrangère. On peut se faire toute une littérature sur les causes en réalité de l’échec de notre classe politique en général, pour autant, nous en reviendrons au même résultat : elle n’a pas su relever ses défis, et même à plus de 80 ans, Alpha Condé a eu son troisième mandat !

La Guinée est un pays très riche. Mais sa « pauvreté actuelle » a été organisée par un système : une élite politique et intellectuelle au service d’intérêts étrangers, d’intérêts occultes. Notre élite politico intellectuelle qui se conforte dans son propre bourgeoisement plutôt que de s’interroger sur les véritables questions de notre société, de notre devenir commun. Mais à quel moment allons-nous comprendre que c’est bien pour la Guinée qu’il faut se battre ? Qu’un autre avenir est possible, contrairement à la misère, à la pauvreté extrême, au chômage endémique, à cette descente aux enfers qu’on nous promet ?

C’est pourquoi il serait plus lucide d’aborder – une fois n’est pas coutume – nos problèmes sociopolitiques de façon holistique, de sorte à éviter – au regret de ce qui est bien courant chez nous – de faire des approches atomistiques, consistant à détacher les problèmes, les causes de leurs effets. C’est-à-dire d’interroger individuellement et collectivement la portée de chaque action, les pour et les contre, les raisons avancées, supposées et celles qui se taisent. Mais serait-ce plus étonnant qu’on nous remette les mêmes scénarios aujourd’hui ? Je ne crois pas une seconde.

Les noces sont déjà annoncées par Alpha Condé. Décidément, l’animal politique qui sommeille au seul – et potentiellement le dernier – champion du RPG s’est mis à agiter. Ce vieillard auquel nous n’attendions que la sagesse de l’âge ! Mais comme à l’accoutumée, il ne compte pas faire la passe si facilement, surtout pas à l’avantage d’une succession au sein de sa formation politique. Mieux, il veut être « l’instrument politique » qui consistera à adouber le prochain Président des guinéens. Il tâte le terrain. Il flaire, tout en fleurant çà et là. On me pardonnera donc de dire qu’il reste tout de même difficile de croire en ce que le projet consisterait à un retour d’un octogénaire au pouvoir.

Alors, dans ce qui paraît désormais comme un éternel recommencement ou que dis-je de reniement infernal des questions de principe, Cellou Dalein Diallo et son parti reprennent le chemin d’un mélange touffu, pour espérer ménager les autorités de la transition. On parle de manifestations de « forces vives ». Au même moment, comme un jeu de dupes, ces mêmes entités continuent de siéger – au calme – au CNT, Conseil National de Transition. Il paraît à ce titre, comme on a bien pu le deviner, que le RPG et son Président « éternel » ne posent plus aucun problème ni à L’UFDG, ni au FNDC. Ce dernier ayant justement au bout des lèvres, repris les revendications des anciens dignitaires du régime déchu – encore sous les verrous.

De ce mariage incestueux, indépendamment même des résultats « attendus » de ces manifestations annoncées, Cellou Dalein Diallo continue de réaliser des impairs majestueux. À quel moment il lui est arrivé d’espérer un autre résultat en partant des mêmes procédés ? Aussi, réalise-t-il – suffisamment – que son avenir politique se jouera en Guinée et que sa présence – même si cela induit pour lui de porter la croix – est nécessaire quant à la réalisation de ses ambitions politiques ? Si au bout du compte, Cellou Dalein Diallo entend être le prochain Président des guinéens, ne serait-il pas plus « pragmatique » – au même titre qu’il appelle ses militants au courage, à la résilience, d’en faire autant ? Rentrer au pays et construire son destin auquel nombreux de ses compatriotes continuent de croire serait à ce point trop attendre de lui ?

A la vérité, Cellou Dalein Diallo n’est pas un homme aussi ferme. Il est naïf, très influençable, très manipulable. C’est aussi un peureux, un fuyard etc. Ce sont des qualificatifs qui reviennent très souvent et qui ne me semblent pas totalement gratuits. De plus en plus de personnes sont d’accord avec cela. Cellou Dalein Diallo peut-il donc faire mieux que les autres ? Peut-il malgré tout nous surprendre ? Je réponds tout juste qu’il a l’occasion – encore une fois – de se surpasser, de se réinventer. Mais les interrogations sont si nombreuses face aux réponses qui se font prier.

Tant nous savons depuis toujours que la première des luttes est bien celle de la « volonté de justice, volonté de souveraineté, volonté d’autodétermination, volonté de cessation définitive et totale de la néocolonisation [sous toutes ses formes] », de questionner par la même occasion à la fois nos alliances et positions géopolitiques comme géostratégiques. Nous n’ignorons pas de cet fait les contradictions internes qui sont – en réalité et depuis très longtemps – entretenus par des politiques en manque d’ambitions réelles pour le devenir de la Guinée.

Je veux dire que je n’attends rien ni de surprenant ni d’extraordinaire de Cellou Dalein Diallo. J’en espérais rien qui ne soit de mon propre constat, ai-je toujours soutenu. Nous connaissons ses positions très libérales, ses accointances dans les capitales occidentales, ses compagnons les plus fidèles, de ses militants les plus à même de porter ses idées, son programme politique. Nous savons également qu’il n’est pas tout près du chemin du panafricanisme. Dans le fond, il est très difficile de nous convaincre sur une quelconque rupture qu’il serait en mesure d’apporter. Mais si malgré tout, le destin faisait de Cellou Dalein Diallo le prochain Président de la République, je serais parmi les premiers – probablement parmi ces nombreux anonymes – à le féliciter et le souhaiter mes vœux sincères de réussite. J’aiderais aussi si cela est possible, ou je le combattrais si cette nécessité s’impose.

Par Ali CAMARA