Dans  » Un miroir comme cadeau pour la Guinée « , publié sur KALENEWS, le 09 janvier 2022, nous écrivons déjà ceci :

[ Si l’ethnie du Président de la République importe jusque-là, c’est que depuis plus de 60 ans, le pouvoir politique est toujours considéré comme un bien privé, ou tout simplement une appropriation clanique dans laquelle chaque président qui arrive fait du pouvoir une acquisition politico-ethnique ( pour son parti et son ethnie ). C’est donc le partage des richesses le nœud du problème, sans pour autant occulter la criminalisation – de tous les temps en Guinée – de la contestation politique qui radicalise très souvent l’Opposition, l’égocentrisme ethnique, cet esprit de « suprématie » des uns sur les autres.

Comment s’étonner si « chaque ethnie veut coûte que coûte avoir le pouvoir » ? Cette peur de l’autre que cela suscite ne peut être résolue que par un pouvoir qui parviendrait à un partage équitable des richesses, rompre avec cette pratique qui consiste à privilégier son ethnie ou son parti dans les nominations et les projets de développement. Il faudrait tenir compte des compétences et des besoins réels de chaque territoire national, éviter ces politiques sectorielles dont les seules motivations sont électoralistes. Quand on aura réussi à bon escient le partage des richesses, l’appartenance ethnique d’un Président de la République aura peu ou prou de l’influence en Guinée. ]

Nous sommes ici d’accord que Monénembo ne nous apprend rien, du moins qu’il nous répète. L’Etat guinéen s’est compromis. Le mérite a eu son deuil bien avant sa maturité. Mais il ne faudrait pas systématiquement confondre l’Etat, et comme cette expression de chez moi, « au crâne du chef », à la personne du Chef de l’Etat. Dans un pays où même les députés sont élus par le « seul » critère ethnique, il est faux de tenir une seule personne responsable.

Mais ce qui est extraordinaire chez Tierno, comme je l’avais déjà révélé, c’est son manque de nuance qui, même quand il dit vrai, il ne peut s’empêcher de tordre le reste, et en digne sékouphobe, il a tout trouvé, le seul responsable des échecs de ce pays, c’est Sékou Touré et personne d’autre ; en sorte que s’il se met à énumérer quelques noms, ce n’est que pour se donner bonne conscience. Constamment dans la logique de mettre les ethnies contre les autres, il ne décrit pas le phénomène politique tout simplement, il en a comme d’autres desseins, et son analyse en souffre quant aux conclusions controuvées par lesquelles il croit pouvoir s’illuminer.

Tenez-vous bien.

S’il est vrai que nos sociétés africaines traditionnelles n’ont jamais connu le tribalisme comme il se déploie sous nos yeux, ce que Monénembo ne dit pas, c’est le fait que le tribalisme n’est pas l’œuvre de Sékou Touré, bien au contraire, il fustige un homme dont le parcours politique suffit à discréditer ses théories. Il se tait à mentionner qu’il s’agit d’un héritage colonial, poussé par l’envie vorace de domination, du mercantilisme « du pirate » et « de l’aventurier » – pour parler comme Césaire – dont il aurait fallu un miracle pour le faire disparaître sitôt après l’indépendance. Malgré la suppression des chefferies traditionnelles – qui ont accentué le repli ou le rejet ethnique, sans oublier leur implication dans l’état colonial, aujourd’hui encore, les guinéens sont ceux-là mêmes qui s’emploient à la pérennisation des coordinations régionales, héritières de cette dynamique d’esprit grégaire ethnicisé, des organisations à caractère et à but ethniques qui foisonnent au moment où leur unité est plus que jamais entamée.

Monénembo évoque 1967 sur un épisode singulier qu’il se précipite de généraliser, et il évoquait avant cela la guerre que Sékou Touré aurait déclaré aux peuls. D’autres de sa suite disent qu’il aurait même dit « complot peul ». Or, de 1958 à 1984, tous les discours de Sékou Touré sont transcris dans le journal Horoya. Qu’on veuille bien nous sortir un seul numéro de ce journal où Sékou Touré déclare ses propos. Mais hélas, il s’agit à la fois d’un raisonnement inductif et de récits qui ne sont en réalité que des ramassés de mensonges dont nous savons depuis longtemps que l’instigateur n’était personne d’autre que Siradio Diallo. Cette histoire est bien connue. Ce que Monénembo ne dit pas aussi, c’est que Saifoulaye Diallo était le Président de l’Assemblée nationale de 1958 à 1963, date à partir de laquelle il est entré dans le gouvernement d’où il occupa différents ministères. De 1964 à 1972, Telli Diallo était le Secrétaire général de l’OUA, et nulle part il n’interpelle la communauté africaine ou internationale sur une quelconque persécution ethnique en Guinée.

C’est donc un secret de polichinelle que c’est par l’entremise des politiciens – dans leur ambition irréductible du pouvoir, à défaut de provoquer des paradigmes consistant à unir du fait même de leur propre trivialité, leur propre contradiction ontologique ou presque – que l’ethnie en est devenue leur ultime capital politique.

Mais Sékou Touré était bien en guerre et le constat est l’insistance que celle-ci n’a jamais eu de trêve. Malgré lui, la guerre est inévitable, contre ceux qui devraient perdre leurs privilèges indûs de la colonisation, tous ces chefs de canton et leurs suppôts, tous ces instituteurs zélés, complaisants et complexés devant le colon, et la orde de leurs successeurs auxquels on a inventé des histoires de toutes pièces pour protéger l’honneur des siens ; à qui ont a menti pour perpétuer cet éternel combat de l’égo et de la quantité.

Des témoins oculaires ont déjà témoigné avant de tirer leur révérence, et il en existe – heureusement – encore pour ne pas désespérer. On pourrait prendre le doyen Biro Kanté, Madifin Diané et bien d’autres acteurs plus proches des arcanes politico-administratives.

Mais si les politiciens arrivent toujours à nous diviser. Si nos intellectuels ne se donneraient pour seules préoccupations que de taire les vérités d’aujourd’hui pour se cacher dans le passé, Tierno est un de ces intellectuels dont le discours ne fédère pas. Il lance ses tribunes à l’air, sans se soucier de leur réception. Il croit combattre l’ethnocentrisme, pourtant son discours le cristallise. Mais nous autres, sommes-nous pour autant des innocents ? Si les tribunes de Monénembo font des échos, au-delà de la prééminence de l’écrivain qu’il convient par ailleurs de saluer, ce n’est nécessairement pas pour leur pertinence qui est discutable, mais justement par ce que inconsciemment ou non, nous aimons cet état de fait, de nous mettre dos à dos. Tierno ne cultive ainsi que sur un terrain fertile !

Aujourd’hui même nos partis politiques sont ethniques, pour l’écrasante majorité. Le combat politique est tribal. Nous sommes en plein dans le nombrilisme sur toutes les questions. La bipolarisation de notre société, avec les extrêmes, pour ou contre. Mais Tierno n’en sait rien. Il vit reclus dans un passé dont lui seul est le témoin, tandis qu’il aurait fallu qu’il s’en inspira pour nous aider à vivre le présent et se pouvoir plus sereinement à l’avenir.

Par Ali CAMARA