L’affaire Sonko est décidément une série qui promet des épisodes inattendus. Pour peu que vaille le suspense des évènements à venir, s’il est difficile de le cerner en toute exactitude, il en moins quant l’appréhender, de sorte qu’il nous soit possible d’envisager des hypothèses dont l’analyse politique peut laisser entrevoir.

Il est clair que Macky Sall ne peut pas être candidat en 2024. Au nom du droit et pour ce que valent la parole et le serment d’un homme politique, pour avoir lui-même combattu Abdoulaye Wade pour les mêmes velléités. Mais connaissant – déjà – la position du juge constitutionnel sénégalais depuis la candidature controversée d’Abdoulaye pour la même cause, Macky Sall sera candidat, du moins si le juge sénégalais entend confirmer cette malheureuse jurisprudence contre vents et marées, comme dans tous ces pays africains où des intellectuels de salon, déconnectés de la posture d’hommes d’Etat continuent de prendre en otage l’appareil d’Etat.

Même si le scénario d’exclusion de Sonko par Macky Sall pour imposer un dauphin malléable à ses goûts semble être très difficile, compte tenu de l’unanimité ou presque que dégage Sonko, notamment auprès de la jeunesse, quoiqu’il en soit, le doute persistant réside dans le fait que visiblement, les grands maîtres mourides, de la principale confrérie soufie du Sénégal ne semble pas soutenir de trop ce dernier.

Mais pour l’heure, Macky Sall prépare le terrain. En bon animal politique, et comme dans un jeu de carte où l’on perd la main, il joue la tactique du « double ou quitte ». Cela aussi n’est pas sans compter la détermination du camp Sonko. Alors qu’il a tout misé, soit il gagne tout ( le troisième mandat et l’emprisonnement de son principal opposant ), soit il perd tout ( le troisième mandat et sa sortie par la grande porte ). Seules la nature et l’intensité des mobilisations et pressions politiques des sénégalais et de leur diaspora détermineront l’issue de ce bras de fer assez risqué.

C’est ainsi que le risque d’une insurrection populaire et d’un coup d’état – une fois n’est pas coutume – n’est pas à exclure.

Le Sénégal reste – quoiqu’on dise – un pays très influencé par les religieux qui sont par ailleurs très écoutés. Il est donc naturel que ceux-ci appellent à l’accalmie et à la fin des poursuites judiciaires contre Ousmane Sonko, afin de permettre des présidentielles en 2024 en toute sérénité.

Mais puisqu’il faut dire les choses comme elles se présentent, Macky Sall sait qu’il n’a aucune chance contre Sonko dans les urnes, du moins c’est ce que la mobilisation sans commune mesure de l’écrasante majorité des sénégalais semble dessiner. C’est dire également que s’il arrête « l’acharnement judiciaire » et permet la candidature de Sonko, il est fort probable que ce dernier n’accepte jamais des résultats où il serait perdant, parce que déjà convaincu qu’il l’emporterait. Cela revient à dire que si Macky Sall accepte de remettre Ousmane Sonko dans la course, ce serait avec la condition d’oublier son troisième mandat.

Or, nous savons qu’en l’état actuel, où la France sent ses intérêts davantage menacés au Sénégal, une telle décision de Macky Sall, pour celui qui sait sa vassalité avec la France, est à exclure.

Par conséquent, quelque soit l’appel des religieux, toutes les initiatives en faveur de la fin des hostilités, la probabilité que Macky Sall abandonne est très mince, tout comme on peut s’attendre à ce que les partisans de Sonko intensifient leur « résistance ». La conséquence d’un tel scénario de jusqu’au-boutisme de part et d’autre ne peut être q’insurrection populaire ou coup d’état militaire.

Il est vrai que pour le Sénégal, ce scénario peut paraître extrême, pour peu que c’est l’un des derniers pays francophones à ne jamais connaître un tel épisode dans toute son histoire politique. Mais nul n’a le don de maîtriser la suite d’une situation politique aussi tendue et complexe. Nul ne croyait dur comme fer, malgré ces quelques sollicitations à son égard – que l’armée guinéenne allait effectivement renverser Alpha Condé, ce dernier qui en avait d’ailleurs exclu la possibilité en ces termes ou presque : « je peux quitter par toutes les manières au pouvoir, mais jamais par un coup d’état militaire ». Mais le temps lui a donné tort.

L’autre risque – et pas des moindres – qu’il faudrait prendre en compte, c’est celui de réveiller le maquis de La Casamance avec les anciens sécessionnistes qui ont déposé les armes depuis et qui, pour beaucoup d’observateurs sont des fervents soutiens de Sonko.

Aujourd’hui, pendant qu’il est encore, n’est-il pas le lieu d’interpeller davantage le juge constitutionnel sénégalais et lui mettre devant ses responsabilités devant cette page d’histoire qui s’écrit dans la douleur et le danger ? Pendant qu’il est encore temps, il a la clé du problème et la solution : Macky Sall ne doit pas être candidat en 2024. Nous laissons ainsi le soin au juge judiciaire de rétablir Sonko dans ses droits.

Enfin, et comme j’ai dû l’écrire dans ma conclusion sur « Ce que je pense de l’alternance politique », parce qu’  » aucun homme, quel qu’il soit ne devrait « s’éterniser » au pouvoir. Si l’on est incapable de préparer des générations à suivre notre chemin et passer le flambeau, c’est qu’on n’aura rien bâti… Ce qui marque les esprits et qui transcende des siècles, voire des milliers d’années, on l’appelle héritage. Le plus grand héritage d’un homme d’État, la gradeur de celui-ci, ce n’est donc pas de se rendre indispensable. C’est permettre au contraire qu’il ne soit pas le seul et le dernier à porter sa vision. C’est-à-dire préparer la relève et, encore une fois, passer le flambeau. « 

Par Ali CAMARA