Le débat d’orientation constitutionnelle est une belle occasion en ce qu’il nous permet de réitérer des positions déjà affirmées ailleurs. S’il est vrai que nous n’avons aucune certitude que toutes ces contributions seront revues point par point, il a le mérite d’amener le débat citoyen sur un terrain plus concret et de nous pousser, chacun en ce qui le tient à cœur, à exprimer librement nos points de vue. Il peut ainsi être un véritable moyen qui aide à comprendre l’opinion publique pour espérer une constitution qui ferait plus d’adhésion. En cela, il revient au CNT, Conseil national de transition d’en faire bon usage.
Voici pour vous donc ces quelques réflexions :
La constitution : un texte, un esprit et des valeurs
1. Une constitution quelle qu’elle soit ne peut prospérer des vicissitudes politiques que par la valeur et l’engagement des hommes qui sont tenus de la respecter et la faire respecter. C’est dire clairement que la Constitution – dans ses intangibilités ( notamment la durée et le nombre de mandat présidentiel ) – ne peut tenir que par le serment tenu par le Président de la république, premier magistrat ( chargé de l’observer en premier et de la faire observer ) et la Cour constitutionnelle, organe d’État indépendant et autonome ayant pour compétence de protéger la constitutionnalité et la légalité et/ou de contrôler la conformité de la loi avec la Constitution et de tous les règlements et autres textes réglementaires de portée générale avec la Constitution et la loi.
2. Cela étant dit, il convient tout de même de préciser, qu’une constitution doit refléter les réalités d’un pays et l’idéal commun pour son devenir. Le mimétisme constitutionnel en cette matière serait donc dangereux, en ce sens qu’il rend la constitution, de façon ontologique, inopérante.
L’appel à la culture démocratique à tous les niveaux
3. Le constat des partis politiques aujourd’hui en Guinée, à la tête desquels – on a fini par ériger des « roitelets » pour la plupart ne donne pas tant à espérer. Celui qui n’a jamais été – véritablement – un démocrate au sein des partis politiques risque fort bien de ne pas l’être en devenant président de la république. C’est l’une des raisons pour lesquelles j’amène à faire observer nos compatriotes qu’un démocrate ne se décrète pas. Il est donc dangereux d’espérer un démocrate à la tête de la magistrature suprême d’un pays, c’est-à-dire avec tous les pouvoirs, quand celui-ci ne l’a jamais été auparavant.
4. C’est pourquoi, autant qu’il faut réfléchir – aujourd’hui – au tour de ce qu’on a appelé si éloquemment » le débat d’orientation constitutionnelle « , autant qu’il faudrait – davantage – interpeller notre classe politique, nos intellectuels dans leur responsabilité de faire respecter leurs engagements vis-à-vis de ce nouveau contrat qu’on essaie tant bien que mal à nouer. Cela ne suffisant pas, compte tenu bien sûr de « la tendance de celui qui a le pouvoir d’en abuser », les verrous conditionnels doivent être clairs, imparables à toute autre interprétation que les seules lettres de leurs énoncés.
La constitution de 2010 peut-elle servir de référence ?
5. Je trouve – depuis toujours- que la Constitution de 2010, à quelques exceptions près était la meilleure jusque-là. Ses véritables problèmes ont été finalement la possibilité d’interprétations à tous azimuts de ses dispositions intangibles et l’absence de candidatures indépendantes aux législatives et présidentielles. Ces dernières auraient permis de sortir du schéma des partis qui enlisent les crises politiques à cause de leurs éternelles rivalités et de renouveler tant soit peu une classe politique vieillissante et nauséabonde. Mais pour éviter des candidatures fantaisistes et pléthoriques aux élections présidentielles, une autre alternative consisterait à y mettre d’autres exigences comme le parrainage en le prévoyant dans la constitution.
6. C’est une proposition qui a son pesant d’or, d’autant plus qu’elle permettrait d’amoindrir nos inquiétudes face à nos députés qui ont été la plupart du temps des portes-voix de leurs différentes formations politiques. Les candidatures indépendantes sont pour ainsi dire des réponses face à la loyauté aveugle des députés à leurs partis tandis que leur mandat n’est pas impératif.
L’atermoiement des pouvoirs du Président de la République
7. Sans oublier le fait qu’il aurait fallu circonscrire un peu le pouvoir de nomination du Président de la république qui nomme à tous les postes civils, militaires et paramilitaires. À ce rythme, c’était bien un pharaon constitutionnel.
8. Un président qui nomme à tous les postes est un monarque. Le danger est à la fois la lenteur des prises de décision, le culte de sa personne et l’inefficacité de rendement. C’est pourquoi d’ailleurs, il faudrait laisser la marge par exemple à un Premier de choisir ses plus proches collaborateurs, aux ministres de choisir leur cabinet et au Ministre de l’intérieur d’organiser effectivement la déconcentration des pouvoirs. Pour cela il nécessite de consacrer le Poste de Premier ministre avec plus de pouvoir réglementaire, d’autant plus que le gouvernement a toujours était responsable devant l’Assemblée Nationale. Autrement, le Président de la République qui tiendrait tout le pouvoir exécutif devrait être responsable devant la présentation nationale. C’est dire qu’il faut trouver un mécanisme qui concentre moins les pouvoirs dans les mains d’une seule personne.
L’option du bi ou tripartisme : une fuite en avant
9. Le multipartisme intégral que d’aucuns accusent à tort est une fuite en avant, d’autant plus que la Charte des partis politiques n’a jamais été respectée rigoureusement. C’est cette dernière dont il nécessite de convoquer. Le bipartisme voulu aujourd’hui par certains acteurs et pas des moindres, tout comme le tripartisme risquerait davantage d’encrer l’ethnicisation des partis politiques entre les deux ou trois grandes communautés ethniques, comme on peut observer – aujourd’hui- la bipolarisation dont le non-respect de la Charte nous a conduit, entre le RPG et l’UFDG.
Limite d’âge pour la candidature aux présidentielles : il faut 65 ans.
10. Il va falloir discuter de la question de limitation d’âge aux différentes élections, notamment présidentielles. Ce débat n’est pas nouveau. Il a fait certes l’objet de retournement en fonction des régimes et des intérêts des uns ou des autres, de sorte que ceux qui l’ont défendue hier soient ceux-là qui la pourfendent aujourd’hui, et vise versa. C’est de bonne guerre. Mais il y a des préoccupations de fond.
11. Dans un premier temps, l’argument contre est celui de la discrimination, de l’âgisme dit-on. C’est-à-dire toutes les formes de discrimination, de ségrégation, de mépris fondées sur l’âge. Si l’on veut une limitation d’âge pour les élections aujourd’hui, il se pourrait qu’on en impose demain pour le vote, pour le permis de conduire et bien de choses. Pourquoi pas ? C’est un véritable danger donc, cette façon de présenter les choses. Aussi, il y a l’argument de l’impossibilité systématique de cause à effet, entre un âge avancé et l’inefficacité des élus. On ne parle pas de ceux dont la maladie ou la vieille poussée empêchent valablement d’exercer leurs fonctions. Ce serait dans ce cas autre chose. Mais le risque n’est pas loin. Même s’il n’est pas exclu d’être jeune et très malade. C’est ainsi qu’on peut démontrer à travers le monde des Présidents très âgés dont l’âge n’a pas affecté l’effectivité de la prise et l’exercice normal de leurs fonctions. C’est d’ailleurs ce deuxième argument qui prévaut pour ceux qui sont contre cette limitation d’âge, sans oublier pour certains d’insister que ce genre d’initiative – pour ce qui est précisément de la Guinée – serait expressément une tentative d’exclure de facto tous les ténors de la vie politique aujourd’hui qui ont – pour les plus en vue – soit près, soit plus de 70 ans. Si ce dernier argument sonne comme une mise en garde, il se heurte cependant au caractère impersonnel des Lois et par extension des dispositions constitutionnelles.
12. Compte tenu de l’espérance de vie de notre société qui est relativement faible ( varie entre 57 à 60 ans ), il faudrait un âge raisonnable de 65 ans maximum. En supposant deux mandats présidentiels, le président aura 75 ans après sa présidence et le temps d’être honoré pour ses résultats ou de faire face à ses responsabilités qui en découlent. Il aurait le temps de faire une autre vie avec les siens et peut-être celui d’écrire ses mémoires, de partager son expérience etc. À un certain âge où on est davantage convaincu de la fin des choses, on est alors sage ou on n’a rien à perdre. Il ne faudrait jamais de vue cela.
13. Néanmoins, concernant la limitation d’âge aux élections présidentielles, ce que nous proposons pourrait être consacré dans les dispositions transitoires pour l’avenir afin que des candidats en vue ne soient exclus. Cela serait dans le seul but d’éviter des crispations politiques nées d’exigences dont l’application immédiate risquerait de léser des situations antérieures qui lui échappent.
Justice : magistrat = responsabilité
14. Pour ce qui est de l’organisation de la justice guinéenne de façon générale, la loi promet l’indépendance au magistrat. C’est à lui de la concrétiser. C’est au magistrat guinéen d’assumer pleinement sa responsabilité. Son indépendance n’est ni un cadeau ni un privilège, c’est la condition même de son existence. Le véritable problème par contre, au regard de notre passé politique récent, c’est celui de la Cour constitutionnelle, dont le mode de désignation et le mandat de ses membres devraient évoluer pour plus de transparence et d’indépendance vis-à-vis de l’Exécutif. Mais il convient – naturellement – d’insister sur l’inamovibilité des magistrats.
Repenser le modèle guinéen de décentralisation
15. Sur le découpage administratif, la décentralisation en Guinée est une utopie parce que les collectivités locales sont << absolument >> inefficaces sur le terrain, financièrement inquiétantes et politiquement liées jusqu’au cou ( tutelle administrative excessive ) et, le coupage administratif qui le sous-tend ne procède d’aucune réalité objective. À la vérité, le découpage administratif en Guinée n’obéit à rien, à aucune réalité si ce n’est tout simplement par la seule volonté politique. Il a d’ailleurs été très souvent sujet de convoitises, de promesses électorales, de chantage et, derrière, aucune volonté de le souscrire dans une approche plus réaliste et plus tournée vers le développement de ses entités. Il y a lieu aujourd’hui de faire davantage l’état des lieux, de revoir le découpage administratif au moment que nous serions en train de discuter sur la refondation politique et le redressement institutionnel, et de faire en sorte que nous ayons une véritable théorie de la décentralisation qui tienne compte de nos réalités, pas une copie collée.
16. Faut-il rappeler que le transfert des ressources doit être effectif en faveur des collectivités, avec la mise en place de la fonction publique locale dont la loi est adoptée mais jusque-là non promulguée. Prévoir également le Haut Conseil des Collectivités Locales, qui disposerait des compétences pour mieux assister les collectivités dans le cadre du développement local.
Le CNT pourrait mieux s’organiser et s’outilleur davantage
17. Puisqu’il s’agit pour nous de réitérer nos positions déjà affirmées ailleurs, il aurait fallu au CNT, Conseil national de transition de créer en son sein, outre les commissions régaliennes ordinaires, notamment défense, affaires étrangères etc, des commissions qui permettent de prendre en charge des questions plus urgentes : la Commission nationale de justice et de réconciliation, la Commission indépendante d’audits financiers, la Commission nationale de réflexion sur le système éducatif guinéen et la Commission sur la gouvernance et les partis politiques. Cette dernière proposition n’est pas exclusive du débat constitutionnel. Il s’agit là de déblayer – davantage – la route au prochain gouvernement du retour à l’ordre constitutionnel. Mais ne dit-on pas qu’il n’est jamais tard pour celui qui veut mieux faire ?
Au moment d’autres ont tendance à s’occuper de choses assez futiles ou de tourner en dérision cette mobilisation citoyenne autour de la nouvelle constitution, c’est le lieu de rappeler la jeunesse guinéenne que c’est au moment de la musique qu’il convient de danser. Et à ceux qui comptent à l’hémicycle ou en dehors de celui-ci réguler la vérité des uns ou des autres, il n’est pas exagéré de leur dire qu’ils se gourent complètement, car la nature du débat est bien la contradiction. Nous devons donc réussir par la cette contradiction positive à faire une Constitution qui fera long feu. Cela ne sera possible qu’en acacceptant de s’élever plus que les implications personnelles et nos positions partisanes. Ces particularismes qui nous amènent sur le terrain glissant de l’ethnocentrisme, les débats de caniveau. Et il est bien de rappeler que c’est en faisant uniquement le choix d’une CONSTITUTION QUI FASSE ÉCOLE POUR LES GÉNÉRATIONS À VENIR – c’est-à-dire une constitution aux allures d’une cité imprenable – que nous aurons réussi de régler définitivement ce problème.
Enfin, ces quelques lignes n’ont pas la prétention d’avoir trouvé les réponses à toutes les questions ; elles ne s’efforcent qu’à apporter quelques briques à disposition pour cette construction nationale. Notre espoir n’est donc pas d’avoir raison – forcément – mais assurément d’être compris.
Par Ali CAMARA