Depuis l’accession des États africains à l’indépendance et à la souveraineté nationale, il fut remarqué que les pays africains n’ont fait que copier et coller les constitutions des anciennes puissances coloniales, reconduire leur système politique et appliquer des remèdes occidentaux aux problèmes africains. Ainsi,pour quoi s’étonner de l’échec du processus démocratique, de la mauvaise gouvernance et ses corollaires, de la paupérisation, des crises sanitaires qui ne sont que le résultat d’un manque de créativité et d’inventivité. 

Qu’il nous soit permis de citer un exemple qui pourrait éclairer notre lanterne sur ce dysfonctionnement que connaissent les pays africains.

Dans un pays de l’Afrique dont nous préférons taire le nom, des experts étrangers se sont rendus dans un village où les populations mourraient en grand nombre en raison d’une maladie dont la nature leur futinconnue. Les experts s’entourèrent des vieux et des jeunes hommes du village en excluant les femmes de la discussion. A la conclusion de la réunion, les experts après consultation décidèrent de construire un grand centre de santé dont les dimensions dépassaient même la population du village. Ainsi, une femme curieuse interpella un expert du groupe puis lui dit : « nous apprécions bien votre décision de construire ce grand centre hospitalier, mais la véritable cause de cette maladie est la rivière qui est infestée de microbes car c’est là où les villageois partent faire leurs besoins naturels ». Dès lors, les experts étrangers réalisèrent que la construction de ce grand centre n’aurait point résolu le problème sanitaire si la femme ne leur avait pas donné la vraie source de la maladie

Cette histoire à elle seule explique le problème de l’Afrique et démontre pourquoi les populations à la base ne doivent point être exclues dans la recherche des solutions à leurs problèmes puisqu’en fait elles sont les vraies expertes. 

Dans le domaine de la résolution des conflits en Afrique, la recherche d’une paix durable requiert d’assurer l’autonomie des africains, de leurs organisations et de leurs sociétés afin de pouvoir non seulement survivre aux crises mais aussi d’en sortir plus forts. 

Pour ce faire, les dirigeants et les organisations régionales et sous régionales doivent repenser leur coopération avec les partenaires internationaux avec pour principes directeurs: (1) la non-imposition de modèle (2) promouvoir l’autonomie africaine et (3)l’appropriation des solutions africaines. 

1. La non-imposition de modèles 

L’Afrique a besoin de se doter de ses propres institutions de médiation et d’un haut niveau de médiation pour favoriser une paix durable et une stabilité à long terme. La raison en est qu’il a été remarqué pendant plusieurs décennies des échecs dans l’identification des médiateurs puisque ceux choisis n’ont pas la connaissance du terrain, des enjeux du conflit et ne connaissent pas les belligérants dans leur fonctionnement psychologique. Pourtant, une bonne identification du médiateur pourrait avoir un effet positif sur la qualité de la médiation et donnerait le ton pour le tournant de la paix. 

C’est dans le même ordre d’idée que Laurine Nathan a proposé une mise en place d’un système d’évaluation des médiateurs. 

2. Promouvoir l’autonomie africaine 

Il est important que les pays africains soient autonomesou en d’autres termes sachent prendre leur destin en main. Il serait naïf de penser que dans un monde où les ressources naturelles se rarifient et font l’objet de convoitise et de positionnements géopolitiques, la solution viendra en dehors de l’Afrique. Les pays et les organisations africains doivent redéfinir les termes de la coopération avec les partenaires internationaux en visant comme des priorités comme l’autosuffisancealimentaire et l’autonomie de leur système de santé, l’industrialisation du continent. Ils ne peuvent atteindre ce but qu’en accompagnant les entreprises locales voulant développer leurs propres solutions, en consolidant et renforçant les institutions capables de fournir des solutions locales à l’autosuffisance alimentaire comme la Banque Africaine de Développement (BAD) et en réfléchissant à des sources de financement africaines innovantes pour renforcer le système sanitaire africain. Les crises de COVID 19 et de la guerre en Ukraine mettent davantage en lumière la vulnérabilité de l’Afrique sur le plan alimentaire et sanitaire.

Par ailleurs, il faut que les pays et les organisations économiques sous régionales encouragent des initiatives sur la bonne gouvernance à travers par exemple la promotion de la transparence des revenus des ressources naturelles et leur redistribution (disputesautour des ressources minières, problèmes fonciers,paupérisation, combattre l’impunité), le respect des institutions et des constitutions. Elles doivent même aller au-delà en prenant des sanctions contre les dirigeants qui violent les dispositions de la loi fondamental en matière électorale pour prévenir les conflits politiques. 

3. L’appropriation des solutions africaines 

Il faut éviter d’importer les solutions non adaptées aux réalités socioculturelles de notre continent ainsi que d’appliquer des recettes qui ne marchent plus même si elles avaient marché auparavant. Nous vivons dans un monde en constante évolution.  

Cela requiert des élites et des intellectuels africains de la créativité, de l’inventivité et l’actualisation des pratiques culturelles pour recréer la confiance brisée avec les populations, en un mot il leur faut inventer la paix. 

Il est important que les populations qui expérimentent ces conflits donnent leur analyse aux experts et leur disent comment ils pourraient construire la paix si l’occasion leur était donné de le faire, la paix doit être recherchée à la base. 

Dans ce processus d’appropriation, il y’a plusieurs solutions locales dont voici quelques-unes : 

Le Mogho Naba est détenteur d’un pouvoir traditionnel au Burkina et une autorité morale qui est toujours consulté pour toutes les décisions importantes y compris en cas de conflit aigu. Généralement, lorsqu’il intervient comme médiateur, il réussit à faire renaître la paix même lorsque le conflit prend une dimension politiqueparce qu’il est respecté par tous. 
Les Bashingantahe du Burundi sont des notables coutumiers chargés de la gestion des conflits. Pour rappel, en 1993, ils se sont interposés entre les protagonistes sauvant de nombreuses vies. 
Les juridictions Gacaca ont été créés en 2001 en sus des tribunaux classiques dans le règlement du contentieux du génocide. Le mot provient de “ umugaca” qui désigne une plante sur laquelle il est doux de s’asseoir pour rétablir l’ordre et l’harmonie. 
Les autorités traditionnelles du territoire de Kongolo, dans la province de Tanganyika, au sud-ouest de la République Démocratique du Congo (RDC) font recours à « l’arbre à palabre » dansce coin du pays pour réparer et restaurer la paix sociale à travers des consultations populaires. Certes chaque fois, c’est un véritable succès. Les experts peuvent actualiser cette solution africaine aux conflits modernes pour enraciner la culture de la paix à long terme.


En
conclusion, en vue d’une véritable appropriation et autonomie africaines, nos pays doivent assurer la paix en amont, en introduisant dans le système éducatif desméthodes et des outils pédagogiques d’éducation des enfants à la paix pour anticiper la paix de demain. 

 

Par Mr Abdoulaye M’Bemba Keita, Diplomate; Expert en Études Internationales

Dans le domaine des Relations Internationales