Deuxième grande ville de la Guinée, Kankan, communément appelée ‘’Nabaya pour son hospitalité légendaire’’, est située le long du fleuve Milo (affluent du fleuve Niger), au nord-est, à 640Km de la capitale Conakry. Relevant de la région naturelle de la Haute-Guinée dont elle est le chef-lieu de la région, Kankan est une ville cosmopolite, de négoce. Les activités agropastorales et de pêches y sont également très développées.
Selon le Président de la Coordination des Sédès (regroupement social par génération) auprès des sages, par ailleurs Conseiller du Soti Kémo (le patriarche) de Kankan, le peuplement de cette ville s’est effectué de façon diverse.
« Il y a d’abord les fondateurs du village de Kankan. Ensuite, il y a eu ce qu’on appelle Nabaya. Le village de Kankan a été fondé en 1690 par Daouda Kaba, fils de Fodé Moudou Kaba, fondateur de Kabalaba. C’est lui qui a fondé Kankan après l’éclatement de Kabalaba en 1680 », confie d’emblée à Guineenews Elhadj Mohamed Lamine Kaba, communément appelé ‘’Ringo’’.
A l’en croire, le fondateur Daouda Kaba (qui est son propre arrière-grand-père), a mis au monde un seul enfant à qui il donne le prénom de son père. Et cet enfant, Fodé Moudou Kaba, à son tour, a mis au monde quatre enfants, dont le premier est Djamo Almamy (ou Mohamed Lamine), Mamoudou Kaba, Souleymane Kaba et Souaré Fodé Kaba, fondateurs des quatre grands quartiers de Kankan qu’on a communément appelés Danani.
Contrairement à l’allusion faite aux portes d’une maison, notre interlocuteur précise que Danani n’a pas trait aux portes ordinaires qu’on ouvrirait à clé. Non! Plutôt, une situation géographique faite par les quatre fils de Fodé Moudou Kaba ou Fodé Töman. Et ces Danani comprennent Timbonda (ou lui-même habite), Salamanida, Banankoroda et Kabada.
Ces différents noms ont des significations historiques également. A titre d’exemple, Elhadj Ringo Kaba rappelle que Timbonda prend sa source à Timbo, dans la préfecture de Mamou, en Moyenne Guinée où Mbemba Alpha Kabinet s’est exilé pour échapper à l’invasion des animistes qui, à l’époque, ne voulaient la prospérité de l’islam dans la zone.
« Il est allé se réfugier et chercher la bénédiction au Fouta pour revenir sept ans après. Donc, il est retourné avec ce nom après avoir été très bien accueilli par Karamoko Ibrahima Sambégou Timbo Barry qui était le patriarche du Fouta à l’époque », rapporte le Conseiller du Sotikèmo de Kankan.
Ensuite, poursuit-il, il y a Kabada, ce nom, c’est en souvenir du tout premier village que les Kaba ont habité à Diafounou et qui s’appelait Kabala. Donc, c’est en souvenir de ce lieu d’habitation qu’on a Kabada à Kankan. Il y a Salamani. C’était le domaine agricole de deux frères : l’un s’appelait Sala et l’autre, Mani. Donc, le domaine agricole des frères Sala et Mani. Et quant à Banankoroda, c’est sous le fromager. C’est le deuxième site d’installation de Kankan. Le premier site ayant été Diounidiankan qui a abrité l’ancien camp militaire et qui accueille aujourd’hui le siège de l’Unicef .
Du contexte de Nabaya
Aux dires d’Elhadj Ringo Kaba, c’est l’assemblage de tous ceux qui ont quitté ailleurs pour venir habiter Kankan qu’on a appelé Nabaya, fusionnés, intégrés avec les autochtones et fondateurs du village.
« Ce Nabaya-là a des principes que nous tenons à respecter rigoureusement. Parce qu’il y a ce qu’on appelle bénédiction et malédiction à la fois. Ça veut dire quoi ? Si un autochtone a eu le privilège de recevoir un étranger, il a mandat de le respecter, de l’associer à sa famille, de le considérer comme un membre à part entière de sa famille. Sa richesse, s’il ne l’améliore pas, il ne doit pas la détruire. De même, si l’étranger a la chance de construire des maisons, l’autochtone doit l’accepter à bras ouverts. S’il ne le fait pas, il est maudit par les anciens. Et s’il le fait, il est béni. L’étranger également, toutes ses richesses gagnées, l’autochtone n’ayant rien fait pour les détruire, est aussi béni. Et s’il outrepasse, il est maudit. Alors, Nabaya se trouve dans ces deux contextes. On se respecte mutuellement. Et celui qui quitte chez lui pour venir à Kankan est la bienvenue. Parce que Kankan a été érigé en zone franche. C’est comme en temps de guerre, une ligne rouge que tu franchis pour te retrouver finalement sous-couvert. Tous ceux qui quittent ailleurs pour venir à Kankan sont sous la protection des autochtones jusqu’au jour où ils décideront de partir », explique-t-il à Guineenews.
De l’imamat
Il n’est pas rare d’assister à des conflits ouverts dans certaines localités autour de l’imamat. Ce qui n’est nullement le cas à Kankan. Ici, il n’y a pas à tourner de gauche à droite. Du moins, à la grande mosquée de Kankan érigée par les anciens. Là, les imams sont choisis au sein des familles réputées pour la cause.
Toutefois, un quelconque fidèle peut construire une mosquée chez lui et trouver un imam de sa convenance. Cela n’engage que celui-ci et les fidèles qui prient dans cette mosquée. Cela, sous le contrôle de la Ligue qui est une institution mise en place par l’autorité qui gouverne notre État. Le respect des engagements ou des décisions de ce groupe social est de rigueur.
« Mais à la grande mosquée de Kankan, les imams sont choisis au sein des familles qui se sont consacrées pour cela depuis l’aube de l’histoire. À savoir : Tènin Mamala (la famille de l’actuel Grand Imam) et la famille du Premier fils qui s’appelle Ténin Diankala. Ce sont ces deux familles marabouts qui ont consacré toute leur vie à la formation des jeunes pour la pratique islamique. Donc, nos imams sont choisis dans ces deux grandes familles. Et il y a un collège des sages qui siège pour désigner les imams, en se basant sur des principes sacrés », rapporte notre interlocuteur.
Du choix du Sotikèmo
Dans sa civilisation et son organisation, Kankan a toujours donné le privilège à une lignée exclusivement Kaba. Et ce n’est pas parce qu’on est le plus âgé qu’on peut être Sotikèmo de Kankan. Il faut qu’on soit issu de la lignée reconnue et consacrée à cet effet. Mais cela se passe comment ?
D’abord, c’était la lignée des grands-pères. Après celle-ci, est venue la lignée des pères. Aujourd’hui, nous sommes dans la lignée des fils. Et nous sommes au vingt-huitième Sotikèmo de Kankan depuis sa création en 1690, avec Férématou Madi Kaba, l’actuel. Ils sont tous Kaba et fondateurs de Kankan.
Selon Elhadj Ringo Kaba, contrairement à la conception qui fait croire que les Condé de Makonon sont les fondateurs de Kankan, ce village a été fondé par Daouda Kaba et que les Condé de Makonon sont plutôt les propriétaires terriens qui ont donné la terre aux Kaba.
Et d’ailleurs, il précise que celui qui a fondé le village de Kankan a sa mère originaire de Makonon, en la personne de Doussou Condé, fille de Fobaliman Condé qui était le chef du village de Makonon à l’époque. Et Makonon se situe à 15 kilomètres de Kankan.
Djinkono, la mystérieuse
Autour de Djinkono, à Timbo, dans la commune urbaine, gravitent de nombreuses énigmes. Jusqu’à une époque relativement récente, il n’y a que des cases. Mais depuis peu, la physionomie de cet endroit hautement historique est en train de changer peu à peu, même si notre interlocuteur ne soutient pas ce changement.
« C’est la famille de ma maman. L’accès n’est pas interdit. Seulement, les gens se font un mythe imaginaire dans la tête. Mais on devait le conserver comme tel. Parce que ça fait partie de l’histoire. C’est le troisième site d’implantation de Kankan, Timbo. C’était là où logeait le Djamanati lors de la chefferie traditionnelle et qui est différent de Sotikèmo », nous enseigne Elhadj Ringo Kaba.
Selon lui, le Diamanati est un chef qui gère toute une communauté mandingue appelée Batè comptant 24 villages, dont 12 peuls et 12 malinkés, dont Fourouban, Balandou et Foussén pour les villages peuls et Karifamoriah, Batè Nafadji et Bankalan qui sont des villages malinkés.
« Ces douze villages peuls et douze villages malinkés du Batè sont circonscrits entre deux fleuves : le Milo et le Djoliba. Et la personnalité qui avait mandat de gérer toute cette communauté, c’était le Djamanati », soutient Elhadj Ringo.
Du cimetière de M’Bembakoro
A Kankan, existe un cimetière exclusivement réservé aux érudits, aux imams et aux Sotikèmo. Anciennement, tout le monde pouvait y être inhumé. Mais au lendemain de l’enterrement de Alpha Kabinet qui s’était exilé au Fouta pendant sept ans, les sages ont décidé de réserver le cimetière aux érudits, aux imams et aux Sotikèmo à cause respect dû à leurs rangs respectifs, tout en créant un autre cimetière pour le reste de la population.
De la grande famille Chérif de Kankan
L’organisation sociale de Kankan est bien faite. Aux côtés des imams Kaba, se trouvent les marabouts Chérif. Ils sont issus de la grande famille de Cheick Fantamady Chérif. Selon notre interlocuteur, ces Chérif ont pour rôle fondamental de bénir et de prier pour la prospérité et la quiétude sociale dans la cité. Ils font partie de la notabilité de Kankan.
Kankan, la mosaïque
De nombreux groupements ethniques peuplent Kankan aujourd’hui, notamment les Peulhs, avec des quartiers comme Labékoura, Missira.
A la Briqueterie, l’on constate la présence de diverses communautés linguistiques venues de la Forêt. Sur la route de Karafamoriah, ce sont les ressortissants de Siguiri. Alors que sur la route de Mandiana et Kérouané, l’on est accueilli par une population venue essentiellement du Tron et du Wassolon.
Depuis des lustres, ces différentes communautés cultivent un vivre ensemble dans une parfaite harmonie. Le tout sous le contrôle du Sotikèmo, l’incarnation de l’autorité morale du Nabaya, terre d’hospitalité légendaire.
Par Mady Bangoura