La maison des associations et ONG de Guinée était face à la presse dans la matinée de ce mardi 11 juin 2024. L’objectif était de rendre publics, les résultats de son enquête liée à la détention prolongée d’acteurs politiques en Guinée. L’enquête en question fait aussi mention du fonctionnement de la Cour de Répression des Infractions Économiques et Financières (CRIEF).
Cette recherche dénote un manque de fondement juridique permettant de garder aussi longtemps en prison certains anciens dirigeants.
Ci-dessous, la déclaration
DECLARATION N° 00011/CN/CDRL/MAOG/2024 PORTANT POURSUITE JUDICIAIRE ET DETENTION PROLONGEE DES ACTEURS POLITIQUES EN GUINEE PAR LA CRIEF SOUS L’ERE CNRD
Tout au long de l’histoire de la Guinée, notre vaillant peuple a prouvé sa grandeur et sa résilience face aux défis internes et externes. L’inconstitutionnalité du 3ème mandat de Monsieur Alpha CONDE et la modification de la constitution de 2010, ont poussé les éléments du Groupement des forces spéciales sous la direction du Colonel Mamady
DOUMBOUYA, à prendre le pouvoir le 05 Septembre 2021. Plusieurs engagements ont été pris notamment la restauration des libertés fondamentales, l’indépendance et l’impartialité de la justice, la lutte contre les infractions économiques et financières. Cela a suscité l’adhésion par le peuple des idéaux du Comité National du Rassemblement pour le Développement CNRD. Pour rendre la parole à l’acte, la CRIEF (Cour de répression des infractions économiques et financières) a été créée dans le but de juger et condamner
les ministres ainsi que les cadres de l’administration coupables de détournements et malversations de fonds publics.
Quelques mois après ces annonces, plusieurs dignitaires du régime Alpha CONDE et quelques leaders politiques ont commencé à avoir des ennuis judiciaires. C’est le cas Dr Ibrahima Kassory FOFANA, Amadou Damaro CAMARA, Dr Mohamed DIANE, Oyé Guilavogui, Ibrahima KOUROUMA, Mamadou Cellou Dalein DIALLO, Sidya TOURE …
Après le gel des comptes des anciens dignitaires du régime Alpha CONDE, leurs documents de voyage ont été saisis avec interdiction formelle de sortie du territoire national. Un mandat de dépôt contre certains a été décerné sur la base des articles 47-461 et 462 du code de procédure pénale. Le 06 Avril 2022, sur la base du flagrant délit (« Une infraction qui est en train d’être commise, ou vient d’être commise. Souvent, une personne est prise sur le fait au moment de son infraction ou immédiatement après et en possession d’indices laissant supposer sa participation à cette infraction ») plusieurs cadres ont été arrêtés et déférés par devant le procureur spécial près la CRIEF sur la base des accusations de détournement de deniers publics, de corruption, de blanchiment des capitaux, d’enrichissement illicite, de corruption…. Dans ces conditions, le procès devrait être organisé dans un délais raisonnable (Conformément au CPP) pour ne pas que les indices disparaissent.
Constats sur les violations des règles de procédure et des droits fondamentaux :
La Maison des Associations et ONG de Guinée MAOG, en tant plateforme de la société civile guinéenne, soucieuse de la promotion de l’état de droit et la lutte contre les injustices sous toutes ces formes a mis en place une commission spéciale chargée de suivre les différents procès et constate avec regret quelques violations flagrantes des règles de procédures ainsi que les droits fondamentaux des personnes poursuivies par devant le procureur spécial près la CRIEF, qui méritent d’être connues par l’opinion nationale et internationale, au nombre desquelles nous pouvons citer :
-Manque de fondement juridique de l’arrestation des accusés, en flagrant délit. Les accusés devraient être immédiatement cités devant le juge du jugement mais ils ont été renvoyés devant un juge d’instruction (violation des règles de procédure) ;
-Les recours injustifiés contre toutes les décisions de mise en libertés prononcées au profit de certains détenus dans les procédures pendantes par devant la CRIEF ;
– L’expiration des délais de détention provisoire ;
– Les mauvaises conditions d’arrestation et de détentions des accusés;
– La non-exécution des arrêts de la chambre spéciale de contrôle de l’instruction ordonnant la mise en liberté des personnes poursuivies assortie du contrôle judiciaire moyennant cautionnement ;
– A l’absence des voies de recours immédiates, le Procureur spécial près la CRIEF a ordonné les instructions manifestement illégales, aux gardes pénitentiaires de reconduire les accusés à la maison centrale ;
– Le déplacement des personnes poursuivies en détention sans enquête préalable d’aucun service de l’Etat notamment l’inspection générale d’Etat, l’Agence Nationale pour la bonne gouvernance et la lutte contre la Corruption, Conseil Economique et Social… ;
– Le Refus, par l’Etat Guinéen, d’exécuter une décision de mise en liberté rendue par la Cour de justice de la CEDEAO au profit de certains détenus (16 octobre 2023) : Suite à la violation répétée des règles de procédure, des droits et libertés des accusés (Dr Ibrahima Kassory FOFANA, Dr Mohamed DIANE, Oyé GUILAVOGUI), la cour de justice de la CEDEAO a été saisie pour faire constater la violation des droits et obtenir réparation…….
Une décision a été rendue à cet effet en faveur des accusés (la Cour avait dit que l’arrestation en flagrant délit était arbitraire, que le principe de présomption d’innocence n’a pas été respecté, elle a condamné l’Etat guinéen au paiement de 10.000 dollars au titre de dommage intérêt, elle a ordonné la libération immédiate des détenus) mais malheureusement l’Etat guinéen a refusé d’appliquer cette décision de la cour de Justice de la CEDEAO pourtant membre fondateur de l’instance sous-régionale ;
– Le Non-renouvellement des mandats de dépôt, leur maintien à la maison centrale constitue une violation des règles de procédure. En cas de non-renouvellement du mandat, le détenu doit être libéré immédiatement. En matière de détournement la détention préventive ne doit pas dépasser 16 mois, quel que soit la situation (Art 236 du CPP) ;
– La durée de validité des mandats de dépôt est de 4 mois renouvelable une fois. Malgré la sollicitation de mise en liberté provisoire des avocats de Feu Lounceny CAMARA, une audience (10 Aout 2022) a été ordonné où il était venu moribond, quelques
jours plus tard il a rendu l’âme.
Pour le cas spécifique de Sylla Bill Gate : il est en détention préventive depuis le 03 Novembre 2022. Son mandat de dépôt n’a jamais été renouvelé. Le juge a rendu une ordonnance de non-lieu, toutes les charges ont été abandonnées. La chambre spéciale de l’instruction a confirmé cette décision de non-lieu le 31 octobre 2023.
Le procureur Spécial près la CRIEF a fait pourvoi en cassation à la Cour Suprême. Le délibéré a été renvoyé du 14 Mai 2024 au 23 Juillet 2024.
– L’inexécution des décisions de justice par le Procureur Spécial près
la CRIEF.
Nous apprenons que les avocats de Dr Ibrahima Kassory FOFANA et de Dr Mohamed DIANE ont décidé de suspendre leur participation au motif de l’inexécution des décisions de la Cour de justice de la CEDEAO sur la mise en liberté. Ainsi la CRIEF a écrit au bâtonnier pour la désignation d’autres avocats pour assurer la continuité du procès, il a opposé une fin de non-recevoir. Nous apprenons également la dégradation de la santé des accusés (Honorable Damaro CAMARA, DR Ibrahima Kassory FOFANA….), ça doit être une préoccupation majeure .
Aujourd’hui, les préoccupations des populations ont été ramenées au regret, la désillusion, au désespoir et au désenchantement. Car toutes les promesses du CNRD ne sont plus respectées et le constat est alarmant.
Face à cette justice (CRIEF) téléguidée et orientée poussant plusieurs leaders d’opinions à l’exile, la MAOG pense qu’il est temps de reformer cette institution judiciaire car elle est devenue un instrument contre des leaders potentiellement gênants.
Le peuple de Guinée ne fonde plus espoir à cette CRIEF devenue une déception aux regards des multiples attendes du peuple de Guinée. Toutes les mauvaises pratiques reprochées à l’ancien régime telles que les détournements de fonds, la corruption, les contrats gré à gré, la course à l’enrichissement illicite, la gabegie financière, l’impunité…. sont devenues monnaie courante et les cadre du CNRD imbibés dans ces pratiques peu orthodoxes ne s’inquiètent de leur situation. Donc le CNRD n’est pas un modèle de bonne gouvernance
Les médias et la société civile ont dénoncé plusieurs mauvaises pratiques nécessitant l’intervention de la CRIEF (Amadou DOUMBOUYA ex DG SONAP, le DG et Adjoint ANAIM, les contrats de rénovation des bâtiments publics, la rénovation de la résidence des PM à hauteur de 6 milliards de francs guinéens, l’acquisition des biens mobiliers aussi bien en Guinée qu’à l’étranger par les hauts cadres de l’administration et certains ministres qui ont conclus des marchés de gré à gré en violation flagrante du code des marchés publics…
Face à tous ces manquements, la MAOG, en tant que plateforme de la société civile, dans son rôle de veille, d’alerte et de proposition, regrette l’inefficacité et l’instrumentalisation du service public de la justice au détriment des droits fondamentaux. La CRIEF autrefois considérée comme grand espoir, s’est transformée en désillusion totale.
Nous recommandons vivement ce qui suit :
RECOMMANDATIONS
– La libération pure et simple, ou sous contrôle judiciaire de tous les détenus politiques jusqu’à ce que les enquêtes sérieuses soient menées par l’inspection générale d’Etat ou tout autre organe habilité à cet effet, en vue d’établir la culpabilité ou pas des accusés afin de déclencher l’action judiciaire ;
– La réforme profonde de la CRIEF à travers son indépendance, sa neutralité et son impartialité ;
– Le Respect des décisions de justice rendues par les juridictions nationales et supranationales (Décision de la cour de justice de la CEDEAO) ;
– Le jugement des prévenus dans les délais raisonnables (le droit pour chaque personne d’être jugée dans un délais raisonnable) ;
– Le respect des délais de détention provisoire selon les lois en la matière ;
– L’impartialité dans les poursuites judiciaires et non uniquement contre les personnalités gênantes ;
– La garantie de la sécurité de tous les acteurs socio-politiques même ceux qui se trouvent en exil ;
– Le respect du principe de la présomption d’innocence ;
Nous sommes aujourd’hui dans un tournant décisif de l’histoire de notre pays, raison pour laquelle nous avons décidé de prendre notre responsabilité face à l’histoire pour défendre nos compatriotes contre l’injustice sous toutes ses formes. Nous ne sommes pas en train de dire qu’ils ne sont pas coupables des faits reprochés mais nous souhaitons que si des poursuites doivent être engagées que tous les éléments de preuve soient réunis à travers une enquête sérieuse diligentée par l’inspection générale d’Etat ou d’autres services en la matière.
Nous demandons l’implication de la communauté internationale, des institutions onusiennes, des diplomates accrédités en Guinée afin de jouer de tous leurs poids pour lutter contre les injustices que subissent nos compatriotes pendant cette période de transition.
La Commission
Conakry le 11 Juin 2024