Aliou Bah est poursuivi par le procureur de la République près le Tribunal de Première Instance de Kaloum pour offense et diffamation envers le chef par le biais d’un système informatique. Les textes servant de base aux poursuites sont les articles 659 du Code pénal, des articles 3 et 4 de la loi 010 du 4 juin 2015, 28 et 29 de la loi portant sur la cyber-sécurité et la protection des données à caractère personnel.
D’ores et déjà, il faut dire qu’il n’existe pas dans le droit pénal guinéen une infraction appelée « offense au chef de l’État par le biais d’un système informatique » ou « diffamation envers le chef de l’État par le biais d’un système informatique ». Or, il n’y a ni délit ni peine sans un texte préalable. C’est un principe cardinal. Pour qu’un fait soit sanctionné pénalement, il faut qu’un texte préalable le prévoie ainsi que la sanction correspondante.
L’incrimination préalable du fait et la sanction qui lui est attachée sont nécessaires.
Plus précisément, en faisant une simple lecture des articles visés et en considérant les propos qu’il a tenus, il est difficile pour ne pas dire impossible de condamner le président du MoDel. Et si par extraordinaire, une sanction pénale devait lui être appliquée, celle-ci ne pourrait être qu’une amende d’un montant qui ne peut 5.000.000 de francs.
La jurisprudence « Amadou Djouldé Diallo », journaliste, poursuivi sous le régime du Président Alpha Condé pour offense au chef de l’État, n’avait été condamné qu’à une peine d’amende.
Pour le cas Aliou Bah, on ajoute un deuxième chef de prévention, « la diffamation envers le chef de l’État par le biais d’un système informatique », pour aggraver sans doute son cas. Mais encore une fois, n’existe pas jusqu’à preuve du contraire.
Les articles 28 et 29 de la loi relative à la cyber-sécurité et la protection des données à caractère personnel visent respectivement la menace par le biais d’un système informatique et l’injure par le biais d’un système informatique. Et c’est l’autorité de poursuite c’est-à-dire le procureur de la République qui indique des infractions en visant des articles qui se rapportent à d’autres infractions.
Dans la rubrique « outrage », l’article 659 du Code pénal punit d’un emprisonnement de 1 à 5 ans et d’une amende de 500.000 à 1.000.000 de francs ou de l’une de ces deux peines seulement l’offense à la personne du chef de l’État.
Par ailleurs, la loi L02/2010 portant sur la liberté de la presse punit l’offense au chef de l’État d’une amende dont le maximum est de 5.000.000 francs.
Enfin, l’article 3 de la loi 010 du 4 juin 2015, punit d’une de 1 à 5 ans et d’une amende de 200.000 à 2.000.000 de francs ou de l’une de ces peines seulement l’offense au Chef de l’État.
Mais l’article 9 de cette même loi renvoie à la loi sur la liberté de la presse si l’offense au chef de l’État est commise par voie de presse.
Ainsi, il existe plus d’un texte qui punissent la même infraction. Laquelle doit s’appliquer ?
L’article 1010 du Code pénal répond de façon très claire. En effet, selon cet article lorsque les dispositions du présent code (le code pénal) sont en contradiction avec celle d’une loi spéciale, ce sont les dispositions de la loi spéciale qui s’appliquent sous réserve que celles-ci soient plus douces. La loi spéciale, c’est la loi sur la liberté de la presse par rapport au code pénal. Ce sont donc les dispositions de la loi sur la liberté de la presse qui s’appliquent parce qu’elles sont plus douces en ce sens qu’elles ne prévoient pas une peine privative de liberté mais une sanction pécuniaire.
Tout cela supppose bien entendu que Aliou Bah soit reconnu coupable des faits qu’on lui reproche. Or, tout porte à croire qu’il est poursuivi pour un délit d’opinion.
Il est sûr et certain que le collectif d’avocats qui le défend l’a démontré avec brio. La balle est désormais dans le camp du juge.
Dans tous les cas, si l’objectif de ce procès est de faire taire et donc de neutraliser Aliou Bah par un emprisonnement, il faudra attendre une autre occasion, celle-ci n’est absolument pas bonne.
Par Maître Mohamed Traoré