Dans de nombreux pays en développement, notamment en Afrique subsaharienne, la gestion des investissements publics (GIP) est un pilier essentiel du développement économique et social. Cependant, cette gestion est souvent confrontée à des défis structurels et institutionnels. La Guinée, consciente de ces enjeux, a récemment franchi une étape importante en se dotant d’un nouveau cadre juridique pour la GIP. Cet article propose de présenter ce nouveau cadre, en rappelant le contexte national et international de la gestion du développement, les lacunes existantes, les innovations apportées par ce texte et les pistes d’amélioration.
I. Contexte international et national de la Gestion du Développement en Guinée
La Guinée, à l’instar de nombreux pays en développement, aspire à une croissance inclusive et durable pour améliorer les conditions de vie de sa population. Pour y parvenir, la rationalisation de ses investissements publics est primordiale. Or, le pays évolue dans un environnement où la gouvernance du développement, bien qu’en progression, présente encore des défis significatifs.
Sur le plan international, les principes de bonne gouvernance, de transparence et d’efficience dans l’utilisation des fonds publics sont devenus des standards incontournables. Les bailleurs de fonds et les partenaires au développement insistent de plus en plus sur l’existence de cadres juridiques et institutionnels robustes pour garantir l’efficacité des investissements. Pour les pays d’Afrique subsaharienne, l’expérience a montré que des cadres solides en matière de planification et de gestion sont cruciaux pour traduire les politiques publiques en résultats tangibles.
Au niveau national, la Guinée a fait des progrès en matière de gouvernance statistique, avec une loi conforme aux standards internationaux. C’est un atout majeur pour la prise de décision fondée sur des preuves. Cependant, une lacune notable persistait et demeure : l’absence d’une loi sur la planification et d’une loi sur l’aménagement du territoire. Ces instruments juridiques sont pourtant fondamentaux pour structurer une vision de développement à long terme, coordonner les actions sectorielles et garantir une répartition équilibrée des investissements sur le territoire. Cette absence a pu entraîner par le passé une fragmentation des efforts, un manque de cohérence entre les projets et, in fine, une moindre efficacité des investissements publics.
Dans ce contexte, la gestion des investissements publics, bien que cruciale, manquait d’un cadre juridique exhaustif. Cela créait un vide, potentiellement propice à des décisions ad hoc, à des retards dans l’exécution des projets, voire à une allocation sous-optimale des ressources.
II. Le Décret Portant Cadre Général de la Gestion des Investissements Publics
C’est pour combler ce vide que le Président de la République de Guinée a signé le Décret D/2024/0176/PRG/SGG du 13 octobre 2024, portant cadre général de la gestion des investissements publics. Ce décret, complété par la Lettre Circulaire N°0208/CAB/MDC/007 du 28 octobre 2025 du Premier Ministre, représente une avancée significative. Les innovations et apports majeurs de ce nouveau cadre juridique sont multiples.
Premièrement, ce décret vient combler un vide juridique. Le décret vient spécifiquement répondre à l’absence d’un texte global régissant la GIP, offrant ainsi un cadre de référence clair pour toutes les parties prenantes. Il s’aligne sur la Loi L/2018/027/AN du 05 juillet 2018, fixant les règles de gouvernance des projets publics, renforçant ainsi la cohérence juridique.
Deuxiemement, il participe de la rationalisation et de l’alignement sur les standards Internationaux. L’objectif affiché est d’améliorer l’efficacité et l’efficience des projets et programmes d’investissement public. Le décret vise à harmoniser les pratiques nationales avec les standards internationaux en matière de GIP, favorisant ainsi une meilleure absorption des aides et une plus grande confiance des partenaires.
Troisièmement, il crée un Comité Stratégique de Coordination des Investissements Publics. L’Article 86 du Décret institue, sous l’autorité du Premier Ministre, un Comité Stratégique de Coordination des investissements publics. Ce comité aura pour rôle de donner des grandes orientations sur la politique d’investissement public en lien avec la stratégie nationale en vigueur. Un arrêté du Premier Ministre définira son organisation et son fonctionnement. Cette instance est cruciale pour une vision stratégique et une coordination intersectorielle des investissements.
Quatrièmement, il veut renforcer le rôle de la Direction Générale des Investissements Publics (DGIP). Bien que non explicitement détaillé dans les extraits fournis, il est implicite que le décret vient consolider le rôle de la DGIP sous l’égide du Ministère de l’Économie et des Finances, comme le suggère le titre même du décret. Une DGIP forte est essentielle pour le pilotage technique de la GIP.
Cinquièmement, il rend obligatoire l’Enregistrement et la Programmation via le SIGPIP. L’innovation 5 de la Lettre Circulaire du Premier Ministre est fondamentale : « Tous les projets et programmes d’investissement public réalisés par l’Etat et de ses démembrements (collectivités locales et organismes publics) ainsi que ceux en partenariat public privé doivent être saisies et enregistrés dans la Plateforme du Système Intégré de Gestion des Projets et Programme d’Investissement Public (SIGPIP) conformément aux dispositions combinées 2, 14, 17, 25, 30, 31, 32 et 33 du Décret. » Cette mesure vise à améliorer la transparence, le suivi et la traçabilité des projets, et à éviter les doublons ou les projets non prioritaires.
Sixièmement, il facilite l’implication des Acteurs à Différents Niveaux. L’Article 87 du décret souligne que le Premier Ministre, les Ministères en charge de l’économie et des finances, du budget et du plan, les Maîtres d’Ouvrages, le Maître d’œuvre publique et les structures de contrôles, sont chargés, chacun en ce qui le concerne, de l’application du présent Décret. Cette répartition des responsabilités est essentielle pour une mise en œuvre effective.
III. Pistes d’Amélioration pour une Gouvernance du Développement Plus Complète
Bien que le décret sur la GIP constitue une avancée majeure, il est crucial de considérer des pistes d’amélioration pour une gouvernance du développement plus complète et intégrée.
Primo. Élaboration d’une Loi sur la Planification. C’est la lacune la plus criante. Une loi sur la planification offrirait une vision stratégique à long terme, définirait les mécanismes d’élaboration des plans nationaux de développement, assurerait la cohérence entre les politiques sectorielles et créerait un cadre pour le suivi et l’évaluation des progrès. Elle permettrait d’ancrer les investissements publics dans une stratégie de développement globale.
Secundo. Adoption d’une Loi sur l’Aménagement du Territoire. Complémentaire à la loi sur la planification, une loi sur l’aménagement du territoire est indispensable pour une répartition spatiale équilibrée des infrastructures et des services, réduisant ainsi les disparités régionales et maximisant l’impact des investissements. Cela permettrait également une meilleure gestion des ressources naturelles et une protection de l’environnement.
Tertio. Renforcement des Capacités. La réussite de ce nouveau cadre dépendra largement des capacités techniques et humaines des administrations concernées. Des programmes de formation continue pour les agents impliqués dans toutes les phases du cycle des projets (identification, évaluation, exécution, suivi, évaluation) sont essentiels.
Quarto. Transparence et Participation Citoyenne. Bien que le SIGPIP vise la transparence, il est important d’aller plus loin en rendant les informations sur les projets d’investissement public accessibles au grand public. Des mécanismes de participation citoyenne, comme les budgets participatifs ou les observatoires citoyens des projets, pourraient renforcer la redevabilité et l’appropriation des initiatives de développement.
Quinto. Suivi et Évaluation Rigoureux. La mise en œuvre du décret doit s’accompagner de mécanismes de suivi et d’évaluation robustes, avec des indicateurs clairs de performance et d’impact. Des évaluations indépendantes et régulières sont nécessaires pour identifier les réussites, les défis et ajuster les stratégies.
Sexto. Pérennisation du Cadre Juridique et Institutionnel. Il est crucial de s’assurer que ce cadre juridique et les institutions mises en place soient résilients aux changements politiques et qu’ils bénéficient d’un soutien institutionnel continu.
Par Sékou Oumar CAMARA