La vie politique guinéenne, peu avare en rebondissements cocasses, vient de nous offrir un nouveau pataquès lors de l’installation de l’exécutif communal à Matoto. Le camp de l’UFDG avait devancé d’une courte tête celui du parti présidentiel dans un premier temps, avant que confusément le décompte soit contesté par les perdants qui, par la voix de leur candidat déclaré perdant, ont argué l’argument ahurissant d’une erreur de prononciation du superviseur. L’implication expresse de M. Bouréma condé, Ministre de l’administration du territoire et de la décentralisation, pour annuler le scrutin, au-delà des arguties juridiques, en rajoute au doute et conforte le discrédit dont font l’objet les autorités publiques – censées être impartiales lors des consultations électorales dans notre pays –de la part de l’opposition.

Cet imbroglio ridicule et consternant, digne d’épisodes semblables où chaque candidat crie victoire – en France, le duel Fillon-Copé en 2012 pour la Présidence de l’UMP ou la présidentielle 2011 en Côte d’Ivoire où Laurent Gbagbo, candidat sortant du FPI et Alhassane Dramane Ouattara, son challenger du RDR – est une confirmation supplémentaire de l’immaturité de notre démocratie.

Paradoxalement, il nous a rappelé à quelques vertus dont regorge encore notre culture. L’indignation qu’ont suscité les propos honteux du Député de l’opposition Ousmane Gaoual s’inscrit dans ce retour salvateur, presqu’inespéré, d’une exigence collective pour dénoncer et condamner toute forme d’atteinte à l’intégrité morale des personnes, surtout quand celles-ci sont des femmes. La culture africaine est trop souvent brocardée et taxée de misogyne pour ne pas signaler certaines de ses vertus quand elles s’expriment dignement.

Rappelons les faits : dans une interview radiophonique dont la vidéo a circulé sur les réseaux sociaux, on entend le député de l’UFDG tenir des propos peu amènes contre Madame Domani Doré, ex-Ministre des sports et candidate de la liste Guinée audacieuse. M. Ousmane Gaoual Diallo insinuait à peine que Madame Doré entretiendrait une relation adultérine avec le candidat du RPG Mamadouba Tos Camara. Tout cela, parce que Madame Domani Doré avait apporté son soutien au candidat du RPG. Cette sortie pour le moins inélégante voire diffamatoire (c’est à la justice de trancher car un tweet de Mme Doré indiquait qu’elle pourrait déposer plainte) a été aussitôt désapprouvée par un nombre important d’internautes sur les réseaux sociaux bien que quelques personnes aient tenté mollement de défendre le député sur fond de solidarité partisane. Un groupe d’activistes féministes a exigé des excuses publiques du député lors d’un point de presse.

Ce lever de bouclier est rafraîchissant et participe d’une adaptabilité intéressante de la politique et de la démocratie à nos spécificités culturelles où tout ne peut pas être permis, fût-il lors des compétitions politiques. Il est intéressant de lire les arguments des uns et des autres. Tous mettent en avant la dimension culturelle qui reprouve l’insulte publique, a fortiori à l’encontre d’une femme vue à plusieurs égards comme l’équivalente d’une sœur, une tante, voire une mère pour certains, symbole de respect et de sollicitude.

Ces égards semblent encadrés la lutte politique et idéologique pourtant véritable nid d’ignominies et de coups bas allant quelquefois jusqu’à l’irréparable. La sphère de la politique est une fosse aux lions où les adversaires font feu de tout bois.  Sous d’autres latitudes, on parle de « boules puantes » ou de « taper en dessous de la ceinture ». Qu’importe. L’idée étant de déstabiliser l’autre, l’affaiblir et même le « détruire ». En 1936, le Ministre de l’intérieur Roger Salengro appartenant au gouvernement de Léon Blum s’est suicidé dans sa maison en se laissant inhaler du gaz des suites d’une campagne de dénigrement de ses adversaires politiques d’extrême droite. Plus proche de nous, Donald Trump s’est en partie fait élire à la tête des Etats-Unis sur cette agressivité invraisemblable contre Hillary Clinton et une bonne partie de l’establishment américain.

La Guinée ne déroge à cette règle d’agressivité des leaders politiques, de mauvaise foi et de manipulation de l’opinion, aggravée par un substrat ethnocentriste, pour arriver à leurs fins politiques. C’est la règle de fait du jeu. L’idée de ce texte n’est pas de présenter Mme Domani Doré comme une victime expiatoire par essence, parce qu’elle serait une femme. Elle fait de la politique et de ce point de vue, elle doit prendre des coups comme elle en donne. Sauf que spontanément nos compatriotes semblent mettre des limites à l’indécence. On peut s’en réjouir car cela démontre qu’il existe encore dans notre pays quelque valeur qui subsiste dans un contexte d’affaissement moral et éducationnel. Le respect dû aux femmes constitue l’un de ces rares principes qui semblent résister à l’usure du temps et à la déstructuration de nos valeurs. Le député Ousmane Gaoual Diallo coutumier des punchlines l’apprend à ses dépens et gageons qu’il en prenne bonne note tout comme tout le personnel politique.

                                                                                    Sayon Dambélé, dambelesayon@yahoo.fr