L’emploi jeunes est toujours l’expression qui prend le dessus de la plupart des discours des dirigeants africains notamment ceux de la Guinée mais dans la réalité des faits les résultats ne connaissent aucune amélioration possible vu le manque de politique adaptée pour préparer la jeunesse à la question de l’emploi. Tel est le point de vue de beaucoup d’observateurs à l’image d’Algassimou Diallo, Expert Polyvalent en Développement et Conseiller Technique Principal au sein d’une Institution Internationale basée en Guinée qui a été rencontré par la rédaction de votre site d’information le www.maguineeinfos.com.
Pour en savoir davantage, nous vous proposons cet entretien sur les questions liées à l’emploi jeunes
Maguineeinfos.com : M. Diallo Algassimou Bonsoir vous nous recevez chez vous cet après-midi pour parler de la question d’emploi jeunes en République de Guinée. Dites-nous qu’est-ce que cela vous inspire?
Algassimou Diallo : Parler de l’emploi jeunes en Guinée m’amène à dire qu’il y a beaucoup d’opportunités dans le pays mais malheureusement, il n’y a pas de dispositifs qui nous permettent de les saisir et donc, je considère qu’il n’existe pas une politique adaptée dans ce domaine, que l’Etat ne fait pas ce qu’il aurait dû faire mais aussi et surtout que des investissements ne sont pas réalisés dans ce domaine dans le but de faciliter l’emploi des jeunes.
Aujourd’hui, le manque d’emploi oblige la jeunesse à se livrer au voyage vers l’Europe pour la recherche du bonheur mais hélas beaucoup laisse leurs âmes dans les eaux de la méditerranée. Jusqu’où cela vous touche et quel devrait être la politique du gouvernement pour mettre fin à ce bassin de drames?
Parler de cette problématique, revient d’abord à camper la situation, disons que nous sommes dans un continent avec une population relativement jeune mais malheureusement, les États africains en tout cas la plupart d’entre eux, n’ont pas saisi cette opportunité pour en faire profiter la jeunesse parce que si vous entendez le Japon, la Chine, les autres continents comme l’Europe se plaindre de la problématique de vieillissement de la population, tel n’est pas le cas en Afrique. Et donc logiquement on devrait utiliser les jeunes pour augmenter la croissance africaine et donc investir massivement dans ces jeunes-là afin qu’ils soient donc les bras valides au service de l’économie du continent. Pour le cas spécifique de la Guinée, j’avoue que quand je vivais et travaillais à l’étranger, lorsque j’entendais qu’un guinéen est décédé dans la méditerranée en tentant de traverser, j’étais choqué à l’époque contre les parents parce que je disais c’est une irresponsabilité des parents de vouloir laisser ces jeunes-là partir. Mais quand je suis revenu en Guinée (cela fera trois ans bientôt), et j’ai vu la façon dont les services publics de ce pays sont gérés, j’ai compris en réalité que pour un jeune guinéen, le fait de partir était plus rassurant que de rester parce que malheureusement, il n’existe pas des canaux d’encadrement de jeunes, parce qu’il n’existe pas d’opportunités pour les jeunes leur permettant de s’insérer dans l’économie active de ce pays-là.
Quels sont les canaux qui pourront réellement faciliter l’investissement dans la jeunesse ?
Vous savez quand les politiques parlent de l’emploi des jeunes, c’est toujours dans les discours démagogiques et c’est toujours à l’occasion des campagnes électorales. En réalité, pour faire de la problématique de l’emploi jeunes une réalité et une politique assez fiable, il y a une nécessité d’investir à plusieurs niveaux. D’abord, il faut investir dans la formation. En République de Guinée, comme vous le savez, l’actualité fait foi, malheureusement, les politiques ont délaissé totalement la politique éducative. Il y a des jeunes qui abandonnent l’école dès la sixième année, il y en a qui abandonnent au niveau du BEPC et d’autres au niveau baccalauréat et il n’existe pas des structures qui sont créées dans le but de recueillir ces jeunes qui ont abandonné le système scolaire et de faire d’eux des acteurs de l’économie donc il y a cette problématique liée à la formation et le milieu universitaire ne forme presque que des chômeurs parce que non seulement la formation universitaire offerte en Guinée n’est pas de qualité et au-delà de ça, elle n’est pas diverse et elle ne répond malheureusement pas aux besoins du marché. Il y a une inadéquation totale entre la politique de formation et celle de l’emploi parce que, la plupart des options que les jeunes étudient dans nos universités, ce sont des options qui ne sont créées presqu’en Guinée et elles n’ont rien à avoir avec le besoin du marché de l’emploi, donc la politique de l’emploi elle est nulle. Elle aurait dû cadrer les jeunes pour que l’économie du marché s’en serve, il y a ce problème-là. Le deuxième canal où il y a aussi beaucoup de problèmes, c’est par rapport à la problématique de la formation professionnelle.
En Guinée toutes les écoles professionnelles que nous avons, qui faisaient de par le passé énormément de fierté et qui attiraient même les étudiants de la sous-région, n’existent plus ou alors, elles sont laissées pour compte. Elles ne fonctionnent pas normalement. Regardez par exemple le secteur minier en Guinée, toutes les sociétés minières qui s’implantent, quand on se réfère au code minier et le contenu local ont l’obligation de recruter de la main d’œuvre locale. Mais au niveau de nos communautés il n’y a pas de compétences.
Qu’est ce qui explique aujourd’hui le fait que les jeunes sont absents dans les instances de prise de décision?
C’est parce que les jeunes en réalité, aucune politique ne permet de les cadrer pour faire d’eux des citoyens responsables, éveillés et qui participent activement au développement du pays c’est ça la problématique et c’est qui m’amène à parler de l’encadrement des jeunes qui ont fini l’université. La Guinée est le seul pays ou vous allez voir un étudiant qui commence l’université en licence 1 et aller jusqu’à obtenir son diplôme sans jamais avoir eu une opportunité de faire un stage. Quand les jeunes n’ont pas des opportunités de faire les stages, de faire du volontariat, ils ne peuvent pas être actifs sur le marché parce que vous savez que les rares emplois qui sont publiés, ce sont des emplois pour lesquels on demande 5 ans,7 ans,10 ans d’expérience professionnelle alors qu’à l’université, ce n’est pas l’expérience professionnelle qu’on y apprend aux jeunes mais c’est plutôt des compétences théoriques qu’on leur donne et donc s’ils n’ont pas pu pratiquer durant la licence 1, 2 ou 3, je vois mal à l’obtention de leurs diplômes comment ils pourront être actifs au service des entreprises et des organisations qui existent et qui recrutent.
Investir dans la jeunesse est toujours l’expression la plus courante dans le discours de nos dirigeants notamment ceux du ministère de la jeunesse mais dans la réalité des faits, on en trouve rien. Qu’est-ce que vous savez d’ailleurs de cette politique du ministère et pensez-vous qu’elle est la bonne ?
Non elle n’est pas la bonne et pourquoi? D’abord, elle n’est pas bonne parce que pour le ministère de la jeunesse, il n’y a que la jeunesse de Conakry qui existe dans ce pays. La superficie de la Guinée est de 245857 km2 et 13 millions d’habitants. Pour investir dans cette jeunesse guinéenne, il ne faut pas s’arrêter uniquement à la ville de Conakry, il faut aller à Koundara, à Yomou, à Lola,… en un mot dans les zones rurales. Aujourd’hui l’une des problématiques majeures que nous rencontrons dans ce pays, c’est la mauvaise politique de l’habitat. Tout le monde fuit les campagnes pour venir s’installer dans les villes.
Selon vous pourquoi cet exode rural ?
Parce qu’il n’y a aucun service public qui existe au niveau des campagnes.
Mais comment créer ces services et avec quels moyens?
Il faut que l’Etat investisse massivement dans le secteur primaire: l’agriculture, l’élevage, l’artisanat, le tourisme etc. Il faudrait que l’Etat investisse dans ces domaines là pour pouvoir fixer les jeunes dans leurs terroirs. Il y a énormément de déficit en terme de ressources humaines au niveau de nos zones rurales. Il faut partir par exemple au Foutah ou en Haute Guinée dans les milieux ruraux, il n’y a que les vieilles personnes et les femmes car tous les jeunes sont partis. Donc si l’Etat veut vraiment inverser la tendance, il y a nécessité qu’on sorte de la ville de Conakry et qu’on parte investir dans ces zones rurales en termes de formations, de services publics, d’adduction d’eau et d’électricité ou encore d’infrastructures routières parce que ces jeunes ont besoin de ça pour pouvoir y rester. Et quand ils veulent s’investir dans l’agriculture, il y a un minimum d’aménagement qu’il faut faire, toutes les opportunités ne leur sont pas offertes parce que pour faire de l’élevage, ces aménagements-là ne sont pas réalisés.
Pensez-vous de nos jours que le gouvernement guinéen passe à côté de toutes ces questions qui pourraient retenir longtemps la jeunesse guinéenne qui trouve la mort dans la méditerranée pour rejoindre l’Europe?
C’est mon sentiment, malheureusement le gouvernement n’a aucune politique orientée vers les jeunes pour les permettre de rester en Guinée et de réussir leur vie dans le pays.
A vous entendre c’est comme si la politique du gouvernement est une politique fragile qui leur permet plutôt de renflouer leurs poches?
Malheureusement c’est ça. Les ministères de la jeunesse et de l’action sociale, de la promotion féminine et de l’enfance sont des ministères de propagandes. Ce ne sont pas des ministères où on est en train d’investir massivement dans la jeunesse et les femmes. Regardez déjà le budget qui leur est alloué c’est des budgets qui n’ont même pas 2% du budget du Gouvernement. Un ministère de la jeunesse qui n’a pas au moins 5% de budget national, qu’est-ce que vous voulez qu’il fasse pendant qu’il a à encadrer plus de 65% de la population. Ce département-là, devrait créer de cadres qui permettent aux jeunes de s’insérer en terme de formation, en terme de perfectionnement professionnel mais aussi et surtout en terme d’accès aux capitaux leur permettant réellement d’investir soit dans l’entrepreneuriat ou faire de sorte que ces jeunes-là puissent aller développer les secteurs qui existaient par le passé dans notre pays comme l’agriculture, l’élevage, le tourisme, l’artisanat parce que ce sont des domaines totalement à l’abandon car tout le monde veut investir dans le cyber café ici à Conakry, ou bien dans le taxi-moto ou encore dans le commerce à Madina et ça, c’est une très mauvaise politique qui ne permettra jamais non seulement de répondre aux besoins et aux aspirations des jeunes, mais surtout d’équilibrer le développement au niveau du territoire. Donc aujourd’hui on est dans un pays malheureusement où plus de 80% des gens ont quitté les campagnes pour venir s’installer dans les grandes villes ou la capitale alors qu’il n’y a aucune adéquation en terme d’infrastructures.
A la place du gouvernement qu’est-ce que vous auriez fait pour changer la donne?
A la place de ce gouvernement, j’aurais changé le contenu des formations parce que nous sommes le seul pays où il n’existe aucune adéquation entre ce qu’on apprend à l’école et ce qu’on pratique au quotidien dans la vie donc il est impératif de revoir systématiquement la formation et renforcer l’offre de formation au niveau professionnel de manière à recueillir ceux qui abandonnent le cycle afin de les réorienter vers les écoles professionnelles et choisir des filières de formation professionnelle qui répondent aux besoins de l’économie guinéenne.
Merci M. Diallo Algassimou d’avoir répondu à nos différentes questions!
C’est moi qui vous remercie.