Cette prorogation inconstitutionnelle du mandat des députés par la complicité de la grande majorité de la classe politique guinéenne mouvance et opposition confondues, confirme les propos d’un observateur étranger de la vie politique guinéenne selon lesquels : « la Guinée est le seul pays au monde où le niveau moyen de la population bien que largement analphabète, est supérieur au niveau moyen de sa classe politique ». Tous les drames subis ces dernières années par le peuple martyr de Guinée découlent de cet état de fait. Des aberrations qui se constatent en Guinée ne se rencontrent nulle part ailleurs.

Attention ! Dire qu’il y a vide juridique relatif à cette violation de la constitution est un signe de mépris pour les Guinéens ou d’ignorance extrême du droit. On parle de vide juridique face à un fait ou une situation pour laquelle aucune loi applicable n’a été prévue. Dans cette affaire, les normes violées existent et les sanctions qui leur sont applicables aussi existent. Concernant les normes violées, il s’agit entre autres, de l’article 35 relatif au serment présidentiel et l’article 45 alinéa 2 et 3 de la constitution. Face à ces violations, des sanctions sont prévues telles que la « haute trahison » consacrée par l’article 119 de la constitution et l’article 21 alinéa 4 de la constitution en cas de forfaiture des représentants des institutions telle que nous constatons avec cette péremption provoquée de mandat des députés. De ce fait, il n’y a aucun vide juridique relatif à cette violation de la constitution ni concernant le président Alpha Condé, ni concernant le sort de ces désormais anciens députés qui aussi, s’exposent aux articles 21 alinéa 4 de la constitution et 642 du Code pénal pour « abus d’autorité dirigé contre l’administration par une personne investie d’un mandat électif public ».

Pour autoriser la prorogation inconstitutionnelle du mandat des députés par le président Alpha Condé, le groupe qui usurpe les fonctions des juges constitutionnels avait fondé son argument sur l’article 45 alinéa 2 de la constitution et sur l’article 2 alinéa 5 de la loi organique relative au règlement intérieur de l’Assemblée Nationale. Et c’est sur ce même fondement que le président Alpha Condé a pris le décret de prorogation dont l’article premier est reproduit ci-dessous :

« Article 1 : Conformément aux dispositions de l’alinéa 2 de l’article 45 de la Constitution, aux termes duquel le Président de la République assure le fonctionnement régulier des pouvoirs publics et la continuité de l’État, relevant du mandat de l’Assemblée Nationale en fonction, suivant le constat de la Cour constitutionnelle dans son avis juridique numéro 001 2019 CC du 10 janvier 2019, conformément à l’article 2 alinéa 5 de la loi organique numéro L 2017 030 AN du 04/07/2017 portant règlement intérieur de l’Assemblée nationale qui dispose que :  le mandat des députés de l’Assemblée Nationale expire à l’installation de la nouvelle Assemblée. L’Assemblée nationale est habilitée à continuer à assumer les fonctions législatives jusqu’à l’installation de la nouvelle institution parlementaire. »

Cependant, l’inconstitutionnalité du fondement de cette autorisation de prorogation du mandant des députés ne peut échapper à un étudiant de la deuxième année en droit.

Analyse du fondement de l’avis de la Cour constitutionnelle

C’est sur l’article 45 alinéa 2 de la constitution et sur l’article 2 alinéa 5 de la loi organique relative au règlement intérieur de l’Assemblée Nationale que la Cour constitutionnelle s’est fondée pour donner l’avis favorable à la prorogation du mandat des députés.

1-Article 45 alinéa 2 et 3 de la constitution

D’abord, j’ai observé une légèreté blâmable dans l’article 1er du décret qui, comme fondement du décret sur l’article 45, ne cite que son alinéa 2 alors qu’il est réellement fondé sur les alinéas 2 et 3 de l’article 45 de la constitution reproduits ci-dessous :

« L’alinéa 2 de l’article 45 dispose que:« Il (le président) veille au respect de la Constitution, des engagements internationaux, des lois et des décisions de justice ».

« L’alinéa 3 de l’article 45 dispose que : « Il (le président) assure le fonctionnement régulier des pouvoirs publics et la continuité de l’État ».

La lecture de l’article 45 alinéa 2 et 3 prouve que, par cette péremption de mandat des députés volontairement provoquée par le président Alpha Condé, il a intentionnellement violé ce même article 45 alinéa 2 et 3 qui exige de lui de « veiller au respect de la Constitution, des engagements internationaux, des lois et des décisions de justice (alinéa 2 de l’article 45) et d’assurer le fonctionnement régulier des pouvoirs publics et la continuité de l’État (alinéa 3 de l’article 45) ».

Cependant, la Cour constitutionnelle, au lieu de se fonder sur l’article 45 alinéa 2 et 3 qui est violé, pour constater l’inconstitutionnalité de cette situation pour cause de sabotage volontaire de l’Assemblée Nationale et éventuellement rappeler les sanctions prévues par l’article 119 de la constitution (haute trahison) auxquelles le président Alpha Condé s’est exposé, au contraire, elle s’est fondée sur le même article 45 alinéa 2 et 3 violé, pour justifier la constitutionnalité de la prorogation du mandat des députés !

Il est à retenir que la raison d’être de l’article 45 alinéa 2 et 3 n’est pas de légaliser les violations de la constitution intentionnellement provoquées (ex : légaliser la péremption du mandat des députés frauduleusement provoquée), mais, d’empêcher que la constitution soit violée (ex : il exige au président de respecter la constitution en organisant les élections aux dates prévues par la constitution). L’article 45 qui est violé ne porte pas de sanctions applicables aux violations constitutionnelles mais, des règles pour éviter que la constitution soit violée. Après la violation de la constitution, ce n’est plus alinéas 2 et 3 de l’article 45 qui opèrent, mais, des dispositions sanctionnant les violations constitutionnelles comme l’article 119 de la constitution qui consacre « la haute trahison » et l’article 21 alinéa 4 qui autorise le peuple en cas de forfaiture de ses représentants, de résister à leurs oppressions.

On dit que nul ne peut profiter de ses propres turpitudes. C’est-à-dire, le président Alpha Condé ne peut volontairement provoquer la péremption du mandat des députés et en être le principal bénéficiaire en profitant de cette situation pour proroger son propre mandat. Tout acte qui aura pour but d’atteindre cet objectif est constitutif de fraude à la loi donc illégal.

2-Article 2 alinéa 5 du règlement intérieur de l’Assemblée Nationale.

Pour déclarer la légalité de la prorogation du mandat des députés, la Cour constitutionnelle dans son avis juridique numéro 001 2019 CC du 10 janvier 2019, s’est fondée sur l’article 2 alinéa 5 du règlement intérieur de l’Assemblée Nationale qui dispose que : « le mandat des députés de l’Assemblée Nationale expire à l’installation de la nouvelle Assemblée ».

Il faut être ignorant ou de mauvaise foi pour opposer les dispositions du règlement intérieur de l’Assemblée Nationale qui relèvent de la loi organique, aux dispositions de la constitution qui est la norme de référence par excellence à laquelle la loi organique doit se conformée. Une loi organique (règlement intérieur de l’Assemblée Nationale) contraire à la constitution est illégale et ne peut primer sur la constitution.

Un règlement intérieur porte sa propre définition. Il est intérieur à l’Assemblée Nationale. Selon l’article 67 de la constitution, sa vocation est entre autres de : « déterminer la composition et les règles de fonctionnement du bureau de l’Assemblée, les modalités de création de commissions spéciales temporaires etc. Il n’a jamais pour vocation de se substituer aux dispositions constitutionnelles auxquelles il doit être conforme pour être légal. Il n’a pas non plus pour vocation de réguler le fonctionnement des institutions constitutionnelles. Le fait que l’article 2 alinéa 5 du règlement de l’Assemblée Nationale disposent que : « le mandat des députés de l’Assemblée Nationale expire à l’installation de la nouvelle Assemblée » a pour seul but de permettre aux députés sortants d’évacuer les affaires courantes en attendant l’installation dans les délais légaux, des députés nouvellement élus. Contrairement à l’avis de la Cour constitutionnelle, l’article 2 alinéa 5 du règlement de l’Assemblée Nationale n’a aucune vocation de légalisation des violations constitutionnelles permettant aux députés non élus de se maintenir dans leur fonction.

Quelles solutions légales envisager ?

S’agissant du président Alpha Condé qui a violé son serment, on ne peut parler de vide juridique en présence de l’article 35 de la constitution qui dispose que : « Le président de la République est installé dans ses fonctions après avoir prêté serment devant la Cour constitutionnelle, en ces termes :
« Moi ……., président de la République élu conformément aux lois, je jure devant le Peuple de Guinée et sur mon honneur de respecter et de faire respecter scrupuleusement les dispositions de la Constitution, des lois et des décisions de justice, de défendre les Institutions constitutionnelles, l’intégrité du territoire et l’indépendance nationale.
En cas de parjure que je subisse les rigueurs de la loi. » et l’article 119 dispose aussi que :  « Il y a haute trahison lorsque le président de la République a violé son serment, les arrêts de la Cour constitutionnelle, est reconnu auteur, coauteur ou complice de violations graves et caractérisées des droits  humains, de cession d’une partie du territoire national, ou d’actes attentatoires au maintien d’un environnement sain, durable et favorable au développement ». Cette flagrante violation de l’article 45 alinéa 2 et 3 est une violation du serment présidentiel, constitutive de Haute trahison et passible de la Haute Cour sur le fondement de l’article 119 de la constitution.

Attention ! Il est à signaler qu’avec cette péremption du mandat des députés donc aussi du mandat du président de l’Assemblée Nationale, en cas de vacance du pourvoir pour incapacité du président de la République, il n’y a plus de président de l’Assemblée Nationale pour assurer l’intérim. Une transition assurée par d’autres personnes que l’un des députés me semble une solution juste et légale car les députés complices de cette faillite de l’Assemblée Nationale ne doivent pas profiter des conséquences de leur propre forfaiture au préjudice du peuple.

Contrairement à ce que pensent certains acteurs politiques guinéens, la Haute cour compétente pour juger le président de la République pour haute trahison et les ministres pour les actes accomplis dans l’exercice ou à l’occasion de leurs fonctions, n’est pas une juridiction permanente. Sa composition même démontre qu’elle ne peut être permanente. Selon l’article 117 alinéas 1 et 2 de la constitution : « La Haute Cour de justice est composée d’un membre de la Cour suprême, d’un membre de la Cour constitutionnelle, d’un membre de la Cour des comptes et de six députés élus par l’Assemblée Nationale. Chacun des membres de ces cours est élu par ses pairs ».

Si cette Cour, majoritairement composée de députés était permanente, elle aurait posé un problème de confusion de pouvoirs du fait que les députés auraient cumulé de façon permanente le pouvoir exécutif et législatif, ce qui aurait été contraire au principe qui fonde notre démocratie c’est-à-dire la séparation des pouvoirs « exécutif, législatif et judiciaire ».    Sa composition étant connue, elle ne se met en place qu’après la mise en accusation du président de la République ou des ministres. Compte tenu de la rareté de cas de saisines de la Haute cour, il est inutile de créer une institution permanente très coûteuse qui, peut-être ne sera jamais saisie ou ne le sera qu’une fois par siècles dans les meilleurs des cas.

S’agissant des députés chargés de représenter le peuple et de contrôler l’action du gouvernement, ils se sont volontairement rendus complices ou même coauteurs de cette grave violation de la constitution et d’usurpation d’un des attributs de la souveraineté du peuple à savoir, le seul compétent pour désigner ses représentants à l’Assemblée Nationale.

Au sujet de la complicité des députés qui s’apprêtent à se livrer aux pillages des deniers publics en bande organisée, on ne peut pas parler de vide juridique. Plusieurs dispositions constitutionnelles et pénales peuvent leur être appliquées. En premier lieu, on peut recourir à l’article 21 alinéa 4 de la Constitution qui dispose que : «  Il (le peuple) a le droit de résister à l’oppression ». Il est à souligner que, le fait par les dirigeants de se mettre au-dessus de la loi tout en soumettant le peuple à l’arbitraire, est constitutif d’oppression dans le sens de l’article 21 alinéa 4 de la Constitution qui déclenche la résistance du peuple à l’oppression. En décidant de se maintenir dans leur fonction de façon illégale sans le mandat du peuple et de continuer à percevoir des revenus et avantages assimilables aux pillages des deniers publics, les députés se sont inscrits dans les pratiques oppressives dont le peuple est aujourd’hui victime. De ce fait, le peuple est en droit de chasser ces députés usurpateurs et ce président dont les faits entrent dans le champ de l’incrimination de haute trahison. Il reviendra au peuple d’imposer une transition qui serait assurée par une partie du peuple qui en aura la possibilité et l’adhésion populaire, qu’elle soit civile ou militaire.

Ces anciens députés s’exposent également aux dispositions de l’article 22 alinéa 6 de la constitution  selon lesquelles: « Les biens publics sont sacrés et inviolables. Toute personne doit les respecter scrupuleusement et les protéger. Tout acte de sabotage, de vandalisme, de détournement, de dilapidation ou d’enrichissement illicite est réprimé par la loi ». Cet article fait de la protection des biens publics un devoir qui s’impose à tout citoyen. Donc, le peuple est en droit d’user de tout moyen possible à sa convenance pour faire barrage aux pillages des biens publics auxquels certains députés sont sur le point de se livrer.

En plus de ces dispositions constitutionnelles, le vide juridique évoqué pour légaliser cette violation de la constitution est neutralisé par l’incrimination « d’abus d’autorité dirigé contre l’administration » prévue et réprimée par le Code pénal.

Ces anciens députés qui, légalement, ne bénéficient plus d’immunité parlementaire, peuvent être poursuivis dans les mêmes conditions que tout citoyen. De ce fait, leur maintien illégal dans leur fonction peut être constitutif d’incrimination « d’abus d’autorité dirigé contre l’administration » sur le fondement de l’article 642 du Code pénal qui dispose que : «  Le fait, par une personne dépositaire de l’autorité publique ou chargée d’une mission de service public ou par une personne investie d’un mandat électif public, ayant été officiellement informée de la décision ou de la circonstance mettant fin à ses fonctions, de continuer à les exercer, est puni d’un emprisonnement de 6 mois à 2 ans et d’une amende de 5.000.000 à 10.000.000 de francs guinéens ».

L’information officielle de fin de mandat exigée par l’article 642 du Code pénal ci-dessus mentionné est donnée par l’article 60 alinéa 2 de la constitution qui dit que:« La durée de leur mandat est de cinq ans, sauf cas de dissolution. Il peut être renouvelé ». Il est à préciser que le terme « sauf cas de dissolution » montre que le mandat des députés peut être écourté par la dissolution de l’Assemblée Nationale, mais, aucune prorogation de leur mandat n’est prévue dans la constitution. A noter que cette prorogation inconstitutionnelle du mandat des députés ne peut les mettre à l’abri de l’article 640 du Code pénal précité.

Attention ! Ce qui disent qu’en cas de départ des députés de l’Assemblée Nationale, le président de la république pourra gouverner  par ordonnance se trompent lourdement. Une ordonnance est une mesure législative prise exceptionnellement  par l’exécutif. Ce sont les articles 82 et 83 de la constitution qui régissent l’usage de l’ordonnance. Selon l’article 82 alinéa 1er :«  L’Assemblée Nationale peut habiliter par une loi le président de la République à prendre des mesures qui relèvent normalement du domaine de la loi, pour un délai donné et des objectifs qu’elle précise ».

On constate que le président ne peut prendre des mesures relevant du domaine de la loi s’il n’est pas habilité par une loi votée par des députés en cours de mandat car des députés dont le mandat est expiré ne sont plus des députés mais des usurpateurs de titre et de fonction. Cette habilitation doit avoir une durée dont les limites sont précisées. Le domaine concerné par l’habilitation doit aussi être précisé. Cependant, comme la Guinée n’a plus de député, tout acte relevant du domaine de la loi et qui serait pris par le président de la République non habilité par une Assemblée légalement installée est une usurpation de fonction et une confusion des fonctions exécutives et législatives, fait qui est constitutif de haute trahison dans le sens de l’article 119 de la constitution.

La solution légale qui s’impose à nous est une transition sans le président de la République qui nous a volontairement plongés dans cette faillite institutionnelle.

MAKANERA Ibrahima Sory, 

Chargé de cours de Droit à l’école de commerce et de management de Paris PPA.

Source : leguepard.