Ismaël Nanfo Diaby, professeur de N’Ko et certains de ses disciples sont inquiétés par les autorités locales de Kankan pour le motif, qu’ils ont fait prier des fidèles musulmans en usant de la langue malinké en lieu et place de la langue arabe, langue du Coran et de l’islam. Le 11 juillet 2020, sous la demande de la ligue islamique préfectorale de Kankan, l’imam et certains de ses disciples ont été détenu par la police de Kankan et ce lundi 13 juillet , sa mosquée a été saccagé par une foule en colère qui auraient même enfermés la famille de l’imam dans une maison avant de procéder aux saccages.
Quel est le regard du droit face à cette situation ?
Cette question pourrait peut être énervée les personnes qui pensent que cette situation relève de la
religion et que le droit ne devrait pas intervenir dans le débat. Car, pour ces personnes la religion et
le droit sont des domaines hermétiquement séparés. Le juriste devrait donc laisser les religieux ou
les croyants mener le débat. Ces personnes ont raison pour une part, en effet religion et droit sont
des domaines distincts. Toutefois, nous sommes en Guinée, un Etat doté d’une constitution qui
garantit les droits et libertés de ses citoyens. Lorsqu’un citoyen est empêché d’exercer ses droits, de
vivre selon sa vision du monde dans le respect des lois de la République, le droit est obligé d’intervenir.
Certains nous objecteront que la majorité de la population souffre de grandes violations de leurs droits les plus élémentaires, qu’à cela ne tienne, la souffrance de la majorité ne donne pas le droit à cette dernière le droit de fouler aux pieds les droits d’un autre citoyen. D’autant que ce dernier n’est ni un responsable politique et encore moins un administrateur de l’Etat. Le juriste est donc obligé d’intervenir non pour dire que Nanfo et ses disciples ont raison ou tort. Cette question relève d’un débat interne entre les musulmans. Toutefois, lorsque Nanfo Diaby et ces disciples sont empêchés d’exercer leur droit, que leur liberté religieuse est niée, que leur intégrité physique soit menacé et que leurs bien soient en dangers. Le juriste a une obligation éthique d’intervenir pour rappeler dans quel Etat sommes nous, rappeler le droit.
La question fondamentale qui se pose est celle-ci : prier dans sa langue maternelle constitue-elle
une infraction pénale en Guinée ?
La réponse à cette question est très simple. Il n’y a aucun texte juridique qui se prononce sur la question. En principe, ce n’est pas une infraction pénale. Toutefois, au vu des agissements des autorités locales de Kankan qui ont procédé à l’arrestation et à la détention de Nanfo Diaby et ses disciples, nous constatons qu’en Guinée nous ne sommes pas tous au même niveau de compréhension des lois.
Que des populations motivées par leur foi soient remontées contre l’imam Nanfo et ses amis peut se
comprendre mais l’usage des moyens publics pour contraindre un citoyen a abandonné sa pratique
religieuse est une violation du principe de laïcité de l’Etat et des droits fondamentaux du concerné
(I). Toutefois, ne serait-il aussi nécessaire de comprendre le geste Nanfo ? Prier dans sa langue
maternelle ne serait-il le symbole d’un nationalisme religieux (II).
I- L’arrestation de Nanfo, une violation du principe de laïcité, principe nécessaire à la paix sociale
On a tendance à dire que le principe de laïcité est un principe occidental qui ne pourrait s’appliquer à l’Afrique en général et à la Guinée en particulier. Cette position part d’une mauvaise compréhension du principe. Une explication s’avère nécessaire pour une meilleure compréhension afin de construire la paix sociale.
Le terme laïc signifie une personne qui ne fait pas partie d’une religion, historiquement il s’agissait de ceux qui ne faisaient pas partie du clergé. L’enseignement laïc est l’enseignement dispensé hors du cadre des principes religieux.
Le principe de laïcité est apparu afin de remédier à l’intolérance religieuse dans une société, dans un
Etat. L’Etat ou la République ne pouvait continuer à refléter une religion déterminée car cela constituerait une menace grave dans une société plurielle. Machiavel, Jean Bodin… avaient compris les périls que constituaient les religions d’Etat. Les massacres et les persécutions des populations européennes du fait de divergences religieuses plaçaient les Etats européens dans une instabilité permanente. Il fallait donc que l’Etat s’extirpe de la religion afin de survivre et d’organiser la vie en société.
La laïcité implique donc une séparation de la religion de l’Etat. L’Etat, c’est-à-dire les institutions publiques et les fonctionnaires qui s’occupent de l’organisation de la vie en société ne doivent plus
afficher l’appartenance à une religion, intervenir dans l’organisation des cultes, ou encore trancher
les litiges avec des règles religieuses.
La laïcité implique la neutralité de l’Etat et impose l’égalité de tous devant la loi sans distinction de
religion ou de conviction… elle garantit aux croyants et aux non-croyants le même droit à la liberté
d’expression de leurs croyances ou convictions.
Cette laïcité est donc importante pour la vie en société. Car, elle le socle de la tolérance religieuse et garante de la vie sociale. La religion est un fait social qu’on ne peut ignorer, croire fait partie intégrante de l’humain en général mais surtout de l’homme africain qui a toujours été un être spirituel. Mais, il est évident qu’il n’y a jamais eu d’unanimité, de consensus en matière religieuse.
Et imposer ce consensus relèverait d’une tyrannie dangereuse à la consolidation de la paix sociale.
C’est d’ailleurs dans ce sens que Thomas Paine disait que : « de toutes les tyrannies qui frappent
l’humanité, la pire est la tyrannie en matière de religion ».
Les esprits intolérants ou les croyants zélés nous objecteront que les développements ci-dessus montrent bien que le principe de laïcité est une importation occidentale, tout comme le concept d’Etat. Et refuser de s’y plier un acte de dignité et de foi. Toutefois, ces personnes font abstraction du fait que l’islam aussi est née en Arabie, professer dans une langue arabe qui n’était pas historiquement une langue africaine et qu’il est apparu en Afrique par suite des conquêtes. L’origine étrangère d’une règle, d’une foi ne devrait pas constituer un motif qui rendrait illégitime son application. Il faut voir si cette règle ou cette foi répond aux besoins des populations.
On peut affirmer sans nous tromper que l’Islam et laïcité ne sont pas contradictoires bien au contraire, la tolérance religieuse qu’implique la laïcité trouve des origines aussi dans l’Islam. Car l’un des principe fondamental de l’Islam est ceci: « nulle contrainte en religion » Sourate 2 verset 256. On peut trouver suffisamment de passages du Coran qui incite à la tolérance religieuse, ce qui montre avec aisance la conciliation entre Islam et laïcité.
Nous sommes en Guinée et non Arabie-Saoudite, un Etat qui a inscrit le principe de laïcité dans sa
constitution. On peut ne pas être d’accord avec Nanfo mais, il ne doit pas être persécuté pour sa
conception de l’islam. L’Etat doit veiller à ce qu’il ne soit pas persécuté et non participer à sa persécution. Car, en le faisant, il viole lui-même un principe fondamental garant de la paix sociale.
Le principe de laïcité protéger la liberté de conscience, d’expression. Des libertés essentielles à une
société démocratique L’arrestation de Nanfo par les autorités locales de Kankan sur la demande de
la ligue islamique locale est une violation du principe de laïcité, du principe de la neutralité que
l’administration doit observer vis-à-vis de la religion. Imaginons que d’autres confessions se lancent dans cette démarche vis-à-vis de certaines personnes qui seraient en rupture avec elles en demandant l’usage de la force publique pour réprimer des pratiques religieuses déviantes ? L ‘Etat ne deviendrait -il pas donc un instrument aux mains des religieux ? Et de quelle religieux s’agira-t-il ? Les chrétiens ou les animistes pourraient-ils eux aussi recourir à l’usage de la force publique pour les mêmes raisons ?
Il faut donc éviter d’ouvrir la boite de pandore. Les autorités devraient appeler Nanfo et la ligue islamique à la discussion. La Guinée appartient à tous les guinéens et aucun guinéen ne devrait être persécuté à cause de ses convictions religieuses. La ligue islamique devrait appeler les croyants zélés de Kankan à la retenue et à la discussion. Les comportements indignes et inhumains que nous avons vu sur les réseaux sociaux sont une honte pour l’Islam. Le musulman est une personne tolérante même quand, elle est en désaccord avec une personne. La dernière solution est la distanciation mais non la destruction, c’est d’ailleurs ce qui ressort de la sourate 109, Al-kâfirûn dont le verset final dispose que : « vous (les mécréants) vous avez votre religion et moi, j’ai la mienne »
On pourrait organiser la mise à l’écart de Nanfo, vu que sa conception semble polémique, marginale
et discutable. Toutefois, attenter à sa vie, à ses biens est un acte assimilable au terrorisme, c’est d’ailleurs les terroristes qui refusent le vivre ensemble et voudraient imposer une vision uniforme de l’islam, de la société. Les divisions en islam avait déjà été prédit par le prophète. N’avait-il pas dit que sa religion se diviserait en 72 branches et que la seule qui aurait le salut, serait celle qui suivrait le Coran et sa sunna ? Sommes nous- ceux qui devront s’opposer à la réalisation d’une vision prophétique et faire mentir cette dernière ? Ou au contraire s’abstenir de tout jugement et travailler à nous perfectionner personnellement ?
II- comment comprendre le geste de Nanfo Diaby : serait-il l’incarnation d’un nationalisme africain ?
Nanfo Diaby est un professeur N’ko, une écriture dont le but est posé la pensée mandingue sur un support au même titre que l’écriture française, anglaise, chinoise ou arabe. Le N’ko est un système de transcription des sons, les mots de langue Mandingue, l’un des précurseur de cette écriture fut Souleymane Kanté. L’objectif était doté l’Afrique d’un système d’écriture propre à elle qui ne serait pas l’importation des écritures latines et arabes. Un système véritablement adapté aux contraintes d’une langue africaine dont l’écriture de certains mots ou conceptions ne se faisaient qu’à coup de mutilation de ces derniers lorsqu’il s’agissait de les écrire avec l’alphabet français ou arabe.
Cette démarche traduit une volonté d’émancipation de la pensée mandingue des carcans des écritures importées et imposées aux africains. Le professeur Kanté fera d’ailleurs beaucoup publications en écriture N’Ko afin de donner des corpus adaptés à ses concitoyens. Il alla jusqu’à la traduction du Coran et certains livres fondamentaux islamiques pour rendre l’accès aisé à ses concitoyens. On peut dire qu’il était fier de sa langue, de sa culture et qu’à en aucun moment, il n’a douté de l’égalité de cette dernière à l’égard des autres langues et cultures.
Toutefois, on peut dire que Nanfo a poussé à l’extreme cet amour pour le N’ko, du malinké. Prier
en Islam dans une langue autre que l’arabe est une démarche « rebelle » voir « révolutionnaire ».
Car elle bouleverse la conception qu’une immense majorité des musulmans se fait de l’islam et de l’acte prier. Nanfo n’a cessé de répéter et de faire des déclarations de son amour pour sa culture, sa langue. Prier, est un acte pieu qui noue un rapport entre le croyant et le créateur. C’est un rapport intime dans lequel le croyant confie à son créateur tous ce qu’il a de profondément enfoui en lui, ses doutes, ses peurs, ses espérances… Et quelle support peut-il transmettre, exprimer de manière fidèle nos angoisses, nous espoirs intimes? Indubitablement notre langue maternelle. Nanfo est un musulman, d’abord africain et qui tient à ses racines. Lire, traduire le Coran en malinké, pour prier Allah avec, révèle à la fois l’amour de sa langue et d’Allah. Nanfo a essayé de concilier les deux. La majorité des musulmans prient en arabe sans souvent comprendre aucun mot de cette langue, comment peuvent-ils prétendre être sincères lorsqu’ils ne comprennent pas exactement ce qu’ils disent ?
Sa démarche est polémique, car elle entraine une nationalisation de l’islam qui risquerait de la coupe de ses origines arabes. Ainsi, les africains pourraient se libérer des contraintes de la langue arabe.
Toutefois, il est évident que l’islam ne serait plus le même. Les rapports entre l’Islam et la langue est dialectique. Concevoir, un islam détaché de la langue arabe est vraiment difficile. C’est d’ailleurs ce qui fait peur aux croyants et qui les met vent debout contre Nanfo. Car, ce dernier les entraine dans un horizon pas trop clair. Et il est naturelle d’avoir peur lorsqu’il faut avancer dans l’inconnu.
Néanmoins, on peut dire que l’amour pour son pays, sa nation commence par l’amour de sa culture et de sa langue. Et à ce niveau Nanfo a poussé loin cet amour jusqu’à la mettre en lien avec ses convictions musulmanes. Cette conciliation trouvée portent les signes d’un nationalisme religieux à l’état embryonnaire qui s’il se développe pourrait créer un islam africain. Si cela paraitra comme une démarche révolutionnaire ou déviante. Toutefois, il ne faut pas oublier que le Bouddhisme chinois, le confucianisme sont des adaptation locale d’une religion née en Inde. Cela ne sera pas une grande nouveauté dans le domaine des religions.
Pour conclure, nous pouvons affirmer sans nous tromper que l’arrestation et la détention de Nanfo et de ses disciples constitue une violation manifeste du principe de laïcité. Principe que nos autorités n’ont toujours pas compris le bien fondé. Un travail de pédagogie s’avère nécessaire afin que l’Etat s’élève au dessus des débats religieux et observer une neutralité. N’intervenir que lorsque des vies humaines et la paix sociale sont en périls. Faire respecter les droits des citoyens. Nos différentes constitutions consacrent et protègent la liberté de culte et d’expression. Ensuite, il faut rappeler que nous sommes signataires de conventions internationales qui protègent ces droits fondamentaux. C’est donc aller à contre courant des principes d’un Etat de droit que de permettre la persécution d’un citoyen à cause de ses convictions religieuses. L’Etat doit protection à Nanfo et à ses disciples. S’il ne donne pas droit à cette protection, il engage sa responsabilité internationale.
En ce qui concerne la position de Nanfo, celle-ci relève d’un débat interne à l’islam. Il a ses arguments au même titre que ses détracteurs. Nanfo ne renie nullement sa foi musulmane, bien au contraire il l’affirme avec sa langue maternelle. C’est une démarche à connotation nationaliste.
Toutefois, sa démarche nous conduit à nous interroger sur comment organiser et arranger la diversité des langues, des cultures au sein de l’islam sans le dénaturer. Mais, aussi permettre à ce que ceux qui ne sont pas arabes puissent s’y trouver sans perdre leur culture. C’est un débat qui devrait se faire dans le calme, arguments contre arguments dans le respect de la dignité et la vie de tous.
Par Aguibou Baldé, doctorant en Droit privé à l’université de Bourgogne.