La Guinée reste depuis plusieurs mois plongée dans une crise socio-politique sans précédent. Et la situation évolue de mal en pire. De manifestation en manifestation, d’arrestation en arrestation, d’emprisonnement en emprisonnement, les guinéens vivent dans un désespoir, avec une véritable psychose. A cela, s’ajoutent: précarité, chômage et sous-emploi et manque de formation de qualité. Une situation qui hante plus d’un. Pour en parler du fond en comble de cette triste réalité, notre rédaction a interrogé un activiste sur la question. Au micro de maguineeinfos.com, Alghassimou Porédaka Diallo, expert en développement passe en revue sur la situation actuelle du pays.
Répondant à nos questions, notre interlocuteur a proposé une avalanche de solutions à explorer, en vue d’une véritable sortie de crise.
Quelle lecture faites-vous sur la situation politique en Guinée ?
Elle est chaotique et la crise n’a jamais atteint un tel niveau de gravité. A mon avis, les positions sont devenues inconciliables. Contrairement à ce qu’on voit ailleurs, en Guinée, les problèmes politiques ont pris une nouvelle tournure et ne sont pas que bipolaires. Traditionnellement, une crise politique nationale divisait toujours la mouvance et l’opposition, ou les gouvernants et les gouvernés mais en Guinée nous avons désormais l’impression qu’il y a une opposition qui s’oppose à une autre opposition. Nous avons donc plusieurs parties prenantes incapables d’accorder leur violon pour le bien être du pays et du peuple.
Il y a beaucoup d’activistes de la société civile ou d’opposants qui se battent pour une véritable démocratie. Mais en fin de compte ils se retrouvent dans les prisons et sans que leurs luttes n’arrivent à aboutir. Qu’est ce qui pourrait être à la base de ce manque de résultats ?
D’abord, il est important de reconnaitre qu’on n’utilise pas les armes de la démocratie pour lutter contre un régime autocratique. Le régime qui gouverne la Guinée depuis 2010 n’est pas un régime démocratique. Alpha Condé, en 10 ans de règne n’a jamais arrêté de piétiner la constitution et les règles démocratiques. En 10 ans, il a réinstauré un Etat policier en République de Guinée. Il divise pour régner. Les manipulations politiques, l’instrumentalisation de la fibre ethnique, le recours à l’achat des consciences et la division sociale sont ses principaux instruments de gouvernance. Dans un tel contexte, soyons d’accord qu’une lutte démocratique qu’elle soit politique ou citoyenne a très peu de chance d’aboutir. En fin, il faut aussi et surtout dire que les repressions sauvages orchestrées par la milice du régime sont de nature à décourager les actions de l’opposition politique et sociale. Sans oublier le fait qu’en Guinée, beaucoup de leaders politiques et sociaux se lancent dans l’arène sans conviction, ce sont en majorité des opportunistes qui recherchent une place au soleil. Ils se battent pour des intérêts égoïstes et sont à la recherche de postes ou de l’argent. Depuis 2010, le peuple a eu l’opportunité d’en compter des centaines qui sont passés à la mangeoire et qui ont fini par insulter leur propre dignité.
Quel est le constat aujourd’hui entre la jeunesse et la politique dans le pays ?
Faute d’opportunités d’emploi et de formation, beaucoup de jeunes guinéens sont devenus des militants politiques et des communicants notamment dans les médias et les réseaux sociaux. Ce qu’il faut déplorer, c’est que les partis politiques ne disposent pas de politique de formation et d’encadrement de leurs jeunes militants. Au contraire, on a l’impression que les leaders politiques profitent du manque de formation des jeunes pour faire d’eux des militants démagogiques qui s’insultent au quotidien par médias interposés. Aucun parti à ce que je sache ne forme ou oriente ses militants sur son idéologie, la formulation et le suivi des politiques publiques, la décentralisation et le développement local, la citoyenneté, la démocratie et les droits humains. Ils n’offrent pas non plus des opportunités en termes d’insertion économique. Pour terminer, à observer de près les jeunes militants promus à des postes de responsabilité notamment dans l’administration publique, ils ont des pratiques professionnelles et politiques plus graves pour le pays en termes de corruption et d’éthique.
Nous constatons le taux de chômage qui grimpe du jour au lendemain avec la mise à disposition sur le Marché des nouveaux diplômés qui ne correspondent pas souvent aux attentes des employeurs. Selon vous qu’est-ce qui pourrait expliquer ce manquement ? Quelle solution envisagez-vous pour remédier à ce fléau ?
Disons-le clairement depuis plusieurs années maintenant notre système scolaire, professionnel et universitaire est totalement en perte de vitesse. La qualité n’y existe plus. Nos universités et écoles professionnelles emploient des enseignants non qualifiés et les étudiants n’ont pas l’opportunité de pratiquer en cours de formation.
Aujourd’hui il est plus qu’indispensable de revoir les contenus et méthodes d’enseignement notamment au niveau des écoles secondaires et supérieures. Les contenus des apprentissages doivent être adaptés aux réalités du moment et les employeurs doivent désormais être impliqués dans la définition des contenus des formations.
Le système éducatif et surtout celui des évaluations ne contribuent aucunement pas à préparer des hommes et des femmes aptes à travailler mais plutôt des chômeurs potentiels.
Je suis surtout pour que les offres de formations dans les lycées, écoles professionnelles et universités soient obligatoirement accompagnées par des travaux pratiques, j’opterais même pour du 50/50.
Il faut aussi et surtout qu’au niveau du continent Africain et dans les espaces d’intégration régionale que nos dirigeants pensent à harmoniser les offres de formations et facilitent la mobilité et les échanges entre les étudiants et les enseignants. Nous sommes déjà à l’ère de l’intégration de l’emploi, pourquoi continuer à former sur des contextes renfermés sur l’échelle pays ?
Enfin, je pense que de plus en plus nos universités et Instituts d’enseignement supérieur devraient s’ouvrir à des enseignants venant des entreprises et du terrain plutôt que de continuer à les fermer sur les logiques des enseignants dits chercheurs mais qui ne cherchent presque rien car toujours tournés sur un monde livresque.
Pour espérer former des travailleurs qui répondent aux attentes du marché du travail, une réforme en profondeur s’impose. Mes propositions en 6 points :
1. Se convaincre et accepter que ce système est obsolète et nécessite une nouvelle impulsion
2. Concevoir et adopter de nouveaux curricula pour l’enseignement général en Guinée
3. Définir de nouvelles méthodes d’apprentissage et d’évaluation
4. Choisir les meilleurs enseignants actuels et y adjoindre d’autres en tenant compte de leurs compétences, de leur intégrité mais aussi et surtout de leurs aptitudes et motivations à enseigner
5. Revoir les types d’infrastructures, d’équipements et surtout adapter le système au contexte actuel des besoins du pays et du monde
6. Privilégier les offres de formation professionnelle et renforcer les opportunités de pratiques pour les étudiants.
Beaucoup de jeunes veulent se lancer dans l’entrepreneuriat sans succès et sont confrontés à d’énormes problèmes de financement, de formation et parfois d’organisation. D’abord quelle solution envisagez-vous et Pensez-vous que l’entrepreneuriat est un impératif pour le développement ?
Malheureusement le système d’’enseignement en Guinée ne permet pas à la grande majorité des diplômés de se lancer facilement dans l’entreprenariat. En dépit de cet état de fait et de toutes les difficultés inhérentes au cadre institutionnel et légal, il faut reconnaitre qu’actuellement la Guinée dispose de jeunes talentueux et entreprenants. Des porteurs de projets aussi géniaux les uns que les autres, il en existe. Des jeunes qui nourrissent le rêve d’une Guinée qui bouge. Malheureusement, pour passer de l’idée à la réalité, du projet théorique à l’entreprise active, les obstacles sont légion. Il faut dire que l’environnement politique, social et surtout économique pose un véritable défi. Ce qui ne permet pas de passer du rêve à la réalité, de la conceptualisation théorique à la concrétisation pratique, du statut de chômeur à celui d’entrepreneur. Toutefois certains ont réussi mais ils sont peu et leurs histoires sont des véritables modèles de persévérance.
Si nos gouvernants veulent aider les jeunes à réussir leurs rêves d’entreprendre et à résorber les nombreux problèmes de chômages, il doit obligatoirement œuvrer à réorienter les curricula vers un enseignement et une formation professionnalisant afin de permettre à la jeunesse d’avoir les outils nécessaires à la création et à la gestion d’entreprises. Pour ce faire, au-delà des formations et le coaching, Il faut aussi et surtout résoudre le défi d’accès aux financements pour ceux qui choisissent de s’orienter vers l’entreprenariat.
Une fois que le gouvernement et ses partenaires au développement auront réussi à faciliter l’accès au financement pour le démarrage ou le renforcement des investissements, il faut mettre en place un dispositif de formation continue et d’accompagnement pratique visant à doter les entreprises d’outils, de conseils et de compétences spécifiques à leurs besoins. Il faut en effet résoudre les défis de survie car nombreuses sont des initiatives entrepreneuriales qui disparaissent malgré l’accès à des opportunités de financement.
Face aux crises économiques récurrentes que connaissent nos pays, à l’augmentation rapide de la population jeune et aux défis sans cesse croissants de raréfaction des ressources naturelles, l’entreprenariat devient un impératif de développement en ce sens qu’il peut contribuer à résoudre les problèmes d’insertion sociale et de création de richesses. C’est aussi, un véritable chemin de promotion des innovations sociales.
Mais pour moi, contrairement aux stratégies actuellement utilisées en Guinée par l’Etat, la stratégie la plus efficace pour soutenir l’entrepreneuriat est d’identifier et d’accompagner ceux qui sont déjà dans l’action.
Pensez-vous qu’un dialogue politique sincère qui permet de sortir de la crise est envisageable entre les acteurs ?
Il est envisageable à deux conditions à mon avis, (1) que Monsieur Alpha Condé accepte de se retirer car il n’est plus légal et encore moins légitime et (2) que l’actuelle Assemblée Nationale soit dissoute car elle n’est pas légitime non plus. Ce dialogue doit être inclusif et facilité par des personnes ressources nationales. Il faut que les guinéens apprennent à se faire confiance.
Par ailleurs, pour la stabilité du pays au plan institutionnel, je recommande vivement que les élections présidentielle et législatives soient désormais couplées et que les élections locales se tiennent juste 6 mois au maximum après le double scrutin présidentiel et législatif de sorte à planifier toutes les élections la même année de manière à permettre aux élus de se focaliser sur les défis du développement.
Interview réalisée par Siradio Kaalan Diallo