Après la conquête de la région forestière par les troupes françaises au début du 20ème siècle, l’administration coloniale établit son siège régional à Macenta. La cité de Zégbéla Topka Pivi avait l’avantage de se trouver en amont du fleuve Diani, limite naturelle entre les préfectures de Macenta et N’Zérékoré. Ensuite, il s’agissait de la plus grande cité de la zone à cette époque. Jusqu’à l’indépendance, les affaires courantes de l’entité régionale se discutaient et se traitaient à Macenta. À l’indépendance de la Guinée en 1958, la donne resta la même. C’est à Macenta que résidait le ministre délégué de la province (actuel gouverneur de région) ainsi que toute l’administration décentralisée au niveau de la Guinée-Forestière. Il est à noter que les ministres délégués de provinces avaient un rôle plus important que les actuels gouverneurs de région. contrairement à leurs successeurs, les ministres délégués de provinces participaient de façon mensuelle aux conseils des ministres.

Dès les premières années de notre indépendance, Macenta était miné par le récurrent différend entre les communautés toma et mania. Le ministre délégué de province en plus de ses obligations administratives, avait la lourde charge de faire la médiation entre ces communautés pour apaiser la cité. En 1965, un énième conflit communautaire éclata dans la localité. Les délégations des deux communautés se rendirent au bureau de N’Fanmara Keita alors ministre délégué de la province de Macenta. Excédé par la situation, N’Fanmara Keita proposa aux délégations des deux communautés protagonistes, une rencontre à sa résidence un dimanche. Ensuite, il appela le gouverneur de la region de N’Zérékoré (actuel préfet), Teliwel Diallo, afin que ce dernier lui trouva un pied-à-terre dans sa ville. À la veille de la rencontre avec les délégations de ces communautés, il informa le gouverneur de région (actuel préfet) de Macenta, qu’il se rendait à N’Zérékoré le même jour. Il prit son véhicule de commandement le soir et se rendit à N’Zérékoré.

Le jour J, les deux délégations se présentèrent comme prévu à la résidence du ministre délégué. A leur grande surprise, elles ne le trouvèrent pas. Très remonté, les membres des deux délégations se rendirent à la résidence du gouverneur. Ce dernier les reçut, pour les écouter. Avant toute parole, ils demandèrent après le ministre délégué. Le gouverneur les informa que le ministre délégué était parti à N’Zérékoré. Face au lapin posé, les personnes présentes à la résidence du gouverneur se mirent dans une colère noire. Ils exigèrent du gouverneur qu’il transmette leur doléance de révocation du ministre délégué au président de la république. Sur le coup, les membres des deux délégations qui se regardaient en chiens de faïence, se mirent enfin d’accord. Le gouverneur leur demanda de transcrire ladite doléance sur un papier et qu’à son tour, il allait l’adresser à qui de droit. Après la rédaction de la lettre, les représentants des deux communautés firent du chantage au gouverneur sous fond de menace de mort. Il avait le choix entre prendre son véhicule de commandement, se rendre à Conakry pour remettre la doléance au chef de l’Etat, Sekou Touré ou se faire tuer. Face à la dangerosité de la situation, le gouverneur prit son véhicule de commandement le même jour pour se rendre à Conakry.

Arrivé à Conakry, le gouverneur de Macenta rencontra très rapidement Sékou Touré, il le fit le point de la situation. Le président guinéen d’alors, proposa de rencontrer les deux délégations. A son retour à Macenta, le gouverneur leur fit le compte-rendu de son entretien avec le chef de l’Etat. Comme convenu, les deux délégations: toma et mania, se rendirent au palais présidentiel à Conakry. Ils réitérèrent leur doléance en invoquant le lapin posé par le ministre délégué, une attitude qu’elles considèrent comme une insulte à leur encontre. Le président Sékou Touré prit ensuite la parole, il leur signifia qu’il comprenait parfaitement leur colère ainsi que leur volonté de révocation du ministre délégué. Cependant, il leur expliqua que le ministre N’Fanmara Keita était membre du bureau politique national au même titre que lui. Ayant le même statut au sein de l’appareil politique du parti-Etat, une telle décision ne pouvait émaner que du bureau politique national. il indiqua aux représentants des deux communautés qu’une réunion du bureau politique national allait se tenir dans un bref délai. Soulagés et rassurés, les membres des deux délégations rentrèrent à Macenta en pensant avoir gagné la partie. Sauf que la fameuse réunion du bureau politique national n’aura jamais lieu.

Les successeurs de N’fanmara Keita prirent l’habitude de résider tous à N’Zérékoré. peu à peu les services décentralisés de l’État leur emboitèrent le pas. C’est ainsi que Macenta perdit de fait son statut de chef-lieu de province. Face à cette réalité, l’Etat finit par accorder ce statut à N’Zérékoré.

Par Abdoul Salamy Sylla