King Détruit

Avec son look déjanté et son énergie débordante, le chanteur King Détruit fait fureur dans les quartiers populaires de Conakry. Rencontre avec l’artiste avant son premier grand concert dans la capitale guinéenne le 27 mars prochain.

Dans la petite chambre sans fenêtre se déroule un étonnant cérémonial. Au milieu de ses propres portraits, sous la lumière tamisée des ampoules rouges et bleues, il enfile des chaussettes à têtes de mort, noue une serviette blanche autour de sa taille et pose un magnifique peignoir fuchsia sur ses épaules. En quelques instants, Facinet Camara, un timide jeune homme de 22 ans à la voix légèrement cassée et au français hésitant des gamins qui n’ont pas trop traîné à l’école, se métamorphose en l’ambianceur de choc King Détruit.

En Soussou, sa langue maternelle, « celui qui ‘détruit’ c’est celui qui met l’ambiance », explique-t-il. Rien de négatif donc. « Il a détruit le coin », dans l’Hexagone, on dirait « il a tout déchiré ». Sa réputation de trublion y est pour quelque chose.

Un look unique

Le « King » détruit d’abord les codes vestimentaires. Son look est composé de fripes récupérées au grand marché de Conakry où sont déversés quotidiennement les vêtements d’occasion venus d’Europe. « Ce que les gens n’aiment pas, ce qu’ils jettent, c’est ce que j’aime !«  sourit-il en essayant un polo surdimensionné vert pastel.

Plus de 50 « pyjamas » comme il les appelle, débordent d’une valise posée au sol. « J’en ai tellement que je vais vous en offrir un ! » lance-t-il en nous tendant une robe de chambre aux rayures jaunes et noires. « Je plaisante, c’est l’un de mes préférés ! » ajoute-t-il devant notre air dubitatif. Son style, assure-t-il, véhicule un message : « quelle que soit la valeur de tes vêtements, sois fier de ce que tu es. »

Dans le quartier, les passants l’interpellent. Son nom de scène orne les murs ainsi que la devanture d’une petite baraque à côté de la mention « salon de coiffure ». Le chanteur y pénètre pour la touche finale.

Sans trembler, le maître des lieux fait glisser la lame de rasoir nue sur le crâne, laisse les côtés, qu’il décolore. « Regardez comme ça brille ! » s’exclame King Détruit visiblement très satisfait. « C’est un hommage à mon grand-père, explique-t-il, il avait beaucoup de succès avec les femmes. Je lui ai piqué sa coiffure en espérant que ça marche aussi pour moi. »

Enfant de pauvres

Pas le temps d’en savoir plus : le chanteur se lance dans une interprétation a cappella de son premier titre Ibotèkhi (plusieurs dizaines de milliers de vues en ligne), reprise en chœur par tous les clients du salon. Il nous en donne la traduction : « Tu es beau / je suis beau. Tu manges / je mange. Tu dors / je dors. Tu t’habilles / je m’habille. Tu fais caca et moi aussi ! »

Les paroles lui viennent en regardant passer les 4×4 aux vitres teintées des nouveaux riches de la capitale. « J’avais envie de leur dire : tu as beau être bien habillé, au fond on est les mêmes alors donc garde ton mépris ! »

King Détruit habite encore le quartier populaire de Yimabaya, en banlieue de la capitale guinéenne. « Je suis un enfant de pauvres dans un quartier pauvre », explique-t-il en désignant le filet d’eau usée qui zigzague suivant l’inclinaison de la ruelle. « Certains artistes se mettent en scène dans des hôtels 5 étoiles, moi, ma musique vient d’ici et je veux montrer aux gens comment je vis ». « Détruit », le qualificatif sied bien à la zone.

King Détruit vient de loin. À 11 ans, il doit quitter ses parents qui n’ont pas les moyens de nourrir cet enfant turbulent et peu attentif. « Je suis d’abord allé chez mon oncle, raconte-t-il, il n’y avait qu’une pièce et je dormais par terre. Mais ça s’est mal passé et il m’a mis à la porte. » À la rue, il dort pendant plus d’un an dans un cabanon de tôle, prêté par un ami. Aujourd’hui, l’endroit sert de débarras et c’est avec une pointe de nostalgie qu’il l’évoque : « je n’étais pas si mal ici, dit-il en replaçant un morceau de carton pour couvrir une ouverture dans la taule, j’étais avec mes amis et j’avais même la télé. C’est ici que j’ai chanté pour la première fois. »

L’adolescent enchaîne les petits boulots : « j’ai nettoyé les caniveaux, cassé des cailloux, lavé les voitures… Ça m’a donné la force qu’on retrouve dans ma musique. » Il est ensuite recueilli par sa grand-mère, une petite dame qui rajuste son voile en voyant arriver son petit-fils en compagnie d’un journaliste sur son stand au bord de l’autoroute. « Elle vend des médicaments traditionnels, explique-t-il en taillant des petits copeaux d’écorce qui tombent à ses pieds, celui-là par exemple c’est pour augmenter la chance. J’en ai pris beaucoup, la preuve que ça marche ! »

Des deux êtres émane une intense complicité. « J’ai mis longtemps à lui avouer que je faisais de la musique. Elle entendait mes chansons à la radio sans se douter de rien ! Un jour je vais te sortir de là et t’offrir une maison », lui promet-il.

En pleine ascension

En attendant, l’artiste poursuit son ascension malgré le contexte peu favorable. Il décroche un concert au Palais du peuple de Conakry, où se produisent les plus grands artistes guinéens et internationaux. Initialement prévu pour mars 2020, il est reporté d’un an, comme tous les événements culturels à cause de l’épidémie de coronavirus.

Loin de se décourager, il mobilise dans son royaume. Le haut-parleur est monté sur un diable poussé par son manager et King Détruit s’empare du micro sans fil à la conquête de la ville. En un rien de temps, des dizaines d’enfants se mettent à le suivre tel le joueur de flûte. Un véritable concert de rue s’improvise et chacun y va de son pas de danse sous le regard désapprobateur des mamans qui rentrent du marché. « Rendez-vous le 27 mars pour détruire le Palais du peuple ! » lance-t-il à son public.

Un peu à l’écart, adossé à l’étal d’une « pharmacie par terre », un homme contemple la scène le sourire aux lèvres. C’est Fadimba Coulibaly, ami de King Détruit et propriétaire du cabanon de fortune où l’artiste a dormi. « Pour un jeune parti de rien, il a un courage extraordinaire, confie-t-il, c’est un exemple pour tous ».

RFI