Depuis quelques mois l’économie guinéenne en particulier s’affaisse du jour au lendemain à cause de la crise sanitaire qui secoue d’un côté et la mauvaise gestion de la chose publique de l’autre côté estiment quelques analystes. Pour faire face à tous ces défis, les autorités guinéennes continuent bien que mal à promouvoir les investissements privés et le partenariat publics-privés pour améliorer le climat des affaires en encourageant les jeunes entrepreneurs à investir dans le pays. Ce, à travers la mise en place de l’Agence pour la Promotion des Investissements Privés (APIP), du Fonds National d’insertion des Jeunes (FONIJ) tant d’autres instruments économiques dans ce sens. Malgré tous les efforts du gouvernement, la cherté de la vie frappe de plein fouet la population guinéenne avec la forte demande d’emploi et la flambée du prix des denrées alimentaires sans parler de la possibilité d’augmentation du prix du carburant à la pompe après le ramadan. Les interrogations par-ci par-là sur l’efficacité de la politique monétaire du pays, de la gestion de la chose publique ou de son système financier.
Pour cerner toutes ces difficultés, les mécanismes économiques dans le processus de développement de la Guinée et les difficultés pour certaines entreprises de survivre, votre quotidien en ligne www.maguineeinfos.com a tendu son micro à Monsieur Ibrahima SAHOH, auteur de plusieurs livres, chargé des cours de Finance et de Stratégie d’Entreprises à l’Institut Supérieur de Commerce et d’Administration des Entreprises en Guinée (ISCAE-G) et dans plusieurs universités privées de Conakry afin de nous décortiquer la véritable problématique de l’économie guinéenne et proposer les pistes de solution.
Lisez ci-dessous, l’intégralité de l’interview
Depuis la mise en place de l’Agence pour la Promotion des Investissements Privés APIP, nous assistons à prolifération des PME. Mais souvent des PME qui n’ont pas longue vie. Dites-nous quelles sont les causes de ces faillites et quels sont les impacts des PME sur le taux de croissance économique de la Guinée ?
Depuis 2012, la Guinée a enregistré des progrès dans le cadre de l’amélioration de son climat des affaires. C’est tout au moins ce que disent les rapports de la Banque Mondiale dans le cadre du Doing Business. Sur la période 2012-2020, le pays a engrangé 23 points dans le classement Doing Business. Aujourd’hui, les étapes de la constitution de l’entreprise sont simplifiées, raccourcies et les coûts réduits. Cela a eu pour conséquences de favoriser la création des entreprises. Dans une publication de l’APIP (Agence de Promotion des Investissements privés) datant de 2019 « Statistiques de création d’entreprises à l’APIP de janvier 2014 à février 2019 », il est mentionné qu’il a été créé sur la période susmentionnée 36 082 entreprises. 25 361 de ces entreprises créées, soit (70,23 %) sont individuelles. 17 311 d’entre elles exercent dans le commerce, 7 6 87 dans les prestations. Ces statistiques amènent à questionner un certain nombre de choses : pourquoi une proportion si grande des entreprises constituées est faite d’entreprises individuelles ? Pourquoi exercent-elles pour l’essentiel dans le commerce et la prestation de services ?
On doit s’intéresser à ce que deviennent ces entreprises. Survivent-elles toutes ? Si non qu’elles seraient les raisons de leurs disparitions ? Je ne pourrais alors qu’esquisser des hypothèses à valider par un travail empirique.
- La première hypothèse est que nombre d’entreprises disparaissent quelques temps après leurs constitutions parce que leurs créateurs manquent de compétences pour les faire vivre dans un environnement économique turbulent et en perpétuelle mutation. En effet, il n’existe pas de formations dédiées à l’entrepreneuriat dans notre pays même si certaines universités ont introduit dans leur curricula la matière, les connaissances transmises sont médiocres et aussi théoriques. Les entrepreneurs échoueraient parce qu’ils n’ont pas les connaissances nécessaires à la perpétuation de l’activité de leurs entreprises.
- La deuxième hypothèse est que les entrepreneurs pour créer leurs entreprises ou dans le cadre de leurs croissances, éprouvent des difficultés à accéder aux financements essentiellement bancaires dans notre pays. Le coût du financement est élevé et les moyens de financements bancaires sont peu diversifiés et adaptés aux besoins des entreprises. Peut-être, la banque d’Etat, BNIG (Banque Nationale d’Investissement de Guinée), comblera-t-elle ce déficit de financement ?
- La troisième hypothèse est celle de la difficulté d’accès aux marchés publics essentiellement passés au gré à gré. Ne pouvant pas accéder aux commandes publiques et donc aux ressources financières utiles à leurs croissances, les entrepreneurs finissent par échouer à travers leurs idées de création de richesses.
- La quatrième hypothèse est celle de l’absence d’innovation stratégique et de différentiation des produits. Il existe une grande imitation « stratégique » dans notre pays. On crée une entreprise pour faire comme son ami, sans produits différenciés. La réplication stratégique conduit à la surfacturation du marché, à la hausse de l’intensité concurrentielle et donc à l’échec des nouveaux entrants.
Pensez-vous que cette institution(APIP), à elle seule, suffise pour promouvoir et sécuriser l’investissement dans le secteur privé ?
L’APIP joue un rôle important dans la facilitation de la création des entreprises. Si les progrès susmentionnés sont été réalisés, c’est en grande partie en raison de l’efficacité de cette institution. C’est fort de cela que le Président de la République à travers un décret a donné de nouvelles attributions à l’institution. Elle est devenue un établissement public administratif doté de l’autonomie financière, placé sous deux tutelles : celle économique du Ministère de l’Economie et des Finances et celle technique du Ministère de l’investissement Privé et du Partenariat Public-Privé. Elle est chargée de mettre en œuvre la politique du gouvernement en matière de promotion des investissements privés et d’appuyer le développement de l’entrepreneuriat. Elle assure aussi la fonction de guichet unique aux investisseurs.
Même en remplissant ses fonctions, cela ne suffirait pas pour promouvoir les investissements dans le secteur privé. D’autres aspects doivent être pris en compte : la stabilité politique et macroéconomique, le respect de la règle de droit, la qualité des institutions, la bonne gouvernance, l’amélioration de l’état des infrastructures, la qualité des ressources humaines. Voyez-vous la question de la promotion des investissements, de l’attraction des investissements est transversale. C’est aussi pour cela que l’APIP a plusieurs partenariats avec les institutions diverses, les ministères dont elle ne relève pas.
Quelle est la place des entreprises financières dans le processus de développement d’un pays ?
Les institutions financières jouent plusieurs rôles dans le processus du développement d’un pays Elles appartiennent au système financier dont deux des quatre fonctions sont : offrir des canaux permettant la mobilisation des épargnes et de les diriger vers les institutions : les banques ( qui assurent la fonction d’intermédiation financière ), offrir un moyen de partage et de répartition des risques dans l’économie.
Les institutions financières mobilisent l’épargne des agents à capacité de financement, prêtent des crédits aux agents en besoin de financement afin de favoriser l’investissement ou la consommation, mettent à la disposition de la clientèle des instruments de paiement. Aussi, elles assurent les fonctions de transfert et de répartition des risques dans l’économie.
Quelle appréciation faites-vous des entreprises financières en Guinée ? Jouent-elles suffisamment leurs rôles de service financier ?
Les institutions financières sont en nombre moins important dans notre pays malgré l’accroissement de leurs implantations dans les dix dernières années. Il y a des parties du pays dans lesquelles elles sont moins présentes. Ce qui dénote de leur hyper concentration à Conakry et dans ses périphéries où l’essentiel de l’activité a lieu. Elles mobilisent les épargnes – il faut dire que le taux de bancarisation n’est pas très élevé en raison des pesanteurs culturelles , des reproches faits aux banques dont leur lenteur à mettre à la possession des clients leurs dépôts quand ils sont très élevés, l’existence des institutions financières informelles – , octroient des crédits à la clientèle et offrent des moyens de paiement aussi. Les institutions financières dans notre pays sont essentiellement commerciales et ne couvrent pas les demandes de crédits qui leur sont faites. Elles pratiquent donc le rationnement du crédit afin de réduire les ampleurs des risques de non-remboursement des crédits. C’est ce qui les amène à exiger plus de garanties bancaires, que, malheureusement, peu d’usagers de leurs services sont capables de fournir. Je crois qu’elles peuvent diversifier leurs activités, qu’elles peuvent améliorer leurs performances et qu’elles doivent remodeler leurs implantations géographiques pour faire augmenter la taille de leurs clientèles et aussi leurs parts de marchés.
Parlant des marchés financiers, nous constatons l’existence parallèle des marchés noirs d’échanges ou des cambistes non réglementés. Pensez-vous que ces marchés peuvent négativement impacter l’économie nationale ? Quelles conséquences peuvent-ils avoir sur le panier ménager ?
Le marché des changes est celui où se vendent et s’achètent des monnaies les unes contre les autres. S’il est réglementé, on dit qu’elle est standard, au cas contraire, qu’il est de gré à gré. Il a deux compartiments : le marché au comptant où se négocient les échanges de devises dont la durée de transaction au cours convenu n’excède pas deux jours, et aussi le marché à terme. En Guinée, les acteurs du marché des changes sont : la Banque Centrale de la République de Guinée dans le cadre de l’exercice de la politique monétaire, les banques primaires pour leurs comptes et celui de leurs clients, les cambistes agréés ou non, les clients. Les spéculateurs et arbitragistes sont absents de ce marché, nos banques n’ont pas de salles de marchés et ne se prêtent pas à ces opérations.
L’existence du marché parallèle des changes (composé des cambistes informels) est consécutive à notre histoire. Elle fut le fruit de la conséquence des restrictions des opérations de changes sous la première République. Aujourd’hui, elle résulte de la faible implantation des institutions de changes agréées sur le territoire national et de leur incapacité à couvrir la demande de changes de plus en plus grande.
Même si les primes de change (spreads) pratiqués dans sur les marchés de changes officiels et parallèles sont proches, l’existence du marché de changes dit parallèle n’est pas sans conséquences. Il fait perdre des liquidités aux institutions financières classiques en leur empêchant de se doter de réserves de changes importantes , leur existence accentue des pressions inflationnistes et affaiblit les canaux de transmission de la politique monétaire , elle perturbe la formation des prix et fait baisser les recettes fiscales et douanières par la sous-facturation des exportations. Ce marché peut favoriser les activités illégales dont les acteurs ont besoin de devises pour mener à bien leurs transactions. Il peut aussi favoriser la fuite des capitaux.
Alors que le chef de l’Etat, le Président Alpha Condé, parle de signature de contrats de performances avec les régies financières du pays, comment pourrait-il réaliser le défi de la mobilisation des ressources internes utiles au financement des dépenses d’investissement du pays ?
Ce défi ne sera relevé qu’avec une multitude de réformes. Or, les contrats de performance ciblent des résultats à atteindre qui doivent être confrontés aux objectifs. Mais ces objectifs sont fixés sur quelle base ? Là est la question. Le risque de sous-évaluer les résultats à atteindre est grand quand la qualité de l’information statistique n’est pas assurée.
Mobiliser les ressources internes requiert de lutter partout contre la corruption et surtout dans les régies financières. Aussi de revoir le mode de désignation des dirigeants et des membres des conseils d’administration des établissements publics administratifs afin d’éviter le développement des liens incestueux entre les sphères politiques et des affaires. Aussi, il faudra entrevoir des audits financiers et stratégiques dans les régies financières du pays et d’autres départements stratégiques.
Mobiliser les ressources internes exige aussi d’étudier l’impact des exonérations faites aux entreprises minières. Aussi, il faudra lutter contre la fraude et l’évasion fiscale, même l’optimisation fiscale agressive, pratiquées par les firmes multinationales.
Ce n’est pas tout, il faudra œuvrer à maîtriser la chaîne des dépenses et de s’assurer que celles effectuées sont faites selon les lignes prévues par la loi de finance. Par ailleurs, soit en entrevoit une taxation pour l’économie informelle, soit on multiplie les efforts pour la convertir en économie formelle ou réduire sa taille. Les centres de gestion agréés (CGA) qui ont cette vocation doivent être implantés à travers le pays, leurs capacités administratives et financières doivent être améliorées. Si le poids de l’économie informelle n’est pas réduit, notre système fiscal ne sera ni neutre ni efficace. Aussi la pression fiscale n’augmentera pas. Pour finir, au moment où de grands efforts sont fournis pour dématérialiser les paiements des impôts, il n’y a pas de raison que l’administration fiscale guinéenne ne soit pas reformée.
Selon le récent communiqué de la Banque Centrale sur politique monétaire, l’origine de l’inflation s’explique par la hausse du coût des transports maritimes, les mesures de restriction de voyage, la fermeture des frontières avec certains pays voisins, le coût d’ajustement lié à la mise en œuvre des opérations du Guichet Unique du commerce extérieur, ainsi que les troubles liés aux échéances électorales. Qu’en pensez-vous ?
Cela est arrivé. C’est en partie vrai. Mais il ne faut pas occulter le fait que, comme je l’ai dit dans une précédente interview , la masse monétaire a augmenté de 23 % entre 2019 et 2020 et aussi que la part de la créance de la BCRG sur le secteur public a augmenté de 35 % . Les dépenses courantes ont explosé en 2020, les efforts du gouvernement dans la lutte contre les effets de la Covid-19 en sont pour quelque chose, les trêves fiscales accordées aux entreprises ont fait baisser le niveau de collectes des recettes fiscales dans une conjoncture de baisse de l’activité économique. N’oublions pas que la Guinée a organisé trois élections toutes sur fonds propres dans cette conjoncture de crise. Donc les déficits budgétaires devaient subsister et le concours de la banque centrale au Trésor public a contribué a accentué les pressions inflationnistes.
Merci Monsieur SANOH
Je vous en prie
Entretien réalisé par Sadamadia pour maguineeinfos.com