Me Titi SIDIBE, Avocat au barreau de Bruxelles

Le chemin de croix que la Guinée a connu autour des enjeux de la nouvelle constitution et du troisième mandat (ou premier mandat de la quatrième république, selon que l’on soit ou non favorable aux autorités actuelles du pays), révèle une diffusion insidieuse du réflexe de l’oppression.

Parlant de dictateur, on a forcément à l’esprit la figure du tout puissant tyran, soit l’incarnation monstrueuse de tous les malheurs du peuple : despote de son état et violeur des droits de l’homme.

Progressivement, de petits soldats à l’apparence inoffensive ont fini par s’arroser le droit d’assurer la police de l’opinion au quotidien. Alternant conseils et menaces, intimidations et agressions, les « dictateurs low cost » sont souvent nos amis, nos parents, nos collègues ou nos partenaires d’affaire qui se croient investis de l’impunie faculté de juger, catégoriser et interdire toute opinion qui se voudrait réfractaire de la pensée unique officielle.

Généralement « apolitiques », insidieusement démocrates, le « dictateur low cost » n’apparaît que pour user des facilités de langage du style « vous incitez à la haine », « vous n’aimez pas la Guinée » ou encore « c’est vous (la diaspora) qui voulez brûler le pays ». C’est là autant de répliques pour tout un régiment de « dictateurs dérivés » exprimant quotidiennement leurs soutiens indéfectibles au pouvoir en place dont ils s’accommodent à tout prix pour des raisons ethniques, de situations économiques ou professionnelles souvent injustifiées en temps normal.

Le dictateur low cost est apparemment démocrate, sélectivement indigné, mais affreusement concerné par ce qu’il entend et lit sur les travers du pouvoir qu’il embrasse discrètement sans avoir égard à la détresse de ceux qui dénoncent sans grossièreté et critiquent sans insulter. Là où la dénonciation dévoile les forfaits du pouvoir absolu, l’apprenti dictateur voit l’incitation à la haine. Là où les critiques mettent à mal les arguments officiels, le milicien domestique entrevoit le communautarisme destructeur.
Non content d’indexer et de vilipender les « mauvais citoyens », le dictateur décentralisé s’évertue à bloquer sur les réseaux sociaux les porteurs de mauvaises opinions, les stigmatise auprès des autres ou les dénonce sans preuve aux collègues. C’est ainsi que l’on est retiré d’un marché public sans justification, écarté d’un emploi sans préavis, parfois même fiché « H.E » (haineux ethnocentriste) sans raison valable. L’apolitique ferait ainsi plus de victimes que les politiques dont il dit pourtant se méfier par principe.

Il convient néanmoins de ne pas établir un lien étroit entre le petit dictateur qui terrorise tout objecteur de conscience dans son entourage et détenteur du pouvoir suprême dans le pays. Le premier n’aime pas nécessairement le second, mais celui-ci est de son ethnie, il n’est pas de son parti, mais sa politique conforte son idéologie de détestation des autres.

Le présumé tyran n’a jamais demandé au « détaillant » de brûler la maison de son voisin, pas plus qu’il ne lui a imposé de licencier ou isoler son employé. Le plus souvent, « le président » ignore les agissements infamants des petites mains qui se réclament de lui.

Véritable relais local du système dont il est lui-même une victime consentante, le décentralisé s’accommode à la mal-gouvernance par prédisposition ou intérêt, n’hésitant pas à dénoncer ses amis ou à livrer ses frères à l’autorité cannibale. C’est ainsi à se demander d’où souffle le vent de la haine de l’autre, à s’interroger sur la réelle motivation du réactionnaire à saper la liberté de s’exprimer librement dans une société supposée être démocratique.

En réalité, l’oppresseur à la petite semaine trouve sa motivation dans l’impunité que lui garantit son soutien au régime, il tire satisfaction de l’humiliation de ceux d’en face, fussent-ils ses frères, même si par ailleurs, il avait des difficultés à joindre les deux bouts.

Que d’amitiés sabotées, de fraternités bafouées et de bons voisinages compromis pour des considérations subjectives susceptibles de conduire en prison le porteur de la « mauvaise opinion » du moment où, dans le pire des scénarios, de causer sa perte.
Le pouvoir réussit ainsi, par une main d’œuvre inattendue et bénévole, à inspirer la peur à ses détracteurs, à faire redouter le risque de détention et de traitements dégradants à ceux qui osent s’opposer à lui.

La dictature atteint son apogée lorsque nous lui ouvrons suffisamment nos cœurs pour s’installer durablement au point de nous emmener à lui livrer nos frères et à dénoncer nos voisins.

Par Titi Sidibé, Avocat au barreau de Bruxelles