La journée internationale des prisonniers politiques du 17 avril dernier fournit un judicieux prétexte d’analyse de la condition des personnes privées de liberté pour des motifs politiques, qu’elles fassent l’objet d’une détention préventive ou d’une décision judiciaire définitive. L’usage disproportionné de la force publique et l’instrumentalisation des moyens de contrainte de l’Etat par de nombreux potentats africains – les vieilles démocraties occidentales s’y mettent aussi – servent à museler les libertés. Le glissement vers une aveuglante autocratie s’en trouve consacré.
Inflation de détentions en plein glissement autocratique
Huit mois de détention préventive à la Maison d’arrêt et de correction d’Abidjan pour Pulchérie Gbalet et ses camarades de l’association Alternative citoyenne ivoirienne. C’est la punition flanquée à l’activiste ivoirienne pour avoir appelé à des manifestations pacifiques contre le troisième mandat d’Alassane Ouattara. Le 19 mai prochain, Guillaume Soro – l’ancien président de l’Assemblée nationale en rupture de ban prononcée avec son mentor politique d’hier – et 19 de ses proches seront jugés par la justice ivoirienne pour complot et atteinte à l’autorité de l’Etat. Au Bénin, une bonne partie de l’opinion publique a du mal à croire à la rhétorique accusatoire du parquet de la Cour de répression des infractions économiques et du terrorisme qui brandit la piste d’un financement d’actes de terrorisme dont l’ancienne ministre de la Microfinance de Boni Yayi, Reckya Madougou, serait le cerveau. Candidate recalée à la présidentielle du 11 avril dernier, l’experte en autonomisation financière féminine qui s’est taillée une réputation internationale de femme de réseaux auprès du président togolais Faure Gnassingbé croupit en prison depuis début mars. Indifférente à sa détention, une partie de l’opinion publique béninoise et togolaise lui reproche d’avoir été l’oreille du fils Gnassingbé au plus fort de la répression de la contestation populaire de 2017 menée par Tikpi Atchadam. Son camarade opposant et candidat recalé lui aussi à la présidentielle d’avril dernier, Joël Aïvo, est logé à la même enseigne. Accusé d’atteinte à la sûreté de l’Etat et de blanchiment de capitaux, le brillant constitutionnaliste béninois, expérimente, dans sa cellule, l’amertume de l’engagement politique, avant un éventuel procès. Bien avant lui, un autre juriste de haut vol était passé par la case prison. L’éminent internationaliste camerounais Maurice Kamto avait rongé son frein en cellule, pendant huit mois, au lendemain de la présidentielle de 2018 dont il s’était proclamé vainqueur en vain. Au Congo-Brazzaville, le général Jean-Marie Mokoko, véritable épouvantail pour le clan Sassou, purge une peine de 20 ans de prison pour atteinte à la sûreté de l’État et détention illégale d’armes et munitions de guerre. Le tableau est bien sombre. Arrêtés souvent sans mandat ou aux antipodes d’une procédure régulière, les acteurs politiques doivent se fondre dans le moule des conditions exécrables de milliers d’autres détenus anonymes de droit commun, avant de subir un procès sans garanties tangibles d’équité et d’impartialité. Le droit sert souvent de levier à cette besogne généralisée de musellement.
La coercition d’Etat abusive, matrice d’inculpations fantaisistes
L’infraction politique peine à se voir attribuer des critères matériels rigides. Il n’en demeure pas moins que chaque système juridique national possède dans son arsenal pénal des dispositions distinguant une infraction politique d’une infraction de droit commun. L’atteinte à la sûreté de l’Etat est devenue une inculpation au contenu matériel abusivement extensible et poreux. La qualification systématique d’actes matériels d’infractions de droit commun en terrorisme et leur enrobement dans une propagande d’Etat achèvent de convaincre que le droit est moins à la disposition de la justice et de l’équité que du prince du moment. Que peut-il bien se passer dans la tête d’un ancien prisonnier politique devenu président ? Peut-être l’envie de faire payer à ses bourreaux toutes les souffrances subies dans leurs geôles. Que penser alors d’un président qui, a contrario, n’a jamais passé une seule nuit dans une cellule mais qui emprisonne ses opposants à tour de bras? Qu’au jour de sa déchéance, un tour en cellule lui permettrait de retrouver sa lucidité perdue au contact du pouvoir. Les victimes hurlantes d’hier sont devenues les froids bourreaux d’aujourd’hui. Les victimes de complots grotesques d’hier sont devenues habiles au jeu malsain d’odieux montages. Les exilés d’hier sont ceux qui contraignent d’autres à prendre le chemin de l’exil aujourd’hui. A la réalité, indifféremment de son passé carcéral, un homme qui a du pouvoir peut décider d’user de la coercition d’Etat pour mettre en branle une machine répressive capable de pondre des accusations qui n’ont d’égal que leur caractère fantaisiste. La gestion de la Cité mérite mieux.
Pour une humanisation de l’arène politique
De la prison à la présidence ou de la présidence à la prison. On ne sort pas de prison comme on y est entré. On en revient héros ou zéro. En politique, ascension et déchéance sont les deux faces d’une même médaille. Le destin de nombreux leaders politiques semble lié à ce tango imposé par la cadence liberticide de ceux qui détiennent les manettes du pouvoir d’Etat. Anonymes ou célèbres, toutes les personnes qui sont en prison pour leurs convictions politiques ne rêvent pas forcément de présidence ; mais au moins d’une société juste et équitable. Il est possible de dépasser cette dualité dialectique sans céder à la tentation d’une héroïsation systématique de ceux qui sont privés de liberté pour leurs convictions. Pulchérie Gbalet et Reckya Madougou ne sont pas la Birmane Aung San Suu Kyi. Mais en Côte d’Ivoire et au Bénin, une icône et une opposante sont nées. Les opposants ne sont pas des enfants de cœur. La vérité ne se trouve pas forcément dans leur camp. Mais aussi longtemps qu’elle s’adosse au droit, l’opposition politique est légitime à réclamer que la force publique et la justice jouent un rôle de neutralité absolue. Emprisonnements, intimidations, enlèvements, atteintes à l’intégrité physique ne peuvent pas résumer l’arène politique ! L’humanisation de la sphère politique n’est pas un vœu pieu qui viendrait s’évanouir sur la roche sédimentaire du machiavélisme ambiant propre à cette arène. Les fertilisants de cette humanisation ont pour noms : usage proportionné de la coercition d’Etat et respect d’institutions républicaines lé-gi-ti-mes !
Par Fidèle GOULYZIA, Ecrivain ivoirien