Depuis plusieurs mois maintenant, le Front National pour la Défense de la Constitution crie à tue-tête à la violation de la Constitution de 2010. Sur cette base, l’équipe dirigée par Abdourahmane Sanoh dresse régulièrement des listes des cadres supposés être promoteurs du 3ème mandat d’Alpha Condé. La dernière en date du vendredi dernier, où ces opposants ont rédigé une liste de 93 cadres civils et militaires. Selon le FNDC ces personnes citées sur ses « innombrables » listes doivent impérativement répondre devant les juridictions.

Mais cette démarche est-elle légale ? Le FNDC peut-il ester légalement quelqu’un en justice? Ou sur quelle base peut-il rédiger de telles listes ?
Pour édifier l’opinion sur ces questions qui taraudent plus d’un, la rédaction de maguineeinfos.com a interrogé le juriste, Fadama Oularé qui a développé la question de long en large.

A notre micro, Fadama Oularé n’hésite pas d’affirmer que la liste du FNDC n’a pas de fondement pour engager une telle action. Plus loin, il indique que ce front n’a ni moyens, encore moins compétences de culpabiliser un citoyen.

Lire ci-dessous, l’intégralité de l’interview !

Le FNDC vient de publier la liste des personnes qu’ils doivent esté en justice. Pensez-vous que cette publication de liste est procéduralement légale ?

Depuis le 03 mars 2019, le FNDC s’est engagé dans une dynamique d’opposition au projet de l’adoption d’une nouvelle constitution en Guinée. Il est de principe que les citoyens aient le droit de s’opposer, par l’usage des moyens légaux, aux actions entreprises par les pouvoirs publics portant atteinte à leurs droits fondamentaux. C’est bien sur cette base que le FNDC a, par exemple, usé des manifestations pour tenter, en vain, d’empêcher l’adoption d’une nouvelle constitution. L’échec de ce moyen de lutte a débouché sur l’utilisation d’une nouvelle stratégie : la publication d’une liste des personnes qualifiées de promoteurs du « troisième mandat » tout en annonçant des poursuites judiciaires. Il est important d’examiner la légalité d’une telle démarche. L’intitulé de la liste mentionne clairement la dénomination « promoteurs de troisième mandat ». C’est autant dire que si on admettait que ce changement de constitution était une infraction, le FNDC tient déjà pour coupables toutes les personnes qui figurent sur cette liste publiée. Or, en vertu du principe de la présomption d’innocence prévu par l’article préliminaire du code de procédure pénale, « toute personne suspectée ou poursuivie est présumée innocente tant que sa culpabilité n’a pas été établie conformément à la loi [..] ».  La culpabilité d’une personne suspectée ou poursuivie ne peut être établie que par une décision rendue par les cours et tribunaux. Or, le FNDC n’est ni un tribunal, ni une Cour. Ceci étant, en publiant une liste de personnes tenues pour coupables, les signataires de cette liste enfreignent à l’alinéa 7 de l’article préliminaire du code de procédure pénale relatif au principe de la présomption d’innocence. Par conséquent, cette publication de liste est illégale et passible à de poursuite judiciaire.

Les personnes figurant sur cette liste peuvent-elles être poursuivies pour le fait d’avoir fait campagne pour le changement de constitution et la réélection de l’ex-président Pr Alpha CONDE ?

La divulgation du projet d’élaboration d’une nouvelle constitution a suscité de profonds débats juridiques. De plus, l’adoption de la Constitution par référendum le 22 mars 2020 n’a pas mis fin à ces débats qui ont par ailleurs été renforcés par les évènements du 05 septembre dernier. Pour savoir si ce changement de constitution est ou non une infraction, il convient de partir d’un principe basique du droit pénal : Nullum crimen nulla poena sine lege qui signifie qu’il n’y a pas de crime, pas de peine sans loi. De manière simple, tout comportement, aussi répréhensible soit-il, qui n’est interdit par une loi et sanctionné comme tel, n’est pas qualifiable d’infraction. Posons-nous donc la question de savoir quels sont les textes qui incriminent le changement constitutionnel tel qu’il s’est passé en Guinée le 22 mars 2020.
Sur le plan national, il convient de rappeler que le Code pénal est la principale législation répressive. C’est le code pénal qui, pour l’essentiel, prévoit les infractions et les sanctions répressives y afférentes. Or, il n’y a aucune disposition du code pénal qui fait allusion à une infraction dite de promotion du troisième mandat ou changement de constitution. Ce qui veut dire que ces faits ne sont pas constitutifs d’infraction en Guinée.
Sur le plan international, les pistes de réflexions les plus intéressantes à explorer sont contenues dans la Charte africaine de la Démocratie, des élections et de la bonne gouvernance. Pour certains constitutionnalistes, le changement de Constitution ayant abouti à l’élection de l’ex-président M. Alpha CONDE le 18 octobre 2020 est constitutif de coup d’État. Cette conclusion découle, pour eux, de la lecture des dispositions de l’article 23 de ladite charte africaine de la démocratie, des élections et de la bonne gouvernance. Aux termes desquels : « les États parties conviennent que l’utilisation, entre autres, des moyens ci-après pour accéder ou se maintenir au pouvoir constitue un changement anticonstitutionnel de gouvernement et est passible de sanctions appropriées de la part de l’Union: [..] Tout amendement ou toute révision des Constitutions ou des instruments juridiques qui porte atteinte aux principes de l’alternance démocratique ». C’est ce dernier point qui est le nœud de la problématique de qualification de l’adoption de la Constitution du 14 avril 2020. Il résulte de la lecture de cette disposition que la Charte ne qualifie de changement anticonstitutionnel que les amendements ou révision portant atteinte aux principes de l’alternance démocratique. On est en droit de se poser la question de savoir si la Constitution du 14 avril 2020 porte atteinte aux principes de l’alternance démocratique dont entre autres la limitation du nombre et la durée du mandat du Président, le droit pour les partis politiques légalement constitués de se présenter aux élections, le suffrage universel… Aucune disposition de cette constitution ne porte une restriction antidémocratique aux principes d’alternance démocratique. Par ailleurs, au niveau de la pratique des instances de l’Union africaine, chaque violation de la charte de la démocratie, des élections et de la bonne gouvernance par les autorités d’un État membre donne lieu à une déclaration de condamnation suivie des sanctions. Or, qu’il s’agisse des cas de la Guinée, de la Côte d’Ivoire ou du Rwanda, pour ne citer que ceux-là, les Instances de l’Union Africaine n’ont jamais estimé que les réformes constitutionnelles dans ces États étaient contraires aux dispositions de la Charte.

Donc, on peut se rendre compte que qualifier le changement constitutionnel et la réélection de l’ex-président Pr Alpha CONDE de coup d’État, relève plus des controverses doctrinales que des certitudes juridiques tirées des dispositions de la Charte et de la pratique internationale des États de l’Union africaine.
En conclusion, il n’existe ni dans l’ordre juridique interne, ni dans l’ordre juridique international, un instrument juridique d’incrimination susceptible de servir de base pour engager une poursuite pénale contre les personnes figurant sur cette liste du FNDC au seul motif d’avoir fait la promotion de l’adoption de la Constitution du 14 avril 2020 et avoir fait campagne pour la réélection de M. Alpha CONDE le 18 octobre 2020.

Le FNDC est-il légalement reconnu par la législation guinéenne pour poursuivre une personne en justice ?

Le principe de la liberté d’accès au service public de la justice est un principe général de l’organisation judiciaire. Tous les sujets de droit ont le droit de soumettre leurs prétentions aux juridictions légalement établies en République de Guinée. Toutefois, en fonction du domaine juridique concerné, les justiciables sont tenus de respecter les conditions de saisine du juge. Au sommet de ces conditions, figure la qualité de personne (physique ou morale). Ainsi, pour savoir si le FNDC, en tant qu’entité, peut saisir le juge, il sied tout d’abord de s’interroger sur son statut juridique. En effet, le FNDC est un mouvement socio-politique. Dans la législation guinéenne, ces types de groupement ne figurent pas au nombre des personnes morales ni de droit privé ni de droit public. Or seules les personnes physiques ou morales ont qualité à saisir le juge.  Sachant que le FNDC ne se trouve dans aucune de ces catégories juridiques de personne, il n’a pas la qualité d’agir en justice. D’où, il ne peut pas mettre en mouvement l’action publique.

Le FNDC n’aurait pas dû condamner le putsch qui est aussi anticonstitutionnel ?

Tout le combat du FNDC était d’empêcher le changement de la Constitution ainsi que la réélection de l’ex-Président, Pr. Alpha CONDE. S’il avait les moyens, il aurait vraisemblablement fait barrage à cette réélection. Ce coup de force est donc un soulagement pour le FNDC. La condamnation d’un coup d’État n’est pas une obligation juridique impérieuse. C’est une déclare de principe qui est souvent tributaire du positionnement politique. Donc on ne peut pas reprocher au FNDC de n’avoir pas condamner ce coup d’État.

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