Depuis quelques mois, la vie semble s’arrêter en Guinée tant le débat autour d’une éventuelle modification de la constitution enfle. Je vais décevoir les partisans des deux camps opposés car dans ce post, l’idée n’est pas pour moi de dire si OUI ou NON, je serai pour ou contre. Pour rigoler, je suis « Pontre » (contraction du Pour et du Contre ». Par-delà la plaisanterie, le caractère restrictif de cette question obstrue toute possibilité de réflexion car il me semble que le débat gagnerait à être élargi pour appréhender le vaste sujet de la démocratisation de notre pays. C’est à cela que je m’attèle dans ce papier sur quelques points :

1. D’entrée de jeu, il faut dire que la question de la modification constitutionnelle n’est pas un tabou absolu. L’hystérie du débat conduit beaucoup de partisans du « Amoulan ma » – sorte de cri de guerre en langue nationale soussou, traduisible par « ça ne se réalisera pas » – à considérer toute évocation de cette possibilité constitutionnelle comme un « crime de lèse-démocratie » (pardonnez le néologisme). Ils ont tort. La démocratie, c’est aussi savoir souffrir face aux opinions qui nous sont inacceptables, à condition que celles-ci ne tombent pas sous le coup de la loi. Or, précisément, la modification de toute constitution n’est pas ni contraire à la loi, donc ni anti-démocratique.

2. Ceci dit, il ne faut pas être dupe. L’argument de possibles arrière-pensées politiques qui se cacheraient derrière une révision constitutionnelle est difficilement contestable si l’on est de bonne foi, surtout vu le timing de cette proposition (la fin des deux mandats). D’ailleurs, une frange des partisans du RPG-ARC ne s’en cache pas et assume cette volonté de voir le Président Alpha Condé rester au pouvoir à la faveur de cette révision là où d’autres comme M. Makanera Kaké dissimulent derrière cette éventuelle réforme législative, une possibilité de contourner le verrou de la limitation des mandats.

3. Justement, la question de la limitation des mandats à mon sens doit être un sujet parmi tant d’autres, loin des postures idéologiques. Tout dépend de tout ce que souhaite le peuple. Celui-ci, en étant souverain, peut décider d’adopter une limitation dans le temps ou pas des mandats de ses gouvernants. Encore faudrait-il qu’il soit consulté dans les bonnes formes. Dit autrement, l’enjeu n’est pas, dogmatiquement, de refuser plus de deux mandats à une personne (comme en France ou aux Etats-Unis), ou de laisser ouvrir les possibilités (Allemagne, Russie…) mais de décider de son propre sort en toute conscience en qualité de citoyen éclairé. Or, le plus souvent dans nos pays, les législations qui sont soumises au peuple sont davantage calquées sur des réalités qui ne sont nôtres. Cette paresse intellectuelle du législateur africain est accentuée par un autre méfait, l’instrumentalisation du peuple. On se retrouve in fine dans des carcans institutionnels mal adaptés aux enjeux de nos pays.

4. La crispation autour de l’actuelle constitution rappelle les conditions de son adoption en 2010 par un organe non élu (le CNT). On s’accordera qu’il faudra à un moment donné revenir au peuple pour faire valider une nouvelle constitution en toute légitimité démocratique. Sur ce point, les positions sont idéologiques : d’une part, ceux qui sont contre la révision préfèrent s’en accommoder craignant une énième possibilité à l’actuel président de garder le pouvoir et d’autre part, les partisans du pouvoir se découvrent des vertus de légalisme en voulant une constitution adoptée par le peuple. Les uns et les autres affirment défendre les acquis démocratiques du pays. Est-on sûr de cela quand les intentions sont plus politiques que citoyennes ?

5. Enfin, le débat démocratique en Guinée ne retrouve une vitalité que dans des périodes pré-électorales, comme si le plus important était le pouvoir politique. La preuve, personne ne s’est par exemple préoccupé des scories de la constitution adoptée par le CNT. Pas plus que la caducité actuelle de notre assemblée nationale n’émeut hormis quelques protestations finalement assez limitées. Notre pays est entrain d’apprendre la démocratie. Le processus sera long et ardu. Pour que nous y arrivions, il faut que tous (acteurs politiques ou simples citoyens) privilégient l’intérêt général sur des bénéfices politiques et « ethniques » immédiats. C’est à ce prix qu’on fera une bonne partie du travail pour nos enfants à qui on laissera ce pays qui, pour l’heure, est miné par des prises de position circonstancielles et partisanes.

Sayon Dambélé