Le 05 Septembre 2021, à la suite d’un coup d’Etat opéré par le Groupement des Forces Spéciales de Guinée, l’armée ou tout globalement les forces de défense et de sécurité ont été « conviées » à constater en premier lieu la prise « effective » du pouvoir et, comme en frères d’armes, de gérer cette nouvelle situation avec les véritables commanditaires.
Le CNRD, Conseil National de Redressement pour le Développement, avec à sa tête le Colonel Mamady Doumbouya, venait par un communiqué lu sur les ondes de la RTG, Radio-Télévision guinéenne, de dissoudre le gouvernement et toutes les institutions républicaines, de suspendre la Constitution. Si aujourd’hui, le pouvoir du CNRD se construit, il n’en demeure pas moins qu’il existe encore des bégaiements flagrants ( I ) et, au même moment, le CNRD n’a plus le temps de grâce face aux pressions internationales qui ne font que commencer ( II ).
I – LE POUVOIR DU CNRD ENTRE CONSTRUCTION ET BALBUTIEMENTS.
Tant le CNRD trouve du réconfort en mettant les hommes en uniforme à certains postes stratégiques, tant les partis politiques s’interrogent sur la suite des événements. L’analyse de la situation nous révèle un pouvoir aux tendances militaires bien plus poussées ( A ) et les positions des partis politiques qui restent pour le moins équivoques ( B ).
A ) Une Transition quasi-militaire.
On dit à ce propos que le pays est commandé. Comme au Mali et presque dans tous les coups d’Etat militaires survenus en Afrique et bien ailleurs, l’Armée est aux commandes. Les circonscriptions territoriales sont aux mains de l’Armée ( 1 ), mais pour autant les changements intervenus au sein des forces de défense et de sécurité poussent à des inquiétudes légitimes ( 2 ), même si par endroit on est en droit de les relativiser.
1 – Depuis peu donc tous les gouverneurs des huit (8) régions administratives et celle de la zone spéciale de Conakry, les trente-trois (33) préfets et tous ou presque des trois-cent-sept (307) sous-préfets en Guinée relèvent des forces de défense et de sécurité. Cette volonté manifeste de mettre les siens aux commandes procède d’un besoin d’assurance du CNRD sur le contrôle effectif des démembrements de l’Etat. C’est aussi une manière de faire observer plus facilement les décisions du pouvoir central dans ce contexte « d’incertitude » sur la loyauté des administrateurs publics et de pouvoir contrôler plus efficacement les finances de l’Etat au moment où les recettes risquent de s’amenuiser.
2 – Sur les inquiétudes à propos de la cohésion au sein de forces de défense et de sécurité, il s’agit tout juste d’en appeler à plus de vigilance. Loin d’être alarmistes sur le sujet, les transitions militaires ont bien de fois eu la manie de rebondissement. C’est pourquoi nos inquiétudes sont tout de même légitimes au moins pour quelques raisons (C’est une inquiétude légitime pour quelques raisons): l’armée ou plus généralement les forces de défense et de sécurité ont été conviées après le coup d’Etat. Elles ont été prises dans le fait accompli. Cela peut être relativisé aujourd’hui, quand on sait aussi que nombreux parmi eux ont eu des postes de responsabilité remarquables. Il y’a également l’arrestation de certains éléments des forces spéciales incriminés dans des cas de vols et les rumeurs de règlements de compte, de la volonté de mettre de l’ordre dans l’armée avec des généraux mis à la retraite et les différents changements au sein de la police nationale et de la douane.
Si ces changements ont été salués par l’opinion publique, il faut aussi rappeler à bon escient le principe de la prudence, parce que ce genre de changements entraînent généralement des rancœurs au sein de forces de défense et de sécurité.
À cette situation complexe, viennent s’ajouter les difficultés de conjugaison avec les partis politiques.
B): Le mariage impossible avec les partis politiques.
La Charte de la Transition indique clairement la volonté du CNRD de refonder l’Etat guinéen 1. Depuis le Premier communiqué faisant état de la prise du pouvoir, il entendait indiquer le cap à suivre; sauf qu’à lui seul, le CNRD ne peut prétendre réussir ses missions. Il lui faut à cet effet le concours de toutes les forces vives de la nation. Si la société civile, entendez les organisations professionnelles et de jeunesse sont « enclin » à se féliciter des démarches du CNRD ( même le FNDC semble s’aligner ), les partis politiques sont plutôt timides. Le RPG-arc-en-ciel est dans une situation particulière surtout avec l’équation Alpha Condé à résoudre ( 1 ) et l’UFDG dans ses attentes se fait bousculer par d’autres formantions politiques ( 2 ).
1 – Le RPG-arc-en-ciel est en train de digérer difficilement son évincement au pouvoir et il se trouve partagé entre la nécessité politique de se réorganiser pour sa participation à la Transition, de parler de la fâcheuse question de la relève du parti pour les prochains rendez-vous électoraux, et la logique de la fidélité à son Président qui est détenu par les militaires depuis son renversement.
Même si aujourd’hui il faille séparer « le parti des dignitaires du régime précédent » auxquels on pourrait demander des comptes, il est logique que la libération du Prof. Alpha Condé soit une exigence de son parti, du moins pour question de dignité. Mais aussi très honnêtement, il va falloir s’y prononcer : soit on le libère, soit on indique clairement les charges retenues contre lui. À défaut, ce sera de la séquestration pure et dure. L’autre regard politique, c’est celui de se demander mordicus que si le l’ancien Président n’est pas présenté devant une cour de justice, cela ne serait-il pas l’argument logique pour ses collaborateurs, Ministres et cadres politiques d’être exemptés de toute poursuite judiciaire ? Tout cela étant dit, au même moment, il faut aussi soutenir que la libération ou non d’Alpha Condé se présente sous la même forme ou presque, parce qu’à la vérité, libéré ou non c’est un handicap pour cette Transition. La question est de savoir quelle est l’option la moins compliquée pour la réussite de cette transition ? Il semble que sa libération serait un acte d’ouverture et d’apaisement, mais il serait plus prudent de lui proposer de séjourner un pays de son choix, le temps de la Transition. Cette deuxième condition paraît plus justifiée dans la mesure où l’homme reste après tout un ancien Président dont l’ombre est encore omniprésente. Quoi qu’on dise, le CNRD au bout de quelques mois, ne saurait prétendre au même contrôle q’un régime qui a vécu plus d’une décennie.
2 – L’UFDG s’est battue sur tous les fronts pendant cette dernière décennie dans l’Opposition. Elle entend bénéficier du retournement de situation. Mais l’entrée en scène d’autres formations politiques commence à gêner son influence. Il en est des alliances ( ou blocs ) qui se forment et de la participation aux instances du CNT qu’elle doit discuter avec ces partis politiques y compris le RPG-arc-en-ciel. Aussi, peu importe les arguments qu’on pourrait brandir, la participation de son Vice-président, Ousmane Gaoul Diallo au gouvernement de Transition pourrait être à la longue source de divorce et de cascades, soit entre ce dernier et le Parti ou entre ce dernier et le CNRD, en supposant qu’il demeure dans la ligne de son parti qui serait en porte-à-faux avec les exigences du gouvernement.
3 – Aujourd’hui surtout, il y a un grand malaise au sein des partis politiques qui estiment ne pas être suffisamment consultés. Ils soutiennent d’ailleurs que le CNRD a tendance plutôt à leur éviter. Cellou Dalein Diallo, bà l’instar de quelques leaders politiques n’a pas manqué de le marteler. « Ce que je déplore, surtout, c’est l’absence de dialogue », dit-il . « Depuis que le colonel Doumbouya nous a reçus pour nous demander de formuler des propositions, ce que nous avons fait, c’est silence radio. Que le CNRD décide de mettre les formations politiques à l’écart du gouvernement pour que celui soit impartial, c’est défendable. Mais nous n’avons jamais été consultés et découvrons les décisions officielles comme tout le monde… » C’est dire sans équivoque que la Transition est loin de se dérouler comme l’auraient souhaité les partis politiques.
Hormis ces constats et ses interrogations en suspense, il demeure les réalités du pouvoir et, face à l’important et l’urgence, le CNRD devra choisir l’un ou l’autre ou même les deux. Mais aucun de ces choix ne serait sans conséquence.
II – L’EXPIRATION DU TEMPS DE GRÂCE DU CNRD ET LE DÉBUT DES PRESSSIONS INTERNATIONALES.
Il est de coutume qu’à l’avènement d’un nouveau régime, les populations soient prompts soit à l’euphorie de la chute de l’ancien, soit dans l’observation du tout nouveau. Deux situations qui s’expliquent aussi soit par les désaccords avec l’ancien régime, soit dans la prudence face au saut dans l’inconnu avec le tout nouveau. Ces situations sont passagères malgré tout; parce qu’avec l’exercice du pouvoir, la réalité se révèle à tous. Dans sa pratique donc du pouvoir ( A ), le CNRD devra forcément faire face aux pressions de la communauté internationale ( B ).
A ) De l’euphorie à la pratique du pouvoir et ses réalités.
Une transition, quelque soit sa forme civile, militaire ou mixte n’a pas la vocation de tout régler. Elle ne peut qu’à la rigueur permettre les termes d’un nouveau contrat social. Mais la lenteur dans les rapports du gouvernement avec le CNRD ( 1 ), la composition du CNT, Conseil National de Transition ( 2 ) ainsi que la définition des missions prioritaires de la Transition posent d’autres problèmes ( 3 ).
1 – La Charte de la Transition en son article 37 fait du CNRD « l’organe central de définition et d’orientation stratégique de la politique économique, sociale, culturelle et de développement du pays. Il est garant de la sécurité et de la cohésion nationale, de la stabilité et de la paix. ». Si la Charte se borgne à indiquer après que le CNRD « est composé de forces de défense et de sécurité de la République ( armée, gendarmerie, police, protection civile, douane, conservateurs de la nature ), elle n’indique ni le nombre ni le mécanisme de ses rapports de celui-ci avec le gouvernement, même si par endroit ce dernier a eu le rôle de la conduite et de l’exécution de la politique de la Nation définie par le Président de la Transition ( article 54 ). Cette situation peu « confuse » ne participerait-elle pas à la lenteur des décisions de politique publique ? Ne risquerait-elle pas infine de prendre le gouvernement pour une coquille vide ?
2 – De la composition du CNT et le choix des missions prioritaires de la Transition : Si la composition du gouvernement a le « mérite » de l’équilibre entre compétences, diversités ethniques et régionales, il n’en demeure pas moins qu’il se pose réellement la prise en compte des minorités ethniques ( Bassari, Koniagui, Mikhiforè, Baga, etc.). Pourrait-on espérer que celle du CNT réglera la question ? Attendons de voir la suite. Mais il reste clair que sur les quatre-vingt-un (81) membres répartis entre ces différentes entités :
§ partis politiques (15),
§ organisations de la société civile (07),
§ centrales syndicales (05),
§ organisations patronales (03),
§ les forces de défense et de sécurité (09),
§ organisations de défense des droits de l’Homme (02),
§ organisations des guinéens de l’étranger (05),
§ organisations de femmes (03),
§ organisations de jeunesse (05) ).
Cette situation pose tout de même un problème d’intérêt général. Si le CNRD peut avoir le monopole de décider sur les représentants des forces de défense et de sécurité, les autres entités ne disposent pas d’organisations faîtières ou leur désaccord semble plus plausible que leur entente. Il y a particulièrement les partis politiques et les organisations de jeunesse qui font déjà beaucoup de salives. À cette allure, le Président qui dispose du pouvoir de nomination au CNT serait obligé de prendre des décisions qui feront probablement des mécontents. Mais personne ne pourrait le tenir rigueur si cela arrivait par faute d’accord entre les acteurs concernés. On ne peut qu’espérer qu’il tienne compte de la sensibilité générale. Peut-être aussi qu’on aurait dû commencer par cela.
3 – Dans son Chapitre II, la Charte de la Transition a le mérite d’indiquer toutes ses missions. Mais ces missions sont nombreuses et variées. Il va alors falloir choisir des priorités. Il y a l’urgence, celle du retour à l’ordre conditionnel et les nécessités de celui-ci qui passent inéluctablement par tout d’abord créer un cadre de confiance entre les acteurs de la Transition. Il y a aujourd’hui 181 partis politiques en Guinée. La question qui se pose est de savoir comment fonctionnent-ils ? Est-ce que le multipartisme intégral est-il une solution pour nous ? L’organisation des pouvoirs en Guinée n’est-elle pas discutable ? À côté des partis politiques, les candidats indépendants à toutes les élections peuvent-ils être la solution à préconiser ? La nouvelle constitution guinéenne en tout cas devrait pour le moins garantir la stabilité et la fiabilité de nos institutions républicaines.
Il y a également et en place de choix bien sûr la question de la Réconciliation nationale qui est aujourd’hui galvaudée par quelques-uns qui n’ont pas compris qu’elle procède d’un mal profond : les injustices et les fissures mémorielles. On peut aussi citer l’audit des comptes publics, la dépolitisation de l’Administration publique, l’indépendance du système judiciaire et surtout l’organisation méthodique et transparente des prochaines élections ( communales, législatives et présidentielles ).
Tout cela serait vu sans jamais ignorer les positions quoique « intransigeantes » de la communauté internationale.
B): La communauté internationale en quête de réponses immédiates.
La question centrale qui se pose depuis l’avènement du CNRD est sans surprise celle du délai de la Transition ( 1 ), car aucun des communiqués ou décrets pris jusque-là n’en donne la précision, pas même la Charte qui fait foi de boussole sur lequel le fonctionnement étatique et les politique sont conduits. Il en est aussi logiquement des prochaines échéances électorales qui semblent être la dernière des préoccupations du CNRD ( 2 ).
1 – La Charte de la Transition se limite à dire en substance que le délai de la transition sera indiqué en consultations avec les forces vives de la Nation. Mais lesquelles ? Est-ce du CNT dont il est question ? Si cette stratégie a eu le mérite de lui donner plus de « clairvoyance » dans ses démarches, et d’éviter ce qu’on a appelé à l’époque « piège malien » pour avoir consenti à un délai devenu impossible d’être respecté, l’on commence – à tort ou à raison – à se poser des questions sur les modifications réelles du CNRD. Est-ce un stratagème pour pérenniser au pouvoir ? Comme la formation du gouvernement dont la lenteur, au-delà de la compréhension sur le tri des « candidats », avait tout de même poussée certains à croire à une volonté tacite de faire ralentir le processus. C’est pour toutes ces raisons que le CNRD devrait faire plus d’efforts dans la formation du CNT, éclaircir davantage la lanterne des uns et des autres sur la définition des consultations avec les forces vives et, peut-être dans une large mesure de transparence d’indiquer clairement le délai de la transition qu’il entend chapeauter et de s’atteler sereinement au travail de fond.
2 – Le retour à l’ordre constitutionnel est très souvent la seule préoccupation majeure de la communauté internationale qui craint qu’une transition militaire ne finisse par avoir le goût du pouvoir pour s’éterniser. Elle a raison à juste titre. Les transitions militaires se sont souvent soldées en régime militaire autocratique en Afrique. La Guinée connaît bien cette chanson. Le Général Lansana Conté est mort au pouvoir, après 24 ans. Mais nous avons aussi connu le CNDD, avec Le Capitaine Moussa Dadis, puis avec Le Général Sékouba Konaté qui a fini par céder le pouvoir aux civils sous l’égide de la CEDEAO. Ce dernier épisode retient aujourd’hui notre attention d’autant plus que nous avions compris que les élections ne doivent être que l’aboutissement d’une transition et que des élections bâclées, dans un climat politique aussi nauséabond sont plus dangereuses qu’une transition prolongée aux résultats satisfaisants. Mais la communauté internationale n’est pas de cet avis. Il revient à ce titre au CNRD de la rassurer sur ses intentions et de faire en sort qu’une transition réussie avec des alternatives rassurantes est acceptée par la majorité des guinéens.
Par Ali CAMARA