La date du 05 septembre 2021 restera dans les annales de l’histoire de la République de Guinée. Ce jour fut marqué par le renversement du régime d’Alpha Condé – au pouvoir depuis décembre 2010 -, par le colonel Mamady Doumbouya. Un coup d’état largement condamné par la communauté internationale, qui d’ailleurs met la pression sur l’actuel président de la transition pour le retour à l’ordre constitutionnel. Le peuple guinéen place des espoirs importants sur ce nouveau gouvernement, mis en place par le CNRD, dirigé par le colonel Mamady Doumbouya, qui a promis une rupture par rapport aux anciennes pratiques politiciennes. Il souhaite également remettre les populations guinéennes  au centre des préoccupations politiques. 100 jours après l’arrivée au pouvoir du CNRD, quel bilan pouvons-nous tirer (même s’il est tôt) ? Quelles sont les perspectives pour ce pays si stratégique ?

Si la nouvelle de la prise de pouvoir par une junte militaire a été accueillie avec scepticisme, l’inquiétude demeure, notamment à cause des souvenirs encore présents du passage de la dernière junte militaire au pouvoir à Conakry (Décembre 2008 à Décembre 2010). Mais très vite, au gré des déclarations, l’inquiétude et la peur ont laissé place à l’euphorie. D’ailleurs, après le coup d’état, on a assisté à des scènes de liesse à Conakry, la capitale guinéenne. Une partie importante de la jeunesse se réjouissait de la chute d’Alpha CONDÉ. De l’espoir pour la jeunesse guinéenne, qui a vécu en 11 ans de gouvernance du Prof Alpha Condé, des périodes ponctuées par des crises socio-politiques, des violences, la dégradation du tissu social, l’instrumentalisation ethnique… La crise de la COVID-19 est venue exacerber les difficultés économiques, plongeant ainsi la majeure partie de la population dans une grande précarité.

Le peuple guinéen nourrit beaucoup d’espoir en ce nouveau régime, qui promet une rupture totale avec les anciennes pratiques politiciennes. Comme le veut la tradition après 100 jours d’exercice du pouvoir suprême, allons marquer un temps d’arrêt, afin de revenir sur les actions entreprises par le nouveau régime, examiner ses orientations sociales, politiques, économiques ou encore diplomatiques. Nous allons nous pencher sur les indicateurs qui permettent d’analyser le contexte et la situation, tout en mettant en exergue les défis qui pointent à l’horizon. Le but ici est de contribuer à aider ce gouvernement, à travers des idées et des pistes d’action. La Guinée est à la croisée de plusieurs chemins, dans un environnement où les dirigeants devront se tenir prêts à faire face aux rapports de force et à d’éventuelles guerres hybrides. La gouvernance d’un Etat n’est pas un long fleuve tranquille.

Démarche d’apaisement et de rupture

Les nouvelles autorités ont multiplié les gestes et décisions symboliques allant dans le sens de l’apaisement, de la réconciliation, de la décrispation sociale ; une façon de recoudre en quelque sorte le tissu social, malmené ces dernières années par les régimes antérieurs. (libération des prisonniers politiques, retours des exils, visites des cimetières de Bambeto, consultations populaires, visites des tombes et familles des anciens présidents, baisse du prix du carburant, restitution des biens et droits des anciens présidents, mise en application des textes et dispositions relatifs au départ en retraite des cadres de l’Etat.)

Sur le plan de la gouvernance, le pouvoir en place a présenté sa charte de transition, nommé un Premier ministre et un gouvernement de transition, créé une juridiction d’exception pour juger les crimes économiques… Si toutes ces actions sont à saluer, il reste tout de même quelques interrogations  sur la durée de la transition, l’absence de communication concernant les mécanismes  le calendrier des réformes structurelles, le retard sur la mise en place du Conseils National de Transition (CNT) – organe majeur dans la mise en oeuvre des réformes -, la vision (pour le moment peu explicite) de la politique économique, sociale et diplomatique du pays. Autant de chantiers sur lesquels ce nouveau gouvernement devrait se pencher pour assurer une transition aboutie, susceptible de répondre aux aspirations des populations, ainsi que des institutions telles que la CEDEAO et l’UA.

La gestion sous pression

En tenant compte des décisions prises à l’encontre du régime de Mamady  Doumbouya lors du 60e sommet de la CEDEAO qui s’est tenu le 12 décembre dernier, il appartient aux acteurs et aux analystes de la vie sociopolitique et économique guinéenne d’en tirer les conclusions, et d’attirer l’attention des nouvelles autorités sur les mécanismes et dispositifs stratégiques, destinés mieux anticiper et gérer les rapports de force. Suite à la pression de la CEDEAO, on peut s’accorder sur un fait : quelle que soit la durée de la transition, il faudra trouver des mécanismes de financement propres au pays, afin de disposer d’une marge de manœoeuvre suffisante pour dérouler la feuille de route et ainsi, mettre en place les réformes structurelles souhaitées.

Si cette transition a pour objectif la refondation de l’Etat – à travers des réformes structurelles majeures de moyen et long terme -, il faut souligner que la situation socio-économique actuelle est très préoccupante, et qu’elle nécessite nécessite d’importantes reformes conjoncturelles à très court terme, afin de soulager les populations durement frappées par la pandémie de la COVID-19 toujours en cours ; les effets de cette crise se traduisent par des pertes de revenus conséquentes, des dépôts de bilan de plusieurs structures… De la même manière, le secteur de l’économie informel a été durablement touché par cette crise sanitaire, ce qui a accru la vulnérabilité des populations qui étaient déjà dans un état de précarité important.

L’économie et l’incertitude ne font pas bon ménage. Ainsi donc, les nouvelles autorités devront, le plus tôt possible, présenter aux investisseurs une vision claire et le calendrier des réformes économiques et législatives à entreprendre. Pour ne pas voir la bulle sociale se transformer en véritable bombe due à la très sévère crise économique actuelle et à l’état de précarité avancée des populations, les autorités doivent entamer urgemment des reformes conjoncturelles. Il s’agit ici d’initier des actions immédiates, dont les résultats pourront être visibles dans un délai très court. Le but : soulager les populations et faire baisser la pression sociale, afin de permettre aux autorités de mener à bien le train de réformes.

Quelques-unes des actions préconisées à court terme :

§ une étude sur l’Impact de la COVID19 sur différents secteurs économiques (30 à 60 jours). Ceci permettra de connaître les secteurs les plus touchés, et d’en tirer les conclusions nécessaires à l’élaboration du plan de relance le plus adéquat.

§ un plan massif de relance économique (03 à 12 mois). Le financement des secteurs prioritaires, générateurs de revenus, créateurs d’emplois, producteurs de biens et servi

ces dédiés à la consommation nationale

§ une diversification économique (06 à 36 mois). La création des pôles économiques par région, afin de subvenir aux besoins de la consommation locale, et réduire ainsi les importations des denrées de première nécessité ; ce qui aura pour conséquence une diminution des besoins en devises étrangères, et donc une réduction de la pression sur le Franc guinéen

§ un accès au crédit à taux incitatif et un gel des remboursements d’au moins 18 mois ; gel régressif en fonction du secteur d’activité

§ une refonte du modèle économique basé sur une économie de rente (vente des matières premières.). Il faudra repenser le modèle économique, mettre un accent sur la production de biens, des services et des produits destinés à la consommation locale

§ Faciliter l’accès aux intrants ; machines pour des PMI ET PME locales, productrices de biens et services (dédouanement, accompagnement.)

§ Revoir à court terme les modèles de formation à travers la formation professionnelle, faciliter la réinsertion professionnelle, avec la réhabilitation et l’adaptation des centres professionnels (6 mois à 36 mois)

§ Adopter rapidement des reformes conjoncturelles au niveau de la BCRG, afin de lutter contre le phénomène inflationniste

§ Réguler certains secteurs d’activités (transports, logements, gestion des prix.)

A travers cet exercice, nous tentons de dresser les grandes lignes des réalités politico-économiques guinéennes. Il s’agit aussi de déterminer la position des partenaires multilatéraux et bilatéraux de la Guinée, ainsi que les menaces que font planer diverses institutions sous-régionales, continentales et internationales sur Conakry. Il faut également attirer l’attention des dirigeants actuels sur la nécessité de mettre en place des dispositifs de sécurité économique tels qu’une cellule d’intelligence économique. L’objectif étant d’identifier les risques et les opportunités auxquels le pays pourrait faire face. C’est aussi une façon de faire de la prospective, de l’anticipation et de l’influence. De tels changements permettront d’explorer les marges de manœoeuvre dont disposent les autorités de transition et par-dessus tout, de gérer les rapports de force, la pression et d’éventuelles sanctions de la communauté internationale.

Par Gervais MOUSSONGO,

Expert- Consultant en Stratégie – Intelligence Économique & Communication d’Influence et de Crise.

Ceo,  ADVALYS Consulting Group