Prenez garde, cette transition
ne doit pas être dévoyée…
« On m’a dit dans le creux de l’oreille, que la parure d’une cité, c’est le courage de ses enfants ; celle d’un corps sa beauté ; celle d’une âme sa sagesse, et celle d’un discours sa vérité». C’est l’introduction fracassante dont on a eu droit avec Mory KABA de la coalition de l’alliance des partis pour la victoire (APAV), lors de la rencontre avec le Chef de l’Etat au Palais Mohammed V ce Samedi, 15 janvier 2022. C’est dans ce même esprit que je décide pour une énième fois d’interpeller mes compatriotes.
Les bonnes intentions ne suffisent pas. Et si des gens veulent aller coûte que coute aux élections, alors qu’ils partent. Si cela participe à régler notre dérèglement social, alléluia ! Que le CNRD organise le plus vite les élections et se frotte les mains. Que les militaires au pouvoir ce n’est jamais bon signe. Que ce qui compte, c’est un président civil. C’est tout ce qui compte ! Le travail est ainsi facile. Si Dieu le permet, nous serons tous là pour apprécier ce que cela donnera. On ne peut aider un peuple où la majorité a la mémoire courte et une indifférence spectaculaire dans leurs propres souffrances.
Si l’on peut avoir les mêmes recettes, les mêmes personnes en espérant un résultat différent, c’est qu’on attend certainement le miracle à la place du résultat de nos efforts. Après ce coup de gueule, il est important de rappeler aux autorités actuelles que le temps de grâce, s’il n’est pas fini, il n’est pas si loin de finir. Les choses prennent du temps, c’est normal. Mais de là à traîner les fondamentaux, l’impatience et le doute des uns et des autres risquent d’être de mauvais compagnons. Il est temps de mettre le CNT en place et de décliner enfin les axes et le chronogramme de cette transition.
On peut continuer à tergiverser et à faire dans les discours, à faire des yeux doux. Mais pour changer un pays aussi gangrené que le nôtre la volonté ne suffit pas, il faut avoir le courage de la mettre en action, d’affronter les combines, d’oser quelques fois des mesures impopulaires mais nécessaires et efficaces. Si l’on ne peut pas organiser les ÉTATS GÉNÉRAUX DE LA GOUVERNANCE SOCIOPOLITIQUE, en conviant les intellectuels guinéens et africains désireux de nous accompagner, il faut croire que nous risquons de reproduire les mêmes erreurs. On pourrait donc faire ce travail de réflexions poussées qui permettrait ainsi au CNT d’aller plus vite et plus en confiance. Il ne suffit pas d’entamer un dialogue avec les acteurs politiques. Il faut aller au-delà. La construction d’un État prend du temps et elle se fait à plusieurs. Le CNRD se débrouille bien depuis le 05 Septembre et c’est très bien. Ce qu’on attend de lui davantage, c’est de poser de véritables jalons, sur la base de diagnostics clairs, par l’ouverture des débats contradictoires.
Mais si l’on veut au moins une transition à moitié prix, ces sept (7) choses me semblent nécessaires :
I. Le processus de réconciliation nationale.
On a déjà indiqué ses axes principaux, entre Vérité et Réconciliation et entre Justice et vérités historiques. Ce processus de Réconciliation qui a débuté depuis quelques années sera révisité par les Assises Nationales, ensuite piloté par une Commission indépendante instituée par le CNT ou par le Président de la République, en tenant compte bien sûr des recommandations qui seraient déjà faites ( y inclues les recommandations formulées par la Commission provisoire de réconciliation nationale (CPRN) après 5 années de larges consultations). Le processus ne saurait se limiter à la transition. Il s’agit donc de poser des actes forts qui permettront de décrisper l’atmosphère nauséabonde qui prévaut jusque-là.
II. La justice dans toute sa majesté.
On devrait insister sur les procès d’envergure qui impliquent tous les crimes que ce pays a enregistré, au moins depuis Janvier- février 2007. Cela veut dire qu’il faudra situer les responsabilités des crimes pendant les soulèvements populaires de 2007, des crimes commis au Stade du 28 Septembre en 2009 et tous les crimes et exactions commis pendant cette dernière décennie « sur fond de maintien d’ordre » au cours des manifestations de l’Opposition politique.
Faire la lumière et situer les responsabilités.
III. Faire les audits des comptes publics.
La moralisation de la gestion des affaires publiques, le principe de redevabilité, de l’exemplarité passeront par là. Nous avons toujours à implorer le fait que les membres du gouvernement actuel n’aient pas eu à donner l’exemple, en déclarant leurs biens avant toute prise de fonction. On ne saurait inventer les raisons ou imaginer les contraintes qui ont prévalu, mais cela est de nature à ne pas rassurer.
Il faudrait donc nécessairement l’audit des comptes publics et ses ramifications sur des enrichissements illicites à travers le pays.
Mais il faudrait impérativement éviter que cela se transforme en chasse aux sorcières, en procédant par une bonne méthodologie : choix de l’auditeur indépendant ( commission d’experts, magistrats, analystes financiers etc. ). Ils ne doivent ni être des politiques ni avoir des liens avec les dossiers. L’assignation de missions spécifiques avec un mandat clair, dont le périmètre ( périodes des comptes à examiner et durée de l’examination ) seront indiqués à l’avance.
C’est donc un réel plaisir de voir la mise en place du CRIEF ( Cour de répression des infractions économiques et financières ) et les dossiers saillants qui sont soumis à sa vigilance.
IV. Recensement général de la population et l’établissement d’un fichier électoral.
Il y a trop de spéculations et certainement beaucoup de mutations. Un recensement de la population n’est pas que pour des besoins électoraux. C’est un préalable à toute planification sérieuse pour tout projet de développement à moyen et long terme.
Maîtriser sa population dans toutes ses tendances, ses caractéristiques est un puissant moyen de planification. Mais après il y’a les questions relatives aux élections, et c’est en cela que le recensement général de la population permet au même moment de faire un fichier électoral plus ou moins correct, qui reflète la réalité. Ce fichier doit être transparent et ouvert à tous les acteurs du processus électoral pour éviter tout soupçon de collision ou de manipulation quelconque.
V. Faire une Constitution qui tranche avec les anciennes habitudes.
Tout d’abord, il s’agira d’éviter que la nouvelle constitution soit aussi « taillée sur mesure » des politiques actuels, en indiquant clairement soit l’âge limite de candidature aux différentes élections, soit en fermant définitivement ce débat. Un aspect non négligeable est celui des institutions constitutionnelles à prévoir. Sur ce point, il serait judicieux de réfléchir sur leur efficacité, les moyens réellement à disposition tout en tenant compte de notre histoire politique. Le nœud du problème demeurant celui du système politique à préconiser cette fois. Nous avons déjà expérimenté les régimes politiques à prédominance présidentielle avec les résultats que nous connaissons tous. Ne faudrait-il pas changer cela ? Il faudrait également trancher sur la question du mandant présidentiel, définitivement. Au-delà il y a la nécessité de réfléchir de manière générale sur notre système politique.
VI. Un nouveau Code électoral
Il est tout naturel que si la Constitution change les règles du jeu, il faudrait bien que le Code électoral s’aligne. Nous avons besoin d’un Code électoral plus démocratique et moins politique. C’est à dire un Code électoral qui limite de moins l’intervention des partis politiques au profit d’un arbitre indépendant et digne de confiance. On ferait mieux de revenir aussi sur la désignation des maires par les élus au Conseil communal. L’élection d’un maire serait plus fluide par le suffrage universel direct dans toute sa splendeur ! Les dernières législatives ont prouvé que nous n’étions pas prêts pour les « deals politiques. Il faut annuler la désignation des chefs de quartier par les partis politiques. Cela est inopérant dans la majorité des cas, à moins de vouloir troubler le climat de bon voisinage de paisibles citoyens qui n’ont rien demandé. Accordons nous sur ces différents points.
A ces éléments déjà évoqués, j’ajouterais l’épineuse question du règlement des contentieux électoraux. C’est une problématique sur laquelle le CNT devrait absolument réfléchir.
VII. L’organe de gestion des élections.
Même si je ne partage la façon dont la Commission Électorale Nationale Indépendante ( CENI ) a « disparu », il très facile pour nous tous de s’accorder qu’au lieu d’être la solution, elle n’a été que le problème, à la lumière de la vérité. La CENI en dépit du fait d’avoir été une machine à consommer autant d’argent a été un véritable « Trophée de guerre », la « détenir » ou en avoir un quelconque « contrôle » était devenu l’obsession de toutes les ambitions politiques. Ce qui fait d’ailleurs que la crise de confiance qui a prévalu sa création s’est enfoncée tant les acteurs sont restés convaincus qu’elle n’était jamais « impartiale ». Tous les résultats donnés par la CENI ont toujours été contestés, surtout les présidentielles.
Mais si l’on est arrivé au point de retourner au Ministère de l’Administration et de la décentralisation, il y alors aujourd’hui la nécessité d’en définir clairement les contours et de les rendre plus transparents. Mieux, le chantier de la dépolitisation de l’Administration publique devient de facto une exigence pour la confiance et l’obligation de neutralité.
Pour résumer, je dis que si l’un des ces chantiers énumérés n’est pas pris au sérieux avant d’aller aux élections, la transition politique en Guinée ressemblerait à une montagne qui accoucherait d’une souris. Tant les déceptions seront inouïes que les résultats resteront insignifiants. Ce serait sans doute faire le choix de la mollesse, de la peur, des ambitions personnelles, sacrifier ce moment et l’opportunité qu’il offre, et s’attendre à des crises interminables. Ce serait tout bonnement s’entraîner en mer calme en espérant le jour venu survivre par une mer agitée.
Par Ali CAMARA