La construction d’une République nécessite de gros efforts, un leadership transformationnel conséquent qu’on ne doit pas perdre de vue.
Plusieurs décennies de supputations stériles, partisanes, d’abus, de gestion chaotique de la chose publique, l’on se retrouve à la queue dans les classements IDH et autres.
Embourbés dans une dynamique de manipulation à relent ethnique, régionaliste, nos populations dans leur diversité se retrouvent prisent au piège d’une classe politique irresponsable.
A cette allure, l’on ne peut parler de travail, d’infrastructures, d’éducation, de système de santé performant, de services sociaux de base, de son identité guinéenne et citoyenne, de valeurs, de compétences, de patriotisme.
Pour le bon sens, cela appelle une refondation de la gouvernance sur des bases sociales et culturelles renégociées avec les populations et élaborées à partir des expériences propres à notre société.
En Guinée tout comme ailleurs, le décalage entre les constructions et les dynamiques institutionnelles et les vécus socioculturels revêt une ampleur telle que la légitimité des institutions publiques et de leurs actions méritent aujourd’hui d’être interrogées. La légalité de l’action publique ne saurait exister en l’absence de la légitimité qui est censée la fonder et lui conférer un ancrage durable dans l’organisation sociale. Les guinéens sont devant le défi d’inventer un mode de gouvernance qui leur permet d’élaborer les réponses spécifiques à des problèmes complexes qui se posent à son évolution.
Plus que des réformes sectorielles et partielles, plus que le placage de modèles institutionnels qui créent plus de problèmes qu’il n’en résout, le processus de transformation de l’Etat et de la société guinéenne appelle à une refondation profonde des modes de gouvernance.
La refondation de la gouvernance en Guinée va au-delà de la simple énonciation de pratiques et de règles, généralement tirées de l’expérience d’autres horizons qui seraient considérées comme les modèles indiscutables de « bonne gouvernance ».
Cette refondation demande l’élaboration et la mise en chantier de nouvelles pratiques en matière de gestion publique, fondées sur des valeurs, des référentiels et des principes connus, reconnus et acceptés par tous.
Cela appelle donc, de la part de tous les acteurs de l’espace public, une volonté et une capacité d’ouverture aux autres, tout en s’enracinant profondément dans notre propre culture. Ce qui permet de l’enrichir d’apports extérieurs et de la « remodeler » selon les besoins du présent et les exigences du futur.
Lorsque René Holenstein lui demande : « Quelles sont les grandes questions qui se posent aujourd’hui en Afrique », Joseph Ki-Zerbo répond sans détours : « Parmi les grandes questions, il y a d’abord celle de l’État ». Alors, pourquoi accorde-t-il ce privilège à l’État, alors que celui-ci n’a jamais été le centre d’intérêt du débat africain ?
Le moins que l’on puisse dire est que nul ne peut empêcher l’eau d’aller à la rivière. Car si le destin individuel est l’œuvre des dons naturels (aptitude aux sciences, aux arts, au sport etc.), le destin collectif est l’œuvre des hommes et des femmes investissant leur champ d’action historique, à la lumière de leur projet de société démocratique, dont l’État est l’incarnation.
Par conséquent, les nouvelles autorités ne peuvent relever les défis de la refondation de notre Etat, que si au préalable, elles se dotent de l’État en tant que manager stratégique d’une communauté politique et d’un projet de société démocratique, capable de réveiller les intelligences et de rassembler les dévouements.
Avec les réalités du monde d’aujourd’hui, l’avenir et la performance n’appartiennent qu’aux décideurs qui prennent les risques, gèrent d’une manière optimale les ressources rares (naturelles et humaines), parient sur la créativité, la compétence et l’innovation de leur outil conceptuel, politique, économique, social, culturel…
L’Etat de Guinée à l’instar des autres Etats africains, s’est abonné de façon effrénée à l’usage des vocables ‘’CHANGEMENT, REFONDATION DE L’ETAT’’ sans pourtant s’approprier les éléments incontournables pour sa conception, sa promotion et sa vulgarisation. Une méthodologie est d’autant plus nécessaire pour la réussite de la refondation dans notre configuration sociologie politique actuelle. Les effets d’annonces sont à proscrire.
Les évènements du 5 septembre 2022 déroulent le tapis rouge à la « reconquête de la République », le CNRD doit se vêtir du leadership transformationnel pour gagner le pari de cette reconquête dans le choix des hommes, les discours, les mutations à entamer, le contrôle de l’action publique, le déroulement des actions judiciaires, la défense du territoire, la sécurité intérieure …
Comme le soulignait Michel Crozier en 1979, « on ne change pas la société par décret ». Procéder aux reformes des politiques publiques de l’État, arriver à amener des bonnes réformes constitutionnelles et institutionnelles. Remettre l’administration dans ses fonctions régaliennes, afin qu’on puisse rassurer la Guinée d’un développement intégral », voici le leitmotiv pour le CNRD.
La vision incrémentale conçoit dans cette perspective l’action publique comme une simple action à la marge, procédant par d’imperceptibles modifications, ne faisant qu’accompagner les mutations lentes et progressives qui affectent le milieu social : cette « gestion incrémentale » serait indispensable pour permettre à la société d’évoluer sans à-coups majeurs et sans briser le consensus autour des autorités politiques. Les réformes ont ainsi d’autant plus de chance de passer dans les faits qu’elles s’inscrivent dans la ligne ou le prolongement des évolutions déjà amorcées ; en revanche, celles qui anticipent trop sur ces évolutions ou à plus forte raison les contrarient risquent fort de rester lettre morte.
L’action publique ne ferait dès lors qu’enregistrer les changements sociaux en cours pour les codifier, et éventuellement les accélérer, non pour les provoquer.
En fin de compte, le changement social devrait être conçu comme un mouvement lent, diffus, impliquant une évolution en profondeur des valeurs, des représentations et des comportements sociaux : résultant d’un ensemble de facteurs — techniques et économiques, culturels et idéologiques, tout autant que politique — qui interagissent, il s’inscrirait dans un temps long, contrastant avec le temps court dans lequel se déploient les politiques publiques ; celles-ci n’exerceraient tout au plus qu’une influence indirecte, en contribuant à infléchir les perceptions et les attentes des acteurs sociaux.
Toute politique publique constitue une réponse à une situation problématique : l’action publique suppose l’existence d’un « problème », c’est-à-dire d’une insatisfaction, d’un manque, d’une frustration, qui appelle une intervention pour y remédier ; toute politique est dès lors potentiellement porteuse de reformes, dans la mesure où elle vise à corriger un dysfonctionnement social, institutionnel, à atteindre un meilleur équilibre social.
Un travail de problématisation est nécessaire pour identifier le problème à résoudre, en rechercher les causes, localiser les responsabilités, avancer des solutions possibles, en établissant leur adéquation aux valeurs et aux principes sous-tendant l’ordre politique : les problèmes émergent à travers la production de « récits », mettant en scène la réalité et lui donnant sens par l’élaboration de trames causales et de schèmes interprétatifs.
La mise en œuvre est ainsi le cadre d’une action continue visant à faire intérioriser par les acteurs sociaux de nouvelles valeurs et à infléchir leurs comportements. Cet apprentissage passe par des voies diverses. D’abord, la contrainte, par laquelle certaines obligations de comportement sont imposées sous peine de sanction : les acteurs sociaux sont alors conduits à peser le coût d’une éventuelle transgression ; le renforcement par la loi du dispositif répressif visant à lutter contre l’incivisme, les détournements de fonds publics, la prise d’assaut de la domanialité publique, l’impunité, la promotion de l’ethno stratégie, la violence en milieu urbain, ce qui peut favoriser une sensible modification des comportements au quotidien.
Néanmoins, la puissance normalisatrice du droit ne saurait être surestimée. Aussi les commandements juridiques font-ils souvent place à des techniques plus souples, relevant de l’idée d’incitation : les pouvoirs publics indiquent des « objectifs » qu’il serait souhaitable d’atteindre, fixent des « directives » qu’il serait opportun de suivre, formulent des « recommandations » qu’il serait bon de respecter, mais sans leur donner pour autant force obligatoire ; si norme il y a, elle n’a plus de caractère impératif et son application dépend, non plus de la soumission, mais de l’adhésion des destinataires.
Cette logique d’apprentissage ressort du travail de mise en forme symbolique inhérent à toute politique publique : une politique publique ne se réduit jamais en effet à la construction d’un dispositif et à la mobilisation de ressources ; elle est toujours assortie de la production d’un discours qui la fait accéder à l’existence, lui donne corps et charpente, assure son bien-fondé et assoit sa légitimité.
Chez les humains, le changement suscite des réactions diverses, allant de l’espoir le plus fou à la phobie, en passant par le rejet. Alors, le CNRD ne doit en aucun se débiner des objectifs qu’il s’est assigné mais le tout dans une démarche structurée et impartiale.
La dimension éthique de la réforme de l’État guinéen doit imprimer toutes les initiatives de l’exécutif en vue d’une rupture soft dans une fermeté caustique d’avec les anciennes pratiques de l’administration publique.
Cette nouvelle réalité appelle un sursaut patriotique de tous les acteurs appelés à être impliqués dans la dynamique de proposition, de gouvernance, de décision…afin d’aboutir à la reconquête de la République dans son entièreté
Les nouvelles directives doivent être réfléchies, profondes et intégrer la relecture de la configuration future des institutions, le fondement des partis politiques, la forme et la durée de la transition adaptée.
Il est grand temps de tirer les conséquences des expériences précédentes pour qu’on sorte de cet énième recommencement.
Par Mohamed Doussou KEITA,
ECONOMISTE MANAGER