Ces dernières semaines, la Guinée a connu plusieurs mouvements de contestation de la gouvernance du Président de la République et de ses ministres. Une situation qui plonge les Guinéens dans un état d’instabilité freinant le développement longtemps prôné dans le pays. Dans cette interview, que nous a accordée, l’ancien ministre de la réconciliation nationale, premier vice-président de l’UFDG et animateur national du mouvement le Renouveau, M. Amadou Oury Bah connu sous le nom de BAH OURY, il a été question de parler de la situation socio-politique actuelle de la Guinée et des perspectives futures.

Récemment vous étiez hors de la Guinée, une absence où il y a eu plusieurs actions menées par plusieurs corporations sur le terrain. En se basant sur ces actions, quelle lecture pouvez-vous nous faire de la situation sociopolitique de la Guinée ?

Je constate qu’il y a une certaine mobilisation qui est en train de se structurer pour montrer une résistance face à des velléités de modification ou de changement de constitution. Il faut reconnaitre que cette attitude est inscrite dans l’histoire et le parcours historique de la Guinée. On a connu une période analogue de koudaïsme au début de la décennie 2001, malheureusement à cette époque les partisans du koudaïsme, c’est-à-dire donner une présidence à vie au Général Lansana Conté étaient parvenus à faire leur volonté malgré les résistances et les oppositions de l’opposition de l’époque y compris le président Alpha Condé d’alors qui était président du RPG. Mais cela a couté excessivement cher à la Guinée, ça a perturbé l’évolution politique et institutionnelle qui a empêché une réelle alternance en 2003, et qui a plongé le pays dans le marasme économique avec l’émergence des conflits sociaux de vaste envergure pendant pratiquement les années 2005, 2006, 2007 et qui sont ponctués par les tragédies du 22 janvier 2007. Et par la suite, à la mort du Général, également on a connu une période aussi très inquiétante précisément le 28 septembre 2009. Vu tout cela, on peut dire qu’on a perdu une décennie (10 ans) et jusqu’à présent, la Guinée n’est pas parvenue à se remettre correctement sur les rails pour résoudre ces pertes qui ont été accumulées dans une période extrêmement importante. Donc aujourd’hui, les Guinéens toute tendance confondue sans l’exprimer ouvertement montrent une réticence forte sur tout ce qui peut faire en sorte que la Guinée revient à cette situation. Il ne faut pas s’étonner du contexte socio-politique actuel.

Au mois d’avril dernier, plusieurs présidents des partis politiques, des acteurs de la société civile, des artistes et des personnes engagées ont lancé un mouvement dénommé, le Front National pour la Défense de la Constitution (FNDC) pour barrer la route au président de la République à un éventuel 3ème mandat. Est-ce que vous avez été consulté à cet effet ?

Je n’étais au pays en ce moment. Mais à mon retour, j’ai rencontré les initiateurs à savoir le Président de la Plateforme des Citoyens Unis pour le Développement (PCUD), Abdourahmane Sanoh et le responsable de la cellule balai citoyen, Sékou Koundouno, on a échangé et le fait que nous, on était déjà partie prenante à la convergence de l’opposition démocratique (COD) et ceux-là étaient déjà collectivement signataires, de facto, on est associé à la dynamique qui gravite autour des organisations de la société civile qui œuvrent dans le respect des lois de la République.

Etes-vous sûr de l’aboutissement de ce front sachant que toutes les grandes figurent et quand on sait que par le passé, il y a une divergence entre elles sur la scène politique guinéenne ?

Ce n’est pas le mouvement qui est le problème à ce niveau, c’est une initiative, c’est une volonté disons d’exprimer d’une certaine manière une communion d’idée par rapport à un projet qui est piloté par des éléments de l’entourage présidentiel. Mais, l’engagement va au-delà d’une organisation parce que c’est l’avenir de la Guinée qui est en jeu dans cette affaire, c’est-à-dire sa stabilité et sa cohésion parce que tout ce qui peut remettre en cause le dispositif constitutionnel lorsqu’on se réfère à notre histoire, on se rend compte que cela peut dégénérer à une autre forme de déstabilisation institutionnelle voire politique et même le plan sécuritaire. Ça peut impacter à cet effet négativement le pays. Donc ce n’est pas une question de mouvement ou de front, c’est une question de l’ensemble de la société guinéenne, qui est interpellée par rapport au projet qui pourrait ne pas être comme par le passé à aller dans le sens de l’intérêt général des Guinéens et de la Guinée.

Ce mardi 14, vous avez tenu une réunion au sein de la convergence de l’opposition démocratique (COD). Où en êtes-vous avec cette autre plateforme qui défend la même cause que le FNDC ?

Aujourd’hui, nous avons tenu une rencontre. Mais c’était une réunion pour faire le point parce que vous le savez avec la période actuelle, la polarisation des idées autour de la question concernant une éventuelle velléité de modification de la constitution, il y a des questions relativement importantes qui n’ont pas été en ligne de murs. Et ce sont ces questions qui ont fait l’objet de nos préoccupations notamment l’organisation des prochaines élections législatives avec les comptes rendus des travaux que la CENI avait organisé à Kindia et les répercussions que cela pourraient avoir. Alors il faut avoir une réponse, une attitude structurée, concertée par rapport à ces questions parce que derrière, tout manquement risque d’être un élément perturbateur d’un processus qui est encore en train de trainer les pieds.

Après l’audit du fichier électoral par des experts, une retraite a eu lieu à Kindia ces derniers jours, au cours de laquelle des anomalies ont été signalées. Selon vous, est-ce que cette situation peut permettre l’organisation des différentes élections libres et crédibles à bonne date dans les prochains jours ?

C’est la raison pour laquelle cette question est très importante. Vous ne pouvez pas avoir une bonne élection libre et transparente avec un fichier électoral qui est soit corrompu, soit qui présente des disfonctionnements graves. C’est pour cette raison qu’il faut prendre des mesures de la manière la plus stricte pour que le fichier puisse refléter le corps électoral guinéen et ça, c’est par rapport au passif. Par rapport à la situation actuelle, il faudrait que le fichier électoral puisse intégrer l’arrivée des nouveaux électeurs qui ont l’âge d’être recensés. Tout cela doit se faire en conformité avec les lois de la République dans la transparence et dans la rigueur. C’est extrêmement important que nous nous donnions les moyens pour que les choses se fassent avec rigueur parce que sinon, on risque de se créer des problèmes par la suite. L’élection, c’est d’abord un corps électoral bien identifié, largement représentatif et sans que ce fichier ne puisse être corrompu par des fictifs ou par d’autres méthodes. Il faut signaler donc que tous les moyens politiques, humains et les moyens logistiques soient mis en œuvre pour que cela puisse être corrigé le plus rapidement que possible.

Le constat révèle qu’il y a plusieurs mouvements qui naissent dans l’objectif de défendre les lois de la République. En toute objectivité selon vous, est-ce tous ces mouvements iront jusqu’au bout ?

Pourquoi ils n’iront pas jusqu’au bout ? C’est l’expression d’une volonté citoyenne de prendre part à un débat qui concerne l’ensemble des couches de la société. Ce n’est pas purement concentré sur les partis politiques ou encore les structures de la société civile. Cette question concerne tout le monde et s’il y a floraison de mouvements à tous les niveaux, cela veut dire que la question interpelle une large couche de la population. Et là, c’est une action salutaire.

Il y a une partie des cadres du camp présidentiel qui sont des promoteurs d’une nouvelle constitution un peu partout dans le pays. Vous M. Bah Oury, en tant qu’acteur politique, qu’avez-vous à leur dire ?

Ces promoteurs de la révision ou de nouvelle constitution, je leur dirais qu’ils ont fait la même chose sous Lansana Conté. Ils ont amené le président Conté qui était bien fatigué et très malade à s’engager dans une dynamique que lui-même vers la fin de sa vie a regretté. Et le pays a connu de fortes perturbations, l’économie a été complètement menacée, la colonne vertébrale de la Guinée cassée, les tragédies et des risques d’explosion se sont accumulés. Tout ça pour quel but ? 10 ans sont perdus à cause du Koudaïsme. Je pense qu’il ne faudrait pas qu’ils continuent à prendre en otage le pays et c’est la raison pour laquelle, j’en appelle à la sagesse et à la clairvoyance au Président de la République Alpha Condé de ne pas se laisser entraîner par ceux qui ont amené son prédécesseur dans une situation d’impasse. Cela nous évitera à ce qu’on ait des événements tragiques comme 2007 et de 2009. Il ne faudrait pas toujours qu’on recommence les mêmes fautes. Il faut alors que tous ceux qui ont été le centre du Koudaïsme idéologiquement qu’ils soient mis de côté d’autant plus que le Président Condé, le RPG dans sa globalité avaient payé une lourde tribu pour s’opposer à ces mouvements d’alors. Il n’est pas nécessaire donc qu’on fasse quelque chose de contraire pour ce que l’on a combattu longtemps.

A quels risques qu’on peut s’attendre selon vous, lorsqu’on parle d’une modification constitutionnelle actuelle pour un pays comme la Guinée ?

Vous savez bien entendu qu’en 2000-2001, la population guinéenne n’était pas proactive par rapport à la question politique. Il y avait les retombés de la guerre civile au Libéria, en Sierra Leone qui étouffaient disons l’expression démocratique en générale. On n’avait pas les réseaux sociaux, ni Internet ou encore moins les radios qui ont fait qu’il y a une conscience citoyenne aigue aujourd’hui. Vous n’aviez pas tous ces mouvements asymétriques de déstabilisation de l’Afrique de l’Ouest comme le Djihadiste, le terrorisme qui pullulent un peu partout en s’attaquant nos différents pays comme par effet de domino. Et de surcroît, nous n’avions pas une jeunesse qui préfère prendre le chemin de la méditerranée à travers l’immigration clandestine. La Guinée a changé et les préoccupations sont devenues autres. Les exigences sont devenues beaucoup plus nombreuses. Donc, la situation actuelle exige prudence, prépondération et sagesse pour mener le navire correctement dans le cadre inscrit dans la constitution. Si on refuse tout cela, on plonge le pays dans le désastre, à des événements tragiques, la déchirure du tissu social et beaucoup d’autres conséquences.

La Guinée est considérée comme le château d’eau de l’Afrique de l’Ouest. Mais jusqu’à présent, elle peine toujours à trouver des solutions adéquates pour satisfaire sa population en matière d’eau et d’électricité. Qu’est-ce qui devrait fait dans ce sens pour sortir de positivement dans ce secteur ?

Je l’ai dit ces jours-ci justement par rapport à la situation du secteur eau. Il y a un documentaire qui a été publié et qui montre en termes de qualité, l’eau distribuée par la SEG présente des insuffisances qui ne sont pas dans le cadre des normes de l’organisation mondiale de la santé (OMS). En termes de quantité aussi, beaucoup de foyers n’ont pas d’eau de manière régulière et d’autres n’en ont pas du tout. La population est en train d’augmenter, les villes sont en train de s’étendre et tout cela exige que nous puissions avoir de l’eau. C’est une question de survie car s’il n’y a pas d’eau, il n’y a point de développement, de stabilité et de paix. C’est donc évident que cette question soit d’aspect sanitaire et de santé publique. Pour moi, investir dans le secteur eau n’est pas spectaculaire mais c’est de pouvoir changer le quotidien des Guinéens. Vraiment c’est une urgence. C’est pourquoi, j’ai écrit au premier ministre Ibrahima Kassory Fofana une lettre pour lui rappeler à des obligations allant dans ce sens notamment le secteur de l’eau, de l’énergie qui sont des priorités absolues. Nous ne pouvons pas donc comprendre malgré tous les investissements qui ont été mis dans ces secteurs que nous ne puissions pas avoir une desserte satisfaisante en électricité. Pour cela, il faut la manière la plus professionnelle possible qu’un audit systématique soit fait pour savoir pourquoi il y a toujours des insuffisances. Un pays ne peut se développer sans avoir de l’eau à suffisance en qualité, avoir de l’énergie de manière satisfaisante parce que tout est lié à la question énergétique, avoir des routes pour permettre de favoriser de la mobilité de la population, de créer un cadre de vie beaucoup plus attrayant. L’autre aspect, c’est d’avoir une large couverture en termes de réseau de télécommunication et de l’Internet car ce domaine est devenu un outil important et indispensable pour aller dans le sens du progrès et du développement. Pour la révolution numérique, il y a la fibre optique en cours, il faut accélérer et mettre à la disposition des Guinéens pour un nouvel élan de développement.

Si vous étiez par exemple Ministre de l’énergie et de l’hydraulique en République de Guinée, quelles sont les véritables stratégies que vous auriez dû prendre pour faire face à ce problème qui ne fait que perdurer ?

Il est difficile en claquant les doigts pour dire que je ferai ceci ou cela. D’abord, c’est des secteurs lourds où ce n’est pas du jour au lendemain qu’on va changer une mauvaise situation une fois pour toute. C’est de savoir déjà pourquoi ça ne marche pas ? Quelles sont les insuffisances actuelles ? Et trouver solution à ces questions est extrêmement important qui nous amènera à se doter des moyens pour corriger et faire des reformes ainsi que des restructurations indispensables pour qu’en termes, ces secteurs puissent être correctement gérés et satisfaire les besoins du pays et des consommateurs en général.

Lors de la visite du Président à Kindia pour la pose de la première pour la fête de l’indépendance, sept membres du Front National pour la Défense de la constitution ont été arrêtés, jugés et condamnés pour troubles graves à l’ordre public par le TPI de Kindia. Après la Cour d’Appel de Conakry les a relaxés pour des faits non constitués le lundi dernier. Quel est votre regard sur la justice dans ce sens ?

Il faut se féliciter de cet exemple qui montre qu’il y a des magistrats qui veuillent à ce que les choses se fassent en conformité avec le droit. La Cour d’Appel de Conakry a fait de choses qui, à mon avis vont dans le sens de l’apaisement et l’application des droits des citoyens. Donc, une fois encore il faut s’en féliciter de cet acte de justice.

L’autre pan de l’actualité, c’est le cas qui vous oppose avec l’UFDG de Cellou Dalein Diallo concernant votre retour au sein dudit parti il y a de cela quelques années. Que peut-on retenir à propos de dossier ?

C’est le cas qui m’oppose avec Cellou Dalein Diallo et son entourage et non à l’UFDG en question. Vous savez qu’ils avaient décidé de manière unilatérale le 4 juillet 2016 d’exclure Bah Oury de l’UFDG. Par la suite, j’ai porté plainte et j’ai obtenu gain de cause. En première instance, le tribunal a indiqué que la décision d’exclure Bah Oury est nul et de nul effet. Ils ont interjeté appel au niveau de la Cour d’Appel de Conakry, et cela fait bientôt 2 ans et 2 mois que nous attendions la délibération de cette cour. Le 30 avril dernier devrait être le cas mais ils ont renvoyé cela deux mois plus tard. Moi j’ai dit comme on a attendu 2 ans et 2 mois, on peut aussi attendre ces deux mois supplémentaires. D’ici le 25 juin, on ne va pas rester à nous tourner les pouces, on fera comme par le passé et j’espère qu’elle que soit la décision de la Cour d’Appel, on va se préparer à avoir des alternatives pour ne pas passer à une perte de temps encore plus derrière des tiraillements judiciaires sur une longue durée avec une valeur ajoutée négative, pendant qu’il est important de s’organiser, de convaincre la grande majorité des Guinéens que nous représentons une alternative crédible pour les combats futurs pour une réelle politique de changement dans notre pays.

Interview réalisée par Mamadou Adama Barry pour maguineeinfos.com