Une nouvelle fusillade a fait un mort et au moins 25 blessés, dont quatre par balles, samedi après-midi à Khartoum, au Soudan. C’est le 3e incident du genre cette semaine, entre forces de sécurité et civils. Et toujours au même endroit, autour du même pont, dans une zone baptisée Colombie. Les civils accusent les soldats d’essayer de briser la révolte par la force.

Les soldats n’ont pas fait dans la dentelle. Arrivés avec plusieurs dizaines de véhicules, ils ont tiré sur la foule quotidiennement installée à Colombie. Mishaal Mohammed Abdelrahman raconte la scène : « Ils sont venus avec 20 véhicules. On a essayé de leur parler, mais ils ont tout de suite tiré, sans avertissement. On est monté sur le pont. Ils nous ont poursuivis et ont encore tiré. »

Des civils ont alors manifesté leur colère et les militaires ont encore fait parler leurs armes. La scène s’est répétée plusieurs fois sur ce site de Colombie réputé chaud, où drogue et alcool sont consommés. Pour Mohamad Abdallah, les soldats n’ont pas cherché à combattre la criminalité, mais à casser la révolution : « Les militaires sont des pervers. Ils cherchent juste à tuer. Tout cela est calculé, ce n’est pas une bavure et je suis pessimiste pour l’avenir. Ces gens sont tous issus de l’ancien régime. Ça va prendre du temps pour les déloger, mais on va tenir. »

Les blessés ont été transportés à Al-Jazeerah, un hôpital de campagne ouvert durant la révolte dans l’école polytechnique. Le Dr Mohammad Bahrid déplore l’attitude des militaires. « C’est une révolution pacifique et je m’oppose au gouvernement militaire, explique-t-il. Bien sûr si un soldat blessé vient ici, je le soignerai, parce que c’est mon devoir. Pour autant, il faut que cette situation s’arrête et qu’un gouvernement civil soit nommé. »

Un jeune arrivé sur un brancard a levé le bras en faisant le V de la victoire. Signe que les civils n’ont pas l’intention d’abandonner la révolte.

■ Reportage : la République du Tunnel, un des lieux les plus connus de la révolte soudanaise

Un pont situé à Khartoum, sur lequel passe une voie de chemin de fer. Des manifestants y sont installés en permanence et ils passent leur temps à cogner, taper, faire du bruit. On l’appelle la République du Tunnel.

Certains tapent des pierres sur la voie ferrée. D’autres cognent des poutres, d’autres encore chantent en agitant des drapeaux. La République du Tunnel est peut-être l’endroit le plus connu et certainement le plus bruyant de la révolte. Mohamed Assad Abu Taleb, ouvrier du secteur minier, y vit depuis le 6 avril : « Le 6 avril, il y a eu des violences et je me suis réfugié avec d’autres sur ce pont. Pendant qu’on se cachait, on a commencé à cogner. C’était spontané. On adore les percussions. Un proverbe dit que si le rythme ne te fait pas réagir, alors tu n’es pas Africain. Et on ne s’arrêtera que quand il y aura un gouvernement civil. »

La voie ferrée relie notamment Khartoum aux villes du Nord. Or le service ferroviaire n’est pas content, car l’occupation retarde les trains. Mais pour Abdelmajid Ahmed Mohamed Mustafa, étudiant installé là depuis presque deux mois, pas question de bouger. « Ça ne nous rend ni fous ni sourds, dit-il. Au contraire. Ça donne encore plus d’enthousiasme. On est prêts à rester ici jusqu’à la transmission du pouvoir aux civils. On dort ici, on nous amène la nourriture, à boire, les cigarettes, on lave nos corps et nos vêtements en bas dans le Nil. On ne rentre jamais chez nous. »

Ces cogneurs perpétuels disent appartenir à une république indépendante au service de la révolution. Et pour eux la révolution sera avant tout sonore, ou ne sera pas.

RFI