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Alors que le temps rapproche dangereusement le pays du sommet de la CEDEAO du 03 juillet 2022, les choses semblent bouger frénétiquement au niveau politique, même si les observateurs les plus aguerris peinent à voir clair dans les signaux envoyés par les autorités de la transition.
Il faut relativiser l’idée selon laquelle l’approche du sommet de la CEDEAO ferait montrer quelques signes de fébrilité dans le jeu du CNRD. On pourrait certes entrevoir une épée de Damoclès au-dessus du régime de transition, impression cependant atténuée par le discours du Premier ministre, Mohamed Béavogui, le 20 juin 2022 à l’issue de la retraite d’un mois de son gouvernement à l’intérieur du pays. Ce dernier paraît inspiré par une sérieuse prise de conscience sur la nécessité d’une transition inclusive.
Ainsi, au cours d’une conférence de presse à la primature, le Premier ministre a clairement annoncé la tenue prochaine d’un dialogue inclusif ayant pour but d’aplanir les divergences. Il a précisé :
« Une invitation sera adressée par le ministre de l’Administration du Territoire et de la Décentralisation à tous les acteurs politiques et sociaux pour une rencontre que je présiderai, dans les prochains jours, pour définir ensemble des modalités d’un véritable dialogue sans tabou, franc et inclusif ».
D’ores et déjà, plusieurs enseignements salutaires pourraient être dégagés de la déclaration de principe du Premier ministre. D’abord, on s’imagine que pour pouvoir se lancer dans une affirmation aussi engageante, Mohamed Béavogui a dû bénéficier de l’aval du CNRD, notamment du président de la transition ; on peut également relever l’usage du terme « dialogue » (et non d’un cadre de dialogue) au lieu de « concertation », mais il n’est pas farfelu d’envisager qu’il s’agisse effectivement « d’un cadre de dialogue » dans l’esprit du Premier ministre.
L’autre enseignement, non des moindres, de la nouvelle donne politique demeure le constat de l’échec sinon de l’insuffisance du « Cadre de Concertation » tel que précédemment proposé. On se souviendra du discours de Siaka Barry, ex-ministre d’Alpha Condé, devenu président du parti MPDG, lors d’une des réunions du cadre de concertation où il avait regretté l’absence des formations politiques majeures du pays autour de la table.
Curieusement, la traduction de l’annonce du Premier ministre pour un dialogue sans tabou s’est révélé être une invitation faite aux présidents des coalitions de partis politiques comme Cellou Dalein Diallo de l’ANAD, Mamadou Sylla de la CORED, Sydia Touré du parti UFR, à participer « au cadre de concertation » :
« Nous vous invitons à la troisième session du cadre de concertation qui se tiendra du vendredi 24 au lundi 27 juin 2022 dans la salle de conférence de l’hôtel Kaloum à partir de 10 h sous la présidence de Monsieur le Premier Ministre, Chef du Gouvernement ».
C’est donc piqué au vif par la contradiction entre l’annonce du Premier ministre et les termes de la lettre du ministre de l’Administration du Territoire et de la Décentralisation, que Fodé Oussou Fofana, vice-président de l’UFDG et Mamadou Sylla, président de la CORED, ont, dans un premier temps, décliné l’invitation du ministre à participer à la troisième session d’un cadre de concertation dont le principe et les modalités avaient été rejetés par un grand nombre de partis politiques et d’acteurs de la société civile. C’est dès lors dans une relative confusion que les autorités de la transition ont annoncée le report de l’ouverture de la session de dialogue inclusif du vendredi 24 juin au lundi 27 juin 2022 pour, dit-on, donner une chance à une plus large participation d’une certaine classe politique à la relance du dialogue inter-guinéen.
Fait cocasse, le gouvernement de la transition a donné à l’opinion le spectacle et l’impression d’une division de façade. En effet, certains observateurs estiment que l’annonce par le Premier ministre de l’ouverture du « dialogue sans tabou » constitue un camouflet au ministre du MATD qui a toujours privilégié « un cadre de concertation au lieu d’un cadre de dialogue ». Cependant, la teneur de la lettre du ministre Mory Condé est interprétée par certains comme étant un affront à la nouvelle donne d’un dialogue inclusif et sans tabou du Premier ministre.
Les réseaux sociaux étant devenus le vecteur le plus immédiat des échanges d’amabilités, des profils Facebook ont arboré la photo du ministre Mory Condé en guise de soutien à sa posture, disons-nous, alors que d’autres, plutôt favorables au Premier ministre, renvoient la politesse aux « Morycondeistes » en arborant soit celle du Premier ministre soit celle d’autres amis en profil pour amplifier la caricature.
Parmi les personnalités qui se sont essayées à ce nouvel effet de mode en faveur de Mory Condé, se distinguent les ministres Ousmane Gaoual Diallo, de l’urbanisme, et Mamadou Nagnalen Barry de l’agriculture. Tandis qu’à l’opposé, on retrouve généralement des communicants de partis politiques plutôt favorables à un cadre de dialogue en lieu et place d’un cadre de concertation.
L’histoire ne dit pas qui du Premier ministre et du ministre de l’administration du territoire a le soutien du CNRD, même si le terme « dialogue inclusif » n’est pas pour déplaire à l’organe central de la transition (CNRD) à quelques jours du sommet de la CEDEAO qui doit se pencher sur les enjeux de la transition guinéenne le 3 juillet 2022. Il s’agit sans doute d’un cafouillage contrôlé et assumé par le CNRD après les résultats d’un cadre de concertation plutôt mitigés en termes d’adhésion. Néanmoins, cette campagne digitale qui anodine, révèle au grand jour les tendances qui semblent se dessiner au sein du gouvernement guinéen : l’une ayant de très fortes accointances avec le CNRD et l’autre pro Béavogui.
Par ailleurs, l’une des bonnes nouvelles de cette fin de semaine est la réponse positive du Front National pour la Défense de la Constitution (FNDC) à l’invitation du Premier Ministre à participer à ce qui s’apparente à un cadre de dialogue. De son côté, l’ANAD a, dans une déclaration du 26 juin, indiqué qu’elle prendra part au dialogue politique prévu le 27 juin sous l’égide du premier ministre. L’UFR de Sydia Touré ne se fera pas conter le dialogue puisqu’un cadre du parti a laissé entendre, au cours d’une interview à la radio FIM FM, la possibilité d’une participation au dialogue. Toutefois, « l’opposition » dans son ensemble devrait se garder de dévaloriser à l’avance cette proposition de dialogue. La sagesse voudrait que chacun des acteurs de la vie politique nationale fasse les efforts nécessaires afin de voir se dégager une fumée blanche de la cheminée du cadre de dialogue que l’opinion espère sincère.
Il reste à savoir si l’intérêt général et le bon sens l’emporteront cette fois-ci sur l’esprit de calculs politiciens et de divisions fratricides qui minent depuis trop longtemps le long processus de construction d’un état de droit et d’une société démocratique en République de Guinée.
Mardi, 28 Juin 2022
Par Titi Sidibé et Mory Camara