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Les chroniques de la transition ont connu une interruption d’environ un mois histoire de permettre à ses auteurs de souffler un peu, laissant ainsi filer l’anniversaire de l’an un de la transition le 5 septembre 2022, et une actualité politique plutôt morose depuis le dernier numéro. Navrés d’avoir été aussi long, ceci dit les Chroniques sont de retour pour le plus plaisir de nos lecteurs.
Nous débuterons cette chronique par le processus de dialogue inter-guinéen piloter par le nouveau premier ministre, Bernard Goumou et le refus presque automatique des coalitions dites de l’opposition de le considérer comme un interlocuteur privilégié pour ledit cadre qu’elles appellent de leurs vœux.
Les partis politiques réunis au sein de quatre coalitions tiennent à l’arbitrage du médiateur désigné par la CEDEAO et à l’accompagnement des partenaires techniques et financiers.
Ainsi le médiateur de la CEDEAO, le béninois Thomas Yayi Boni, a pu rencontrer, lors de son dernier séjour à Conakry, les coalitions politiques improprement appelées « opposition » en référence à leurs positions de principe par rapport au cadre de concertation établi par CNRD.
Toutefois, par décret du 19 septembre 2022, le président de la transition, le Colonel Mamadi Doumbouya, a décidé de la création d’un cadre de dialogue inclusif « visant à favoriser des échanges constructifs entre le gouvernement, les partis politiques et la société civile autour de la transition ». Ce cadre de dialogue placé sous l’autorité du premier ministre doit être, selon le décret, animé par des facilitateurs nationaux » reconnus notamment pour leur neutralité et leur expertise.
Dès le 21 septembre 2022, les alliances ANAD, FNDC politique, la CORED et le RPG, ont signé une résolution par laquelle, elles ont rejeté le cadre de dialogue tel que proposé par le décret du président de la transition. Elles ont pointé du doigt la gestion unilatérale de la transition par le CNRD (au lieu du consensus), le fait que l’objet du décret qui est le cadre de dialogue ne procède pas d’une consultation préalable avec les partis politiques et les organisations de la société civile. Elles ont également dénoncé la subordination du cadre à l’autorité du CNRD tant dans son organisation que dans ses prises de décision. En guise d’exigence, ces partis ont réitéré la nécessité de la supervision de la CEDEAO avec la poursuite de l’intervention de son médiateur, Thomas Yayi Boni, l’assistance technique et financière du G5.
Sans risque de se tromper, on peut avancer que le cadre de dialogue, crée par décret présidentiel du 19 septembre 2022, a peu de chance d’être matérialisé tant la méfiance entre le CNRD et les coalitions de partis politiques est entamée. C’est d’autant plus dommage que le premier ministre s’était félicité de pouvoir coordonner un véritable et inclusif dialogue inter-guinéen en tendant la main à l’ensemble des parties prenantes. Il en a appelé au patriotisme et à la nécessité de relever le défi commun du retour à l’ordre constitutionnel.
Si on peut relever une timide volonté des autorités de la transition de vouloir débloquer le processus de transition dans ses volets dialogue et concertation, on ne pourrait entrevoir, entre les lignes du décret intervenu, une véritable volonté de relance du dialogue entre l’opposition et le CNRD. Certains observateurs voient d’ailleurs, de la part de la junte militaire guinéenne, un signal de bonne volonté envoyé à l’adresse de la CEDEAO à quelques jours de son sommet du 24 septembre 2022 en marge de l’Assemblée Générale de l’ONU.
La crise guinéenne s’est ensuite déplacée sur le terrain de la CEDEAO lorsque le président de la Conférence des chefs d’Etat de l’Organisation sous-régionale a, en réponse à la chaine France24 et RFI, déclaré le 23 septembre 2022 que la durée de la transition de 36 mois telle que proposée par le CNRD ne passerait pas.
Umaro Sissoko Embalo, également président de la République de Guinée-Bissau, a en effet rappelé la durée de transition de maximum 24 mois non négociable pour la CEDEAO, précisant que la Guinée prendrait le risque de lourdes sanctions en cas de refus de suivre les recommandations de l’organisation.
Évidemment, la réaction de la partie guinéenne aux déclarations Umaro Sissoko Embalo ne se s’est pas faite attendre.
En rang dispersé, c’est d’abord le ministre secrétaire général de la présidence, le Colonel Amara Camara, qui répliqua pour dénoncer un manque de rigueur par la tenue du sommet en dehors de la sous-région et de qualifier les propos du président Bissao guinéen de mensongers et mal intentionnés (…).
Puis ce fut au tour du premier ministre, Bernard Goumou, de qualifier le président bissau-guinéen de « guignol dans le manteau d’un chef d’état»
« é é é , éé, éé ’ é. »
Si le ministre porte-parole du gouvernement, Ousmane Gaoual Diallo, et celui des affaires étrangères, Morissanda Kouyaté, ont fermement rappelé la position de la junte militaire de ne pas se laisser imposer un calendrier qui ne tiendrait pas compte des spécificités de la situation guinéenne, ils ont été bien plus à la hauteur des enjeux et de la responsabilité que leur confère leurs statuts de ministre.
L’opinion a, notamment à travers les réseaux sociaux, largement condamné les déclarations « irresponsables » tenues à l’endroit d’un chef d’Etat qui, de surcroit, est le président en exercice de la Conférence des Chefs d’Etat de la CEDEAO.
L’épilogue de l’affrontement par médias interposés entre Umaro Cissoko Embalo et les autorités de la transition guinéenne a été l’adoption par la CEDEAO à New-York, à l’unanimité le 23 septembre 2022, de sanctions progressives à l’encontre des membres du gouvernement guinéen, des membres connus du CNRD et du CNT.
Les sanctions vont de l’interdiction de voyager, infligée aux personnes dont les noms figurent sur la liste dressée par le président Embalo, au gel de leurs avoirs éventuels. Les sanctions progressives sont assorties d’un ultimatum donné à la junte guinéenne de présenter une durée de transition raisonnable dans un délai d’un mois, sous peine de sanctions économiques conséquentes.
Si certains ministres du gouvernement ont regretté et relativisé la décision et l’impact des sanctions infligées à la Guinée, on ignore à ce jour le véritable ressenti de la junte par rapport aux sanctions. Même si elle affiche un visage de sérénité, tout laisse à penser que l’heure est à la tension dans les relations avec la CEDEAO.
Le colonel Mamadi Doumbouya qui effectuait une visite officielle à Bamako à l’occasion de la fête d’indépendance du Mali, n’a pas encore fait de déclaration publique concernant la nouvelle donne du processus de transition. Mais, tout porte à croire qu’il ne serait pas contre un bras de fer calculé avec la CEDEAO.
En attendant de connaître la nouvelle marche du processus de transition en Guinée, il convient de rappeler que c’était la toute première sortie du colonel Mamadi Doumbouya des frontières du pays. Il a en effet rendu visite à son homologue Assimi Goïta à Bamako à l’occasion de la fête d’indépendance du Mali.
Le procès du massacre du 28 septembre 2009 annoncé par le président de la transition, il y a quelques mois, prévu le 28 septembre 2022, semble être de l’ordre du possible. Le CNRD pourrait marquer un point positif dans l’opinion en tenant son engagement de démarrer et mener à terme ce procès tant attendu. Une certaine opinion pointe néanmoins du doigt l’impréparation ou la précipitation autour de l’organisation du procès portant sur des faits qualifiés de crimes contre l’humanité.
Notons également l’arrestation d’Etienne Soropogui, membre de l’ANAD, à la sortie de l’émission MIRADOR de la radio FIM FM où il aurait tenu des propos n’ayant pas plu à la junte militaire. L’arrestation est d’autant plus surprenante qu’aucune enquête ne semblait viser l’intéressé. Nous apprenons au moment de la présente publication que Monsieur Soropogui a été libéré en attendant la suite de son procès.
L’histoire retiendra que les mois d’août et septembre 2022 ont également connu des mesures de suspension prises à l’encontre de journalistes de la presse privée par la Haute Autorité de la Communication (la HAC) pour des motifs souvent très légers du point de vue de la déontologie du métier de journaliste.
Les développements qui précèdent dénotent immanquablement une crise politique, voire une crise de régime qui s’empare de la transition guinéenne de sorte qu’il convient de s’interroger sur le processus tout entier. Le CNRD donne l’impression d’être débordé de l’intérieur par la multiplicité de ses initiatives dites de la refondation du pays (justice, transformations urbaines, mines, infrastructures routières …) et l’impasse du dialogue inter-guinéen née de ses propres turpitudes.
L’engouement suscité par le CNRD le 5 septembre 2022 s’essouffle à mesure que la transition piétine et met au jour l’émergence de deux camps résolument opposés, se rejetant la responsabilité de l’immobilisme d’un processus qui se fourvoie désormais sans conteste.
Par Titi Sidibé et Mory Camara