Au prime abord , il est important de définir le concept de la démocratie en vue d’en saisir la quintessence. La définition la plus courante est celle de l’ancien président américain Abraham Lincoln qui l’a définie en ces termes : “ le gouvernement du peuple , par le peuple et pour le peuple “.

Bien que courte mais concise , cette définition de la démocratie traduit le but visé par ce modèle de gouvernance qui consiste à créer les conditions propices à l’exercice du pouvoir par le peuple ou en d’autres termes à assurer la dictature du peuple.

Ainsi, lorsqu’on transcende le temps , on remarque que la démocratie a aussi bien existé en occident qu’en Afrique. En occident , son existence remonte à la Grèce antique où il fut d’abord question de la “ démocratie directe “ lorsque les populations n’étaient pas nombreuses laquelle sera suivie par la démocratie représentative ou participative dans laquelle le peuple devait se faire représenter par des élus vu que le nombre d’ habitants vivant dans la cité fût devenu considérable.

En Afrique pré coloniale , les traces de l’existence de la démocratie sont indéniables car les historiens nous démontrent que malgré le fait que l’Afrique connût des royaumes et de vastes empires , la démocratie y était pratiquée à l’instar des monarchies constitutionnelles d’aujourd’hui telle que celle britannique.

Le souverain n’avait pas droit de vie ou de mort sur ses sujets mais au contraire il veillait à ce que leurs droits soient respectés , les lois garantissaient le bon fonctionnement de l’état et de la société, les disputes et les dissensions se résolvaient sous l’arbre à palabre. L’empire du Mali avec sa charte de kourou kanfouga, l’empire Songhai avec ses institutions que l’Askia fût contraint de respecter sont quelques exemples qui témoignent de l’existence d’une certaine forme de démocratie en Afrique avant la colonisation.

À présent , pouvons-nous affirmer que l’Afrique moderne doit s’accommoder forcément du modèle occidental?

La bonne réponse serait d’abord d’accepter le fait que la démocratie soit un concept universel, ni occidental ni africain.

Au contraire la démocratie est à la portée de tous les peuples sans qu’aucun ne doive en revendiquer la paternité. Cela est aussi vrai pour le concept de “civilisation “ dans ce sens où il n’ y’a pas une civilisation qui soit supérieure à une autre.

Cela étant dit , il est une évidence que ceux qui promeuvent la démocratie en occident et ceux qui l’encouragent en Afrique visent tous comme but commun que le pouvoir soit exercé par le peuple et pour lui exclusivement.

Ils veulent tous le respect des libertés individuelles et collectives , le respect des droits de l’homme , la redevabilité de ceux qui les gouvernent à travers la transparence dans la gestion des ressources du pays et le partage équitable de la richesse.

Ils veulent en outre que les élections soient inclusives , transparentes et crédibles reflétant fidèlement le choix des électeurs. Tous aspirent à l’État de droit et au respect de la constitution de leur pays et de ses institutions.

Maintenant, la question qu’on se pose en Afrique demeure pourquoi le processus de démocratisation a t-il échoué majoritairement en Afrique bien qu’on puisse relever quelques exemple de réussite?

La réponse pour certains analystes réside dans le fait que l’Occident veuille imposer son modèle démocratique à l’Afrique tandis que cette dernière a hérité d’un découpage géographique différent de celui de la période pré coloniale et d’une culture “ diviser pour régner “, poussant les différents groupes ethniques à se livrer à une guerre sanglante pour conquérir le pouvoir et exercer ce dernier au profit de l’ethnie au pouvoir.

C’est pour quoi , disent-ils que les élections démocratiques ont lieu sur la base de l’appartenance ethnique et non du programme de société.

Un deuxième groupe d’analystes attribue cet échec à la mal gouvernance , au non respect des constitutions et des institutions , au tripatouillage des élections et à une communauté internationale au double standard , c’est à dire muette lorsque certains chefs d’Etat violent leur serment et leur constitution pour briguer un mandat supplémentaire , et véhémente lorsqu’il y’a des coups d’État militaires.

Dans l’un ou l’autre cas , nous pensons qu’il faille réinventer la démocratie et l’adapter aux réalités socio culturelles et politiques du continent.

Pour ce faire, il faut construire une nation viable , en promouvant par exemple la bipolarité dans le paysage politique. Cela se fait en privilégiant les primaires électorales comme aux États Unis pour qu’aux échéances électorales, le peuple malgré sa diversité ethnique et régionale ait le choix entre deux tendances , deux grands partis politiques qui devront vendre leurs programmes de société et non leur identité ethnique. Cette approche servira à inhiber les idées ethnocentristes et communautaristes pour privilégier le patriotisme et l’intérêt supérieur de la nation.

Deuxièmement , l’alternance au pouvoir ne doit pas être “ le critère unique “ pour qualifier la démocratie en Afrique mais il doit exister d’autres critères.

Autant l’Afrique est constituée de plusieurs pays , autant la démocratie doit être plurielle pourvu que les critères sélectionnés englobent les objectifs et symboles suivants : (1) l’Etat de droit , (2) le respect des droits de l’homme , (3) le respect de la loi fondamentale et des institutions , (4) la gouvernance vertueuse et la bonne gestion ,(5) l’exploitation judicieuse des ressources , le partage équitable des richesses et le bien-être des populations.

Avec cette approche de la démocratie , les organisations sous régionales en Afrique pourront réviser leurs protocoles sur la démocratie et établir un guide d’évaluation pour décider s’il y’a urgence qu’un régime organise de nouvelles élections en cas de non respect du protocole puis en cas de grave crise politique ou économique ou si un régime peut poursuivre sa bonne gouvernance tant qu’il respecte le protocole , est en harmonie avec son peuple et enregistre un progrès économique.

Par ailleurs , la communauté internationale dans laquelle figure en bonne place les organisations sous régionales doit accompagner l’Afrique dans son processus de démocratisation. Elle doit être proche des peuples africains et créer les conditions pour que les pays africains s’approprient de leur propre modèle démocratique et de leur développement. Elle doit non seulement agir avec neutralité et impartialité , mais aussi et surtout condamner sans complaisance lorsque les puissances étrangères qui pour leurs intérêts géostratégiques s’associent à des régimes corrompus pour violer la loi fondamentale en vue de briguer un mandat supplémentaire et pour tripatouiller les élections dans le but de conserver le pouvoir.Tant que la communauté internationale demeure de marbre devant de telles pratiques amorales , il n’y aura pas de raison qu’elle condamne les coups d’état qui ont lieu pour repartir sur les bases démocratiques.

Pour finir , retenons tous que le respect des principes doit guider tous les États et la communauté internationale . C’est à juste titre que André Malraux a dit : « On ne fait pas de la politique avec la morale, on n’en fait pas davantage sans ».

Par Abdoulaye M’Bemba KÉÏTA
Diplomate, Spécialiste en Études internationales dans le domaine des Relations Internationales