La cascade de témoignages se poursuit devant le tribunal de première instance de Dixinn. Ce lundi, 09 octobre 2023, le Journaliste correspondant de Radio France Internationale a livré sa version des faits. Présent au stade le jour des massacres du lundi, 28 septembre 2009 à Conakry, le doyen de la Presse a tout d’abord commencé sa narration par le voyage du Capitaine Moussa Dadis Camara à Labé. Ensuite, le confère est revenu sur son vécu du lundi noir, où des centaines de personnes ont été tuées et des femmes violées.

Lire ci-dessous, le témoignage:

« Monsieur le Président, vous allez me permettre de commencer ma narration des faits par notre voyage sur Labé. Le samedi 26 septembre, nous étions avec le capitaine Dadis, nous sommes arrivés là-bas le vendredi soir et samedi il y a eu le meeting. Au cours du meeting, j’étais avec un de mes confrères Amadou Diallo de BBC Afrique, on avait nos micros quand le Président Dadis parlait à la tribune du stade de Labé. 

Quand il a vu nos mircos, il a dit voilà, RFI et BBC sont là, tout le monde saura ce qui s’est passé au Fouta théocratique, alors tous ceux qui étaient autour de lui nous ont vus, civiles et militaires. Nous sommes revenus à Conakry dimanche parce que samedi nous avons travaillé à Labé jusqu’au soir dans un cyber café. 

Lundi matin moi je suis allé au stade. Arrivé, j’étais devant la pharmacie Manizé, le Colonel Tiegboro est arrivé, il a été vraiment applaudi par des jeunes manifestants qui se trouvaient là, en ce moment il n’y avait pas de manifestations. Après une ambiance bon enfant, il y a une foule qui est arrivée du côté de Belle-vue, Dixinn, c’était vraiment une grande foule. Une autre est venue de Madina, Pharmaguinée, donc une jonction au stade, c’est comme s’ils étaient donnés rendez-vous là-bas au même moment. 

Quand ils sont arrivés, le stade était fermé, il y avait des Gendarmes et des hommes du Gouverneur Diop au portail. Quand ils sont arrivés, et Tiegboro et tous les autres Gendarmes, tout le monde a fui et sont allés vers l’Université Gamal. C’est dans cette foule là que les portes du stade ont été ouvertes, je ne sais comment. Les gens sont rentrés et Gendarmes et Policiers reviennent, des Policiers de la CMIS Cameroun. Quand ils sont revenus, il y avait Bafoué et Tiegboro qui étaient là, il y a eu des disputes, le ton est monté pour ceux qui étaient encore dehors et ceux qui arrivaient, Tiegboro a dit chargez! Quand j’ai entendu la semaine quelqu’un dire ici, il a dit sacagez, non. Il a dit chargez. Quand Tiegboro a dit chargez, le désordre a commencé, matraques, lacrymogènes, coups de pieds, ça vraiment dégénéré et c’est en ce moment moi on m’a arrêté, c’est les Policiers de la CMIS Cameroun qui m’ont arrêté. Ils ont arraché mes appareils, micro, un de mes téléphones, parce que j’avais un autre téléphone dans mes chaussettes, ils ont cassé tout et ils m’ont embarqué dans un véhicule de la CMIS qui était stationné à l’arrêt de bus, sens Dixinn-Université. A un moment Bafoué est venu en courant, quand il m’a vu dans le véhicule, il a crié sur le Policier. Il les a insulté en disant faite le descendre, ils m’ont descendu et je suis venu vers le carrefour, là j’ai entendu quelqu’un dire qu’il y a eu un mort, c’était vraiment la première victime.

Quand j’ai vu ça, je me suis retourné un peu dans le quartier pour envoyer les premiers éléments (à RFI). J’ai pris un petit temps avant de revenir. 

Je rentre à peine, je mets mes pieds sur le gazon, j’ai entendu des crépitements d’armes, j’ai vu un déménagement indescriptible. Une foule et je peux vous dire qu’il y avait 50 mille personnes au stade, je n’ai pas compté mais je me dis qu’il pouvait y avoir 50 mille personnes. Mais quand les armes ont commencé à crépiter, je ne savais même pas d’où venait ces tirs, chacun se cherchait. Je suis sorti vers la porte où rentrent les footballeurs, je voulais monter sur le mur mais je ne pouvais pas. J’ai vu des enfants le faire, après moi je suis allé derrière la tribune et j’ai vu mon ami Amadou Diallo, lui et moi on a cherché un abris. De là où on était caché, on voyait des manifestants escalader le mur de l’Université, on entendait des tirs et on voyait des jeunes retourner dans la cour du stade derrière le stade annexe, on ne voyait pas des tirreurs, mais on voyait des jeunes tomber pendant un moment. Accalmie après, nous sommes sortis et c’est caporaux militaires bérets rouges nous ont arrêté, insulté, ils nous ont dit on va vous tuer, vous exécuter, mettez vous à genoux. Mon ami Amadou s’est mis à genoux, moi j’ai dit non, parce que je ne suis pas manifestant mais journaliste. Un d’entre eux m’a cogné dans le dos, je suis tombé et je me suis à genoux. Il y a un qui sort son arme et met sur ma poitrine et me dit on va te tuer, j’ai dit si ça peut sauver la Guinée, faut pas hésiter, je l’ai dit trois fois. C’est dans ces discussions que deux plus gradés sont arrivés en courant, laissez-les, ne les tuez pas. Ils ont dit levé, un des officiers a appelé un Policier pour dire de nous faire sortir, le Policier a pris une branche et s’est mis devant nous en disant journaliste-journaliste, on était trois parce qu’il y avait un jeune de Liberté FM. 

Il y avait des corps partout et arrivés au niveau du palais des sports, il y a une dame qui est sortie de là-bas en vitesse en disant Monsieur Bah sauvez moi, il sont en train de violer des femmes, sauvez moi. Ça criait dans le palais des sports, comme un match de Basket. En passant, on vu beaucoup de corps et des gens blessés qui étaient couchés. J’avais dit à la femme là vient tu dira que tu es mon assistante et arrivés au portail, le Policier a dit moi ma mission est terminée ici. Il y avait des Gendarmes qui frappaient des gens sur l’esplanade et c’est à la terrasse là-bas qu’on nous a arrêté encore, il y un qui a mis sa main dans ma poche pour m’arracher 150 dollar et 300 mille francs guinéens, ils ont fouillé le sac de Amadou qui a résisté et on l’a tapé la main. On arrive au carrefour, on a vu des Gendarmes en t-shirts verts disant qu’on va vous tuer, vous n’allez pas raconter ça… ».

Récit décrypté par Abdoul Labé Diallo