En Guinée, les statistiques liées à la question de la spécialisation des journalistes ne rassurent toujours pas les professionnels de médias. Bien que ça soit un métier transversale qui voudrait par endroit, que les sujets qui se présenteraient devant les hommes de médias soient tous traités, mais l’idéale voudrait selon la profession, qu’ils puissent s’intéresser à un domaine spécifique pour ne pas traiter de façon superficielle, certains sujets d’intérêt national. Dans cet entretien accordé à votre organe en ligne www.maguineeinfos.com, le Directeur General de l’ISIC de Kountia, a tout d’abord fait une analyse condensée sur le monde médiatique guinéen, avant de confier que le retard lié à la non spécialisation n’est pas imputable aux journalistes, mais à l’absence d’un mécanisme de formation dans les domaines appropriés qui puisse les permettre d’exercer à l’aise, ce qu’ils apprennent.
Maguineeinfos.com: Pour commencer Dr, dites nous en tant que professionnel, ce regard que vous portez sur le monde médiatique guinéen dans le cadre du traitement de l’information ?
Dr Bangaly Camara : Ma lecture sur le monde médiatique guinéen va sur plusieurs prismes. D’abord il y a une écriture passionnée dans les médias guinéens, mais aussi une écriture superficielle où on ne se limite qu’à certaines considérations. Je vois également une écriture militante au sein de cette même presse. Il faudrait donc trouver des moyens pour y remédier à cela. Même s’il y a une dose de professionnalisme dans le traitement de l’information, mais l’orientation qui est donnée aux faits que le journaliste rapporte, sont souvent, soit sous un angle purement personnel où on a l’impression qu’il est juste en train de régler un compte et qui ne peut donner la possibilité aux lecteurs de mieux cerner les faits. C’est-à-dire les gens sont là avec des avis soit politiques ou de préférence même personnelle. C’est pourquoi dans la presse guinéenne, vous trouverez que même les journalistes sont en train de se tirer à « boulets rouges » sur des questions qui pourtant, devraient être là préoccupation nationales. Je m’en vais juste prendre pour l’exemple sur la défaite du Syli Nationale. J’ai écouté pas mal de journalistes sportifs, où les gens étaient là, de façon disparate, en train de traiter ces questions parfois avec du militantisme, la préférence, la passion, ce qui est pourtant contraire à la profession du métier de journalisme qui, voudrait que les informations soient traitées de façon objective et équilibrée.
Alors le constat révèle qu’en Guinée, les journalistes sont peu habitués à ce qu’on appelle « la spécialisation ». D’abord qu’es-ce que c’est selon vous, et quel enjeux que cela peut avoir sur le traitement de l’information ?
Oui c’est vrai car, jusqu’à présent nous ne sommes pas arrivés à avoir une spécialisation tout à fait conséquente dans le domaine des médias en Guinée. Ce qui fait que les journalistes se retrouvent dans toutes les sauces. C’est-à-dire vous les trouvez politique sur le terrain, économique, sportif et autre. C’est vrai on peut, à un moment donné, espérer être un journaliste généraliste pour avoir les prérequis du métier, les techniques de traitement de l’information, et qu’on arrive quand même à traiter tous les sujets qui tombent à nos yeux puisque c’est un métier transversale, mais c’est aussi intéressant que de manière professionnelle qu’on puisse intéresser à un domaine pour pouvoir faire la part des choses à tous les sujets liés à ce domaine de façon approfondue et équilibrée. C’est pourquoi je parlais tout à l’heure de l’écriture superficielle, ce qui fait que les journalistes abordent parfois certaines questions juridiques, alors que le gars n’a pas une formation requise dans ce sens. Du coup, il va forcément interpréter quelques termes juridiques qu’il ne va pas mettre dans leurs contexte et cela va, d’une manière ou d’une autre, rendre ambiguë, la compréhension de l’information qu’il donne. C’est pourquoi il faut effectivement aujourd’hui, faire la promotion de la spécialisation pour que les journalistes puissent évoluer dans les secteurs qu’ils se sentent à l’aise, mais qu’ils essayent aussi d’apprendre. Si je prends toujours le sport, vous verrez que les 2/3 des journalistes guinéens veulent aller dans ce domaine parce qu’ils trouvent que c’est un terrain facile où on peut rapporter les faits sans qu’on ait trop de difficultées. Alors je dirai qu’ils se trompent car, de nos jours, le sport c’est tout une étude. Ils doivent connaître ces enjeux, son économie voir sa politique afin de savoir comment les clubs s’opèrent. Même dans le match, savoir comment ça se passe, qu’elles sont les dimensions du terrain etc…Tous ces aspects là, ils doivent les étudier et connaître. Mais les gens viennent dans le sport parce qu’ils sont commencés à narrer un match de ses copains dans les quartiers et au bout d’un temps, ils sont au sein des radios en train de parler du sport alors qu’ils n’ont aucune formation ni une compétence dans ce sens. Et tenez vous bien, c’est la même chose qui se passe sur le terrain politique. Aujourd’hui beaucoup d’hommes de médias s’improvisent en journalistes politique et pensent même connaître tout. Alors qu’il faut nécessairement étudier la science politique par exemple, ceci pour savoir quel est la charte des partis politiques, comment fonctionnent-ils, quels sont les enjeux politiques, quels sont les différents regimes, avoir l’idée de la constitution. Donc, ça requiert encore que le journaliste soit spécialisé. C’est pourquoi nous en tant que structures de formation, sommes en train de voir peut être dans les années à venir, comment essayer de limiter l’accès aux baccéliers pour permettre aux gens qui ont d’autres licences dans d’autres domaines comme au CESTI de Dakar ou dans d’autres pays. Si par exemple quelqu’un qui a déjà fait la sociologie vient pour étudier le journalisme, vous lui montrer comment se fait le traitement de l’information, lorsqu’il sera en face d’un fait de société, il sait qu’il a déjà le langage, et il aura toutes les possibilités de traiter cette information. Ce sont donc des choses que nous envisageons dans le futur. C’est-à-dire laisser la chance aux licenciés dans d’autres domaines et mettre les bacheliers au second plan. Parce que jusque-là, ce sont eux que nous recevons et on ne peut pas les spécialiser en tant tel, sinon que dans les filières liées au métier de journalisme, comme l’audiovisuel ou la presse écrite.
Dans d’autres pays comme la France, la majorité des journalistes sont spécialisés dans certains domaines bien définis. Pourquoi cela tarde à voir jour en Guinée? Et que faites vous en tant que journaliste chevronné et Directeur d’Institut dans ce sens ?
Ce retard n’est pas imputable aux journalistes parce que nous n’avons pas encore mis en place un mécanisme de leur formation dans les domaines appropriés pour leur permettre d’exercer à l’aise ce qu’ils apprennent. Comme je l’ai dit, l’accès à l’Institut est ouvert pour le moment qu’aux bacheliers. Imaginez que dans les prochaines années qu’on décide de prendre à partir de la licence. C’est-à-dire lorsque vous finissez par exemple vos cours de droit, de sciences politiques, de l’économie ou de la médecine et vous décidez de venir faire le journalisme. Cela trouve déjà que vous avez des prérequis. Nous nous ferrons que vous donner maintenant les techniques rédactionnelles et les approches journalistiques qui pourront rapidement vous rendre la tâche facile. Mais en l’état, nous formons les journalistes généralistes dans les filières spécifiques. Quand c’est la presse écrite, c’est un généraliste qui est sensé couvrir tout, mêmes si ce sont des sujets astronomiques, il doit pouvoir les traiter. Mais je pense qu’il y a un effort aussi qui doit être fait au niveau des rédactions. Vous savez ce métier, on peut l’apprendre à l’école certes, mais on apprend aussi sur le terrain à travers des séries de reportages sur une thématique par exemple. Et là, ça donne la possibilité au journaliste qui couvre un domaine donné de se familiariser. Sauf qu’en Guinée, ces journalistes n’ont pas la curiosité d’approfondir ces questions. Ils se limitent tout simplement à la même démarche de collecte d’informations, au lieu de dire par exemple s’il a eu la chance d’effectuer plusieurs sorties avec un département tel que l’environnement, il ne se donne pas son temps d’approfondir pour lui permettre de se prévaloir en spécialiste pourtant il en a fait beaucoup et a acquis une certaine expérience. Mais très Malheureusement, pleins d’entre eux ne le font pas et ne se limitent seulement qu’aux aspects factuels et c’est ce qui cause problème. C’est pourquoi quand vous prenez l’exemple du camp de ceux-là qui se disent journalistes spécialistes des questions juridiques, vous comprendrez qu’ils ne font pas d’effort afin de savoir que pour couvrir un procès, qu’il faut connaître les différents éléments tels que le code pénal, la loi. Cependant, ce sont ces dispositions que le journaliste doit prendre, mais aussi les rédactions doivent travailler dans ce sens. Mais très Malheureusement qu’es-ce qu’on constate en Guinée, c’est que ces rédactions n’ont pas de plans carrières. Le journaliste vient comme ça, il exerce son métier sans aucun plan de carrière préétabli pour les permettre d’évoluer du simple reporter au responsable de Desk jusqu’au poste de rédacteur en chef ou chef d’édition. Cet escalier là n’est pas là. Il suffit juste que vous faites plaire au Directeur pour vous dire, » petit » comme tu fais mes affaires, voilà je te prends comme rédacteur en chef. Alors qu’en principe, lorsqu’un journaliste arrive au sein d’une rédaction, il est d’abord reporter par exemple des faits divers. Lorsque ce dernier fait 3 à 4 ans uniquement la couverture de ces faits divers, cela va trouver que ses compétences sont avérées et peut être nommé responsable de la rubrique faits divers. Ça veut dire, tous les sujets traités dans ce domaine, doivent passer par lui à travers l’équipe de reporters qu’il aura à faire parce qu’on estime déjà que ce journaliste a une connaissance approfondie de ces faits. Cela donne automatiquement la possibilité d’apprécier tous les reportages liés aux faits de sociétés, et c’est comme ça vous allez traverser ces escaliers jusqu’à devenir rédacteur en chef ou chef d’édition. C’est pourquoi vous voyez dans d’autres pays, plusieurs rédactions en chef au sein d’une même rédaction et ce sont les rédacteurs en chef suprême qui supervisent toutes ces rédactions, chose qui n’est pas encore observable ici et qui rend difficile cette question de spécialisation.
Justement à ce niveau, grâce à vos différents partenariats, vous avez formés plus de 50 journalistes durant 3 ans dans certains domaines comme les industries extractives et environnement, en droit de l’homme et culture de la paix etc. Dites-nous qu’elle leçon tirez-vous de cette première expérience ?
C’est une expérience salutaire qui a été vraiment merveilleuse car, ça nous a permis d’avoir un corps de journalistes, activistes aujourd’hui des questions liées aux droits de l’homme, à l’extraction nminière, mais également à la gouvernance. On voit de nos jours parmi eux, certains qui se spécialisent dans ces questions au sein de leur rédaction. Ce partenariat avec OSOWA-Guinée a été vraiment intéressant, puisque c’est d’eux qu’on a reçu le financement. On aurait voulu que ça soit pérennisé. Il ne faudrait pas se limiter seulement à ces 75 journalistes formés 25 par domaine. On aurait dû vraiment projeter cette formation pendant 3 années pour voir comment ça pouvait prendre de l’ampleur, parce qu’a regardé les statistiques des journalistes formés dans ces différents domaines là, on se dit qu’il y a encore de travail et il fallait qu’on continue. C’est pourquoi, à notre niveau à l’Institut, nous sommes en train de voir comment relancer, même en l’absence du financement d’OSIWA et dans quelle forme par rapport à notre plan stratégique. C’est valable aussi pour des questions liées à la santé. Certes il y a les journalistes aujourd’hui qui sont spécialistes de ces questions mais lorsque vous les entendez, vous êtes frustrés car vous sentez tout de suite qu’ils ne sont pas du domaine et n’ont pas des termes et arguments nécessaires pour rapporter les faits liés à une maladie parfois. C’est pourquoi, l’ISIC va toujours continuer à œuvrer dans ce sens et si tout va bien, à partir de l’année avenir, nous allons ouvrir le Master ici, ceci pour toujours accompagner nos étudiants par rapport à la problématique liée à cette spécialisation.
Interview réalisée par Sâa Robert Koundouno