Contrairement à la perception courante, cette affaire semble relever davantage d’un cas probable de corruption systémique que d’un simple détournement ou vol de deniers publics. Bien que distinctes dans leur nature, ces pratiques engendrent des effets tout aussi néfastes pour l’État, compromettant la crédibilité des institutions et fragilisant les fondements socio-économiques du pays.
D’après ce qu’on peut lire dans la presse, les faits concernent deux entreprises : la Société Guinéenne des Mines de Fer (SGMF) et Ashapura Minex Ressource, redevables respectivement de 618 631 704 360 GNF (environ 70 millions USD) et 802 026 677 086 GNF (près de 90 millions USD). Ces sociétés ont fait l’objet d’un avis de recouvrement, suivi d’un avis de fermeture de leurs locaux professionnels en raison du non-paiement des montants dus.
Toutefois, ces entreprises auraient bénéficié d’un dégrèvement fiscal dans des conditions qui, à ce jour, apparaissent manifestement irrégulières, alimentant ainsi des soupçons sérieux de corruption et de faveurs indues. Les écarts significatifs entre les montants initialement exigibles et les sommes finalement acquittées interpellent sur la légalité et la légitimité des décisions prises.
LE DÉGRÈVEMENT : CADRE LÉGAL
Le dégrèvement fiscal, défini comme une réduction partielle ou totale de l’impôt dû par un contribuable, est encadré par des dispositions impératives du Code général des impôts, notamment en son article 1232. Celui-ci dispose :
1. La décision de dégrèvement d’office appartient :
– Au Directeur National des Impôts, pour un montant ne dépassant pas 100 000 000 GNF
– Au Ministre des Finances, pour tout montant excédant cette somme.
En conséquence, il appartient exclusivement au Ministre de l’Économie et des Finances de statuer sur tout dégrèvement supérieur à ce plafond. Toute décision prise en dehors de ce cadre constitue une violation flagrante des textes en vigueur.
2. LES ANOMALIES OBSERVÉES
De graves irrégularités procédurales ont été relevées dans cette affaire, notamment :
– Absence de signature ministérielle : Aucun élément ne prouve que le Ministre de l’Économie et des Finances a été consulté ou a donné son autorisation pour ces dégrèvements, bien que les montants en cause excèdent largement les limites fixées par la loi.
– Usurpation d’attributions : Selon les informations rapportées, le Directeur du contrôle fiscal aurait indûment utilisé l’entête du Directeur de la législation pour soumettre le dossier directement au Directeur Général des Impôts, lequel a procédé à la signature des documents. Une telle démarche constitue une usurpation de prérogatives et une violation des procédures administratives et fiscales établies.
– Non-respect des dispositions légales : Le dégrèvement, tel qu’exécuté, ne semble pas conforme aux prescriptions impératives de l’article 1232 du Code général des impôts, lesquelles imposent une validation stricte par les autorités compétentes. «La décision de dégrèvement d’office appartient : 1. Au DG des Impôts dans la limite maximum de cent millions de francs guinéens ; 2. Au Ministre chargé des Finances au-delà de cent millions de francs guinéens.»
3. UNE VOLONTÉ AFFIRMÉE DE LUTTE CONTRE LA CORRUPTION
– Il convient de souligner que, s’il est une qualité indéniable des autorités actuelles, notamment du CNRD, c’est leur ferme volonté de combattre la corruption et le détournement des deniers publics. Cette démarche, bien que louable, nécessite un renforcement accru des mécanismes de contrôle et une vigilance constante pour éviter que des pratiques illégales ne compromettent les efforts entrepris.
– En l’espèce, une enquête approfondie et transparente s’impose pour faire toute la lumière sur cette affaire, établir les responsabilités et appliquer les sanctions nécessaires conformément à la législation en vigueur. Ce n’est qu’en respectant les principes fondamentaux de l’État de droit que l’on pourra préserver l’intégrité des institutions et garantir la confiance des citoyens dans les mécanismes de gouvernance.
Ali CAMARA