Lors de son passage le 21 décembre dernier en Côte d’Ivoire, le Président français Emmanuel Macron, a échangé avec son homologue Ouattara sur la nécessité de la création d’une zone monétaire commune pour les pays de la CEDEAO, mais à un taux d’échange fixé avec l’euro qui ne sera forcément pas le cas. Docteur Ousmane Kaba, économiste de formation, pense que la nécessité de créer cette monnaie commune réside dans la stabilisation de la monnaie, à la réduction de l’inflation mais aussi surtout, d’empêcher des gouvernements qui retirent de l’argent comme ils veulent dans les banques centrales.
Maguineeinfos.com: les débats tournenent actuellement sur cette monnaie dénommée » ECO ». Parlez-nous en Docteur ?
Dr Ousmane Kaba : l’ECO c’est la nouvelle monnaie de la CEDEAO. Alors pour en parler, il faut retenir qu’au sorti de la deuxième guerre mondiale, lorsqu’il avait le nouvel ordre économique mondial qui s’est dessiné à Breton route, ce nouvel ordre mondial a donné le fond monétaire International pour normaliser les monnaies dans le monde, la banque mondiale, afin d’aider les pays à se reconstruire. Alors suite à cette conférence de Breton route tenue du 1er au 22 juillet et de 1944 à 1945, c’est Général Dégaul qui a donc signé la naissance du FCFA par un décret. Je le dis parce que la Guinée faisait partie, jusqu’en 1960 où elle a fait sa propre monnaie après l’indépendance et beaucoup d’autres pays anglophones en avaient déjà notamment le Ghana. Dans le cadre de la CEDEAO qui a été créé en 1970 pour l’intégration économique, il en n’avait déjà dès le départ, le projet d’intégration monétaire. On a alors voulu qu’il ait une monnaie commune pour toute la CEDEAO. Mais puisqu’il y avait la zone CFA, les pays qui n’étaient donc pas membres de cette zone, à savoir la Guinée, le Nigéria, le Ghana, la Sierra Leone et la Gambie ont lancé l’idée de l’ECO et faisait partie d’une seconde zone monétaire en projet qu’on appelle la ZMAO pour les États d’Afrique de l’Ouest. Et donc, l’ECO est une initiative de la Guinée, du Ghana etec, pas du tout celle ( initiative) des pays CFA. Alors nous qui avions notre monnaie nationale ont voulu créer l’ECO et il était qu’à terme, avoir deux zones monétaire. Une zone CFA et ECO et les deux allait se rencontrer pour créer une monnaie unique pour toute la CEDEAO. Mais il se trouve par un jeu de hasard, c’est plutôt les pays CFA qui vont être les premiers à faire cette monnaie ECO qui était nous notre projet. C’est juste ridicule..
Alors pourquoi cela paraît ridicule ?
Parce que vous savez pour créer une zone monétaire, il faut satisfaire ce qu’on appelle les critères de convergence. C’est-à-dire faire une certaine gestion de son économie pour pouvoir satisfaire ces critères. Les trois critères les plus importants, il faut avoir un déficit budgétaire inférieur à 3%, ensuite il faut que le taux d’inflation soit inférieur à 10% que 5%, troisième critère, il faut que l’endettement soit inférieur à 70% du PIB et le moins important est celui lié aux réserves d’échanges qui sont des devises pouvant couvrir trois mois d’importations. Alors ces pays qui pourront satisfaire ces critères seront ceux-là qui vont rentrer dans la zone économique.
Quels pourraient être les avantages pour les États membres de la CEDEAO?
En terme d’avantage, avoir une monnaie commune, favorise la facilité dans le commerce car vous n’avez pas à changer la monnaie de CFA en Franc Guinéens. Ça facilite également le calcul économique et les relations à l’intérieur de ces pays. En plus, comme ça devient un grand marché, les investisseurs seront encouragés à venir investir dans une grande zone monétaire et économique puisque les deux vont ensemble. Ensuite l’harmonisation des tarifs douaniers, la création des marchés. En même tant, faire appartenir à une zone monétaire stabilise la monnaie.
Économiquement parlant, est-ce que la Guinée peut opter pour cette monnaie, partant de sa situation actuelle?
Elle peut bien-sûr opter mais actuellement elle n’a pas encore satisfait tous ces critères de performance.
Alors qu’est ce qu’il faut ?
D’abord il faut être sérieux dans la gestion budgétaire. Je le regrette mais ce n’est pas encore le cas pour la Guinée parce qu’actuellement on sort beaucoup d’argent de l’État pour faire les campagnes politique et c’est ce qu’on appelle la « planche habillée ». Et la conséquence, c’est le taux d’échange de l’euro et de dollars qui augmente comme vous le constatez depuis deux mois déjà en Guinée. Alors quand cela augmente parce qu’il y a trop de monnaie qu’on a crée, on achète l’euro et le dollar, le taux monte et pour importer. Ça veut donc dire que les prix intérieurs vont commencer à monter. Cela va donc nous plonger dans un cycle inflationniste et nous allons de plus nous éloigner des critères qui vont nous permettre de rentrer dans l’ECO. Parce que, si vous décidez d’être dans la zone monétaire commune, il faut satisfaire ces critères de performance, notamment s’arranger pour avoir un déficit budgétaire qu’il soit le moindre. Mais malheureusement chez nous, l’État est en train de faire beaucoup de dépenses qui n’étaient pas prévues en Guinée. Et donc, le danger qui nous quête a été toujours celui lié à l’inflation qui n’a pour conséquence que, appauvrir les plus pauvres de la société.
Et pourquoi pas des États qui en ont déjà le CFA ne pourraient pas rester avec cette monnaie mais optent également pour ECo. Faites nous donc la différence entre ces deux monnaies?
Oui! C’est que le FCFA est un héritage colonial. Alors il se trouve que la jeunesse africaine de ces pays n’accepte plus que leur monnaie ne soit en parité fixe avec l’euro. Ça veut dire l’évolution du FCFA n’est pas faite selon des conditions des pays africains mais plutôt selon celles des pays européens, chose qui n’est économiquement pas acceptable. Et sur le plan politique, c’est difficilement supportable car, 60 ans après l’indépendance que notre monnaie soit toujours gérer par la métropole en France. Alors voilà pourquoi la révolte de cette jeunesse africaine pour mettre fin à ce Franc des Colonies Françaises d’Afrique ( FCFA).
Vous saluez donc l’initiative?
Mais c’est une bonne initiative car, il faut que ces pays s’emancipent. Mais de l’autre côté, il faut que nous aussi dans nos pays nous soyons disciplinés, qu’on rentre dans la zone ECO. Mais lorsque le Président Ouattara a indiqué avec Emmanuel Macron le 21 décembre dernier, qu’on a annoncé une zone ECO mais avec un même taux d’échange fixe avec l’euro, cela a fait que les gens ont pensé que rien n’a changé mais ce n’est pas vrai. Ça change bien-sûr mais c’est en des étapes. Je dirais donc que nous sommes actuellement rentrés dans une période de la transition et lorsque les autres pays vont rejoindre, nous allons forcément couper le lien avec l’euro et a fixé la valeur de l’ECO par rapport à un panier de 5 à 6 monnaies qui reflètent la géographie d’échange des pays appartenant à la zone.
Avis d’un économiste par rapport à cette monnaie?
Je dirai que c’est une bonne évolution. Nous souhaitons que non seulement les pays y soient, mais aussi nos différents pays qui ont des monnaies nationales. L’avantage pour un pays comme la Guinée, c’est que ça va réduire l’inflation et cela ne permettra plus au gouvernement d’aller retirer de l’argent comme il veut à la banque centrale. Économiquement parlant, notre pays a intérêt à rentrer dans cette zone d’ECO mais les autorités elles, n’ont aucun intérêt.
Pourquoi alors?
Parce que là, quand vous avez votre monnaie indépendante, vous pouvez aller fabriquer de l’argent à la banque centrale pour résoudre vos problèmes. Alors dans ce cas, ça n’arrange pas le pays mais ça arrange plutôt le gouvernement. C’est là donc la difficulté d’avoir sa propre monnaie. Alors il faut serrer la ceinture pour rentrer dans la monnaie commune.
Votre message de la fin?
Je dirai que c’est une bonne chose qu’on ait une monnaie qui regroupe tous les pays membres de la CEDEAO. Cela va aider à progresser dans l’établissement d’un marché commun, réduire le risque d’échange ce qui va donc encourager le commerce à l’intérieur de la zone, encourager l’investissement. Mais pourque ceci puisse évoluer, il faut que nous coupons le cordon ombilical avec la France et qui n’y ait plus de parité fixe comme c’est le cas aujourd’hui entre FCFA qui est devenu ECO et l’euro. Alors il faudrait qu’on établisse un panier de 5 à 6 monnaies qui reflètent l’évolution du commerce entre ces pays africains et le reste du monde. Voilà vers où on doit aller.
Entretien réalisé par Sâa Robert Koundouno