Ngozi Okonjo-Iweala, secrétaire générale de l'OMC

DÉFIS. Dans une économie mondiale ravagée par le Covid-19 et marquée par la montée des réflexes protectionnistes, la nouvelle directrice générale aura fort à faire.

Première femme à être nommée à la tête de l’Organisation mondiale du commerce, Ngozi Okonjo-Iweala va devoir remettre de l’ordre dans un chantier presque à l’arrêt du fait des coups de boutoir qu’a assénés à l’OMC l’ex-président Trump avec ses multiples initiatives contre les organismes internationaux symboles du multilatéralisme. La Nigériane devra en effet vite relancer une OMC paralysée dans un contexte rendu difficile par les assauts de la pandémie du Covid-19 et les ravages insidieux d’un protectionnisme rampant sur fond de guerre commerciale entre les Etats-Unis, la Chine, l’Europe et des pays émergents ou producteurs de matières premières en difficulté. Voici les défis qui l’attendent :

– Relancer l’OMC

Ngozi Okonjo-Iweala espère apporter un nouveau souffle à une organisation affaiblie qui doit renouer avec l’objectif d’améliorer les niveaux de vie des populations et favoriser l’accès des pays pauvres aux vaccins contre le Covid-19. « Je pense que l’OMC est trop importante pour être ralentie, paralysée et moribonde », estime-t-elle dans un entretien à l’AFP mardi, ajoutant : « Ce n’est pas juste. »

Ses objectifs immédiats : faire en sorte que les vaccins soient produits et distribués dans le monde entier, pas seulement dans les pays riches, mais aussi résister à la tendance au protectionnisme qui s’est amplifiée avec la pandémie, afin que le libre-échange puisse contribuer à la reprise économique.

Ngozi Okonjo-Iweala prend la tête d’une institution torpillée, on ne le répétera jamais assez, par l’administration de Donald Trump, qui était ouvertement hostile à l’organisation et avait même bloqué le fonctionnement de l’organe de règlement des différends. En plein cœur de la tempête, son prédécesseur Roberto Azevedo avait démissionné un an avant la fin de son mandat. Donald Trump avait mis l’année dernière son veto à la nomination de Ngozi Okonjo-Iweala à la tête de l’OMC. C’est le nouveau président américain Joe Biden qui a débloqué la situation en annonçant son soutien appuyé à la candidature de la Nigériane.

– Tenir la conférence ministérielle

La conférence ministérielle, organe de décision suprême de l’OMC, se réunit une fois tous les deux ans, habituellement en fin d’année. Cette réunion est d’autant plus importante que de nombreuses capitales l’utilisent comme date butoir pour faire avancer les négociations commerciales. Après la conférence ministérielle de décembre 2017 en Argentine, la suivante aurait dû avoir lieu, en raison des conditions hivernales rigoureuses, en juin 2020 au Kazakhstan. Mais le Covid-19 a forcé à repousser l’échéance sine die. Ngozi Okonjo-Iweala plaide pour une réunion avant fin 2021, mais ce sont les membres de l’OMC qui devront en décider, par consensus, sans doute les 1er et 2 mars.

– Redonner du souffle au multilatéralisme

Diplomates et experts s’accordent à dire que l’OMC s’avère être depuis des années impuissante à relancer des négociations d’envergure. Pourtant, les thèmes ne manquent pas. Certaines discussions (coton, subventions à la pêche) piétinent, tandis que celles sur des thématiques plus actuelles, comme les négociations sur le commerce électronique lancées en janvier 2019 au niveau plurilatéral, peinent à décoller, risquant de placer l’OMC en décalage avec son temps. Ngozi Okonjo-Iweala a elle évoqué la thématique de l’environnement et fait de l’accord sur les subventions à la pêche – pour l’heure au point mort – une de ses priorités immédiates pour montrer que l’OMC peut encore produire des avancées multilatérales. Son prédécesseur, Roberto Azevedo, a également assisté, impuissant, aux hostilités commerciales entre les États-Unis, la Chine et l’Union européenne. Les États-Unis et l’UE pressent d’ailleurs l’OMC de réviser le statut de la Chine, qui selon Washington usurpe son statut de pays en développement pour en tirer un avantage économique. Certains espèrent que la dimension plus politique de la nouvelle directrice générale va aider à réinjecter de la confiance dans le système entre les partenaires. « Elle peut contribuer à renforcer le multilatéralisme en utilisant son influence, mais, en fin de compte, les solutions doivent venir des membres », commente auprès de l’AFP Peter Ungphakorn, ancien membre du personnel du secrétariat de l’OMC.

– Remettre sur pied la cour d’appel de l’OMC

Roberto Azevedo n’a pas réussi non plus à empêcher les États-Unis de tordre le bras juridique de l’OMC. L’organe d’appel du gendarme du commerce mondial, dont la nomination des juges a été bloquée par Washington, n’est plus opérationnel depuis décembre 2019 faute de magistrats en nombre suffisant. La nouvelle cheffe de l’OMC entend trouver un accord à ce sujet avant la prochaine ministérielle. Les critiques américaines à l’égard de la cour d’appel ne sont pas nouvelles, l’administration de l’ex-président américain Barack Obama (2009-2017) ayant déjà bloqué la nomination de juges. Elles se sont accentuées depuis l’arrivée de Donald Trump, qui l’a accusé d’outrepasser ses pouvoirs en émettant des jugements, qui, selon Washington, violent la souveraineté nationale.

« Identifier les problèmes de l’OMC avec le président Trump a été une erreur courante. Il serait tout aussi faux de croire que si le président Biden vient à débloquer la sélection des nouveaux membres de l’organe d’appel, cela rétablirait la confiance dans l’ensemble actuel des règles commerciales de l’OMC », indique à l’AFP Hector Torres, ancien conseiller juridique du secrétariat de l’organe d’appel.

– Régler la question des droits de propriété autour du Covid-19

La pandémie a mis à nu les désaccords au sein de l’OMC, dont les membres sont divisés à propos d’une exemption des droits de propriété intellectuelle sur les traitements et vaccins anti-Covid, une proposition déposée par l’Inde et l’Afrique du Sud et soutenue par une centaine de pays. Ngozi Okonjo-Iweala entend régler cette question au plus vite. Elle envisage plus généralement que l’OMC fasse entendre sa voix dans la lutte contre la pandémie de Covid-19, en soutenant notamment le dispositif international Covax mis en place par l’OMS et Gavi pour distribuer des vaccins, en particulier dans les pays défavorisés. Forte de son expérience au sein de Gavi et de la Banque mondiale, elle souhaite également œuvrer pour que les pays en développement produisent davantage de vaccins anti-Covid sur leurs territoires, afin de pallier la pénurie.

– Faciliter l’accès au vaccin pour les pays pauvres

La nouvelle directrice générale de l’OMC a promis de donner un nouveau souffle à l’OMC qui, selon elle, s’est éloignée de son objectif d’aider à améliorer les conditions de vie des populations. À commencer par la distribution des vaccins contre le Covid-19 : « Je pense que l’OMC peut contribuer davantage à la résolution de la pandémie de Covid-19 en aidant à améliorer l’accès des pays pauvres aux vaccins », a-t-elle déclaré. « Il est vraiment dans l’intérêt de chaque pays de voir tout le monde se faire vacciner », a-t-elle ajouté.

Certains pays, à l’instar de l’Inde et de l’Afrique du Sud, demandent une exemption des droits de propriété intellectuelle sur les vaccins anti-Covid pour les rendre plus accessibles et permettre un déploiement plus rapide. Mais la Dr Ngozi Okonjo-Iweala veut éviter une querelle entre les membres de l’OMC, et aborde le problème sous un autre angle.

« Au lieu de passer du temps à discuter, nous devrions regarder ce que fait le secteur privé » avec des accords de licence, pour permettre la production de vaccins dans plusieurs pays, a-t-elle souligné, citant le cas du laboratoire britannique AstraZeneca en Inde. « Le secteur privé a déjà cherché une solution parce qu’il veut faire partie de la solution pour aider les pays pauvres et les gens défavorisés », a-t-elle déclaré, ajoutant qu’il faudrait aussi contrer la tendance aux restrictions sur les exportations des équipements médicaux et faire attention à ne pas perturber les chaînes d’approvisionnement en voulant miser essentiellement sur la production à l’échelle locale.

– Améliorer le niveau de vie dans les pays pauvres

Pour Ngozi Okonjo-Iweala, l’OMC doit s’atteler à son but premier, celui « d’améliorer les niveaux de vie » dans les pays pauvres, de « créer des emplois décents pour les gens ». Et « le commerce a certainement un rôle à jouer dans la reprise » économique après la crise du Covid-19. Avant la pandémie déjà, l’organisation s’était éloignée de son objectif, a-t-elle regretté, citant l’exemple de négociations-fleuves sur les subventions à la pêche, qui durent depuis vingt ans. « Cela ne peut plus durer. Nous devons conclure. On ne peut pas se permettre d’échouer sur ce dossier », a indiqué la nouvelle responsable. La pandémie de Covid-19 a empêché l’OMC, déjà en crise, d’honorer la date limite de fin 2020 dictée par l’ONU pour conclure un accord sur l’interdiction des subventions à la pêche qui contribuent à la surpêche. En cause selon Ngozi Okonjo-Iweala, les négociateurs, qui sont le « talon d’Achille » de l’OMC : « Genève regorge d’experts en négociation, mais les problèmes n’ont pas été résolus, ils se sont aggravés « , car » pour eux, il s’agit de gagner ou de ne pas perdre et donc ils se bloquent mutuellement ».

« L’OMC a besoin de renouveau pour changer les choses », juge-t-elle, balayant les critiques la visant pour son manque d’expérience en matière commerciale. « Vous avez besoin de solides compétences politiques, vous avez besoin de la capacité de manœuvrer », se défend-elle, ajoutant que ses 25 ans d’expérience à la Banque mondiale pouvaient lui servir à créer un pont entre les pays développés et ceux en développement. Elle le sait, son travail sera difficile et ingrat. Et elle se dit d’autant plus motivée à en montrer les résultats pour qu’à l’avenir, personne ne puisse remettre en question le fait de placer une femme à ce poste.

Source: lepoint.fr