Les rebelles du Front de libération du Peuple du Tigré (TPLF), en guerre depuis un an contre l’armée fédérale éthiopienne, affirment avoir pris le 30 octobre dernier la localité stratégique de Dessie. Ils ne sont plus qu’à quelques centaines de kilomètres de la capitale éthiopienne. Qui sont les rebelles tigréens derrière l’offensive sur Addis-Abeba ?
En quelques mois, la situation militaire s’est renversée. Le 28 novembre, l’armée éthiopienne, sous les ordres du Premier ministre Abiy Ahmed annonçait la prise de Mekele, la capitale de la province du Tigré. La fin de la rébellion n’était plus qu’une question de semaines.
Désormais, les soldats du Front de libération du peuple du Tigré (TPLF), soutenus par neuf autres groupes rebelles, contrôlent deux nouvelles villes stratégiques, Dessie et Kombolcha, situées à 400 km de la capitale éthiopienne Addis-Abeba. Ils espèrent renverser le gouvernement du Premier ministre Abiy Ahmed. Qui sont ces rebelles, à l’origine de l’offensive militaire ?
Le Front de libération du peuple Tigréen, un ancien parti politique
Le groupe armé rebelle éthiopien du TPLF est un ancien parti politique. L’organisation naît dans les années 70 et appartient alors à une gauche étudiante éthiopienne. Celle-ci baigne dans l’idéologie marxiste-léniniste. Les revendications du mouvement portent surtout sur l’autodétermination de la région du Tigré contre un pouvoir central, dominé par le peuple des Amharas.
Dans un pays mosaïque d’environ 80 peuples, l’idéologie nationaliste portée par TPLF réussit petit à petit à gagner l’approbation d’une large partie de la population tigréenne.
C’est avec l’arrivée de Mélès Zenawi à la tête du parti que le TPLF se structure dès 1989. Le dirigeant mène une campagne pour dépoussiérer le TPLF idéologiquement.
Le parti demeure à gauche, mais désormais les idées nationalistes l’emportent sur l’idéal marxiste. Le parti met en place rapidement une branche armée. Il conteste le pouvoir central dominé par une dictature militaire d’inspiration communiste (1974 – 1991), le Derg.
Le 28 mai 1991, ce sont bien les combattants du TPLF qui prennent Addis-Abeba, face à la dictature du Derg. Le parti du TPLF alors au pouvoir prône une politique économique ouverte sur le marché. Libéral économiquement, il n’en a pas moins un fonctionnement politique autoritaire. Meles Zenawi, figure charismatique du parti, devient chef de l’État. Il le restera jusqu’à sa mort en 2012.
Abiy Ahmed accède au pouvoir en 2018. Son accession porte un coup violent au TPLF. Le Premier ministre Abiy Ahmed est d’origine oromo, première communauté du pays. La rupture entre le TPLF et le nouveau pouvoir central est consommée.
Les Tigréens ne représentent que 7% de la population totale du pays et pourtant, ils ont su se maintenir au pouvoir pendant de nombreuses années. Aujourd’hui, ils tiennent tête et défient militairement le pouvoir central. Comment expliquer un tel succès militaire ?
Des rebelles, anciens cadres de l’armée éthiopienne
Les rebelles d’aujourd’hui sont ceux qui occupaient les postes stratégiques hier. Ils ont acquis une expérience des services de l’Etat durant de nombreuses années. C’est ce que constate Roland Marchal, chargé de recherche au CNRS et spécialiste des conflits armés en Afrique. « Le TPLF a redessiné l’appareil d’Etat éthiopien après 1991 et ses représentants ont occupé les postes cruciaux au sein des services de renseignements et de sécurité au sein des forces de police mais également de l’armée« , estime le chercheur.
Pourtant, le Premier ministre Abiyd Ahmed décide de se passer de cette expérience. Dès le début du conflit, en novembre 2020, il n’hésite pas à emprisonner près de 17 000 officiers de l’armée tigréenne. Il affaibli fortement l’armée fédérale désorganisant la chaîne de commandement. « Il s’est ainsi privé d’un personnel très qualifié et il n’a pas eu de relève immédiate au sein des forces armées. Il se sépare ainsi d’une armée fonctionnelle, capable et motivée » rappelle Roland Marchal.
D’autant plus que les leaders du TPLF sont aussi, pour beaucoup, d’anciens combattants. Ils se sont battus durant toute la seconde moitié du XXe siècle, propageant au sein de leur organisation de large compétences dans les actions de résistance.
Le TPLF est aujourd’hui très implanté dans la région du Tigré. Les population locales lui fournissent nourriture et aide logistique L’organisation militaire est collective mais le mouvement peut également compter sur les compétences de son principal leader, Tsadkan Gebretensae.
Le chef du TPLF Tsadkan Gebretensae, un « militaire d’exception »
À la tête de l’offensive des rebelles, Tsadkan Gebretensae joue un rôle essentiel dans le développement des capacités de renseignement du TPLF. Aujourd’hui, le groupement armé a la capacité d’écouter les conversations de l’armée éthiopienne et de brouiller ses communications radio.
Tsadkan Gebretensae est un militaire aguerri. Né dans les montagnes de Chercher, sur les hauts plateaux du Tigré, il se joint dès 1976 à la rébellion insurgée contre la junte militaire du Derg (1974-1991). Il gravit les échelons jusqu’à prendre la tête des 100 000 maquisards du TPLF.
En mai 1991, il devient chef d’état major de l’armée éthiopienne lorsque le parti tigréen entre au pouvoir. Il est aux avants postes durant toute la guerre qui oppose l’Erythrée à l’Ethiopie entre 1998 et 2000.
En 2018, lors de l’arrivée d’Abiy Ahmed, il n’entre pas tout de suite en conflit avec le Premier ministre. La rupture intervient un an plus tard entre les deux hommes .
L’ancien chef d’état major des armées éthiopienne est militairement en position de force. Il dispose en effet de quelque 250.000 hommes (force paramilitaire et miliciens), selon l’International Crisis Group (ICG). Ces hommes ont également récupéré des armes dans les bases de l’armée fédérale du Tigré. La position du gouvernement éthiopien est désormais fragile.
Source: tv5monde.com