Comment la Zone de Libre Échange Continentale ( ZLECAf ) pourrait-elle être concrètement utilisée comme principal véhicule pour approfondir l’intégration régionale par la construction (connectivité des infrastructures, déploiement de services personnalisés fluides et efficaces, amélioration de l’environnement des affaires, déréglementation et harmonisation institutionnelle entre les pays du continent)?

Comme vous le savez, depuis les premières heures de l’indépendance des États africains, l’intégration du continent africain fut souhaitée par bon nombre de dirigeants qui voyaient en elle le meilleur instrument qui servira à apporter une réponse commune aux enjeux socio-économiques et politiques de l’Afrique, tout en garantissant l’harmonisation des politiques de développement, gage certain d’un développement durable pour le continent. C’est donc dans cet état d’esprit et cette perspective que l’Organisation de l’Unité Africaine (O UA) fut créée , aujourd’hui Union Africaine ( UA) , en vue de soutenir cet ambitieux projet pour le continent et en faire un acteur majeur sur l‘échiquier international.

 

Dès lors, ceci nous amène à en déduire qu’une raison historique est à la genèse de la signature de la ZLECAf par 54 États africains sur 55 et au dépôt d’instruments de ratification de 36 États membres de l’UA à ce stade suivi. A cela s’ajoute aussi une raison immédiate qui confirme le bien fondé de la naissance de la zone de libre-échange.

Premièrement , nous pouvons dire que les accords commerciaux régionaux en Afrique n’ont pas vraiment répondu aux attentes en matière de facilitation des échanges commerciaux dans les existantes intégrations régionales africaines en raison de beaucoup d’obstacles dont les barrières tarifaires et non tarifaires, les lois douanières, les règles administratives rigides, le manque d’infrastructures pour permettre une circulation rapide et sûre des marchandises et services, l’absence d’un système de chaînes de valeur pour favoriser l’industrialisation, la compétitivité et l’innovation pouvant mener au développement économique et au progrès social de l’Afrique …

En ce qui concerne la raison immédiate, cette dernière est liée au contexte de la covid 19 à partir duquel le continent africain a vraiment pris conscience à quel point il pouvait être vulnérable aux maladies pandémiques notamment au vu de la difficulté d’accéder aux vaccins , aux kits sanitaires de base (masques, médicaments Gel hydroalcoolique pour un traitement hygiénique instantané des mains …) car ces produits sont fabriqués en dehors du continent ou difficiles d’accès d’un pays africain à un autre en raison des mesures tarifaires et non tarifaires . De même en plein milieu de la covid, nous avons noté que de nombreuses zones commerciales en dehors du continent avaient eu recours à des mesures protectionnistes pour servir d’abord leurs populations.

Cependant, nous pouvons noter positivement qu’ au lieu d’adopter des mesures protectionnistes, les États africains ont à l’inverse accepté de s’éloigner du protectionnisme en éliminant les droits de douane de 90 par le truchement de la ZLECAf qui est opérationnelle depuis le 1 er janvier 2021. Comme preuve de la mise en œuvre de la Zone de libre -échange continentale africaine, deux entreprises ghanéennes sont devenues des exportateurs pionniers de produits utilisant les préférences de la ZLECAf, il s’agit de :

Kasapreko, fabricants de produits alcoolisés qui ont expédié un conteneur de marchandises par voie aérienne vers l’Afrique du Sud et de Ghandour Cosmetics qui ont expédié des articles par voie maritime vers la Guinée.

Enfin et non des moindres, une troisième raison est que la Zone de libre-échange continentale africaine (ZLECAF) couvre un marché de 1,2 milliard de personnes et un produit intérieur brut (PIB) de 2,5 milliards de dollars dans les 55 États membres de l’Union Africaine.

Alors, en termes de nombre de pays participants, la ZLECAf est la plus grande zone de libre-échange du monde depuis la création de l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC).

Actuellement, les exportations intra-africaines représentent environ 17 % du total des exportations continentales. L’augmentation de cette part devrait permettre d’accroître la valeur ajoutée, de contribuer à la création d’emplois et d’augmenter les revenus.

En outre, d’ici 2050, le continent africain devrait atteindre 2,5 milliards (un quart de la population mondiale), auquel cas il représentera 26% de ce qui devrait être la population mondiale en âge de travailler, avec une économie qui devrait croître deux fois plus rapidement que celle du monde développé. Selon la Banque Mondiale (BM), la mise en œuvre de la ZLECAf permettra de sortir 100 millions d’Africains de la pauvreté, 70 millions de la pauvreté modérée et 30 millions de l’extrême pauvreté d’ici 2035.

 

À la lumière des arguments développés ci-dessus, il est alors clair que la ZLECAf est une opportunité unique, un véhicule à la fois inclusif et efficace desormais à la disposition du continent africain et de ses partenaires internationaux , pour enfin libérer le POTENTIEL de l’Afrique en tant que marché unique et destination finale , ce qui permettra d’ atteindre les objectifs de développement durable (ODD), l’Agenda 2063 DE L’Union Africaine et les deux principes de la Conférence de Tokyo sur le Développement ( TICAD 7) qui sont «l’appropriation africaine et le partenariat international». A ce sujet, le secrétaire général de l’ONU déclarait, je cite : « Le lancement de l’Accord de libre-échange continental africain est une étape particulièrement importante ».

Toutefois, la réalisation de l’intégration de l’Afrique à travers la ZLECAf nécessite:

– investir dans les infrastructures régionales (routes, ports maritimes, train ferroviaire) afin de relier les pays africains par voie terrestre, maritime et aérienne;

-investir dans les infrastructures de télécommunications pour améliorer l’interconnexion au moment où le continent adopte la numérisation. Cela réduira le coût des affaires, améliorera la compétitivité du continent et aidera les entreprises à commercer via le e- commerce.

– Investir dans/et améliorer l’éducation pour renforcer les capacités et donner des emplois notamment aux femmes et aux jeunes.

 

De plus, il est à signaler que les mécanismes ad hoc de règlement des différends commerciaux dans le cadre des accords commerciaux régionaux ne comportaient pas les éléments suivants: des procédures bien élaborées, la possibilité de faire appel des conclusions des groupes spéciaux de règlement des différends et le soutien au règlement des différends par un Secrétariat expérimenté et professionnel. La ZLECAf crée un mécanisme de règlement des différends qui ressemble étroitement au mécanisme de l’OMC (Organisation Mondiale du Commerce), y compris des groupes spéciaux, un processus d’appel, une procédure régissant la « suspension de concessions » (par exemple, des représailles commerciales) et un secrétariat de soutien.

La ZLECAf établit en outre un lien explicite entre le commerce et la paix, comme l’a fait la Charte de La Havane de 1948. Le premier des objectifs généraux énoncés à l’article 3 de l’accord de la ZLECAf, dit ceci :

« A) créer un marché unique des biens et services, facilité par la circulation des personnes afin d’approfondir l’intégration économique du continent africain et conformément à la vision panafricaine d’une Afrique intégrée, prospère et pacifique.

Par conséquent, la ZLECAf représente un moyen de renforcer l’état de droit, d’assurer la prévisibilité et la transparence des politiques et de promouvoir la coopération commerciale en Afrique et dans le monde. Il ne s’agit pas d’une simple déclaration politique mais plutôt d’un accord légal ratifié par les États africains pour créer un environnement qui favorise le développement économique, améliorer le niveau de vie pour tous, attirer les investissements directs étrangers et passer d’un état de fragilité ou de conflit à un état de stabilité, de paix et de bien-être économique.

 

Je voudrais conclure en étant très optimiste que la ZLECAf sera un contributeur essentiel à la reprise économique post-pandémique , à la croissance à plus long terme et à la valeur ajoutée au commerce, à la fois sur le continent et avec le reste du monde. Elle a également le potentiel de s’attaquer aux problèmes du chômage des jeunes et des femmes et des inégalités sur le continent. Ceci est essentiel pour promouvoir la paix, la stabilité et le développement du continent. Les avantages de la ZLECAf comprennent entre autres:

1)la création d’opportunités pour l’auto-avancement de tous les Africains;

2) la stimulation des investissements et la possibilité pour les pays africains de tirer un bien meilleur parti du système commercial multilatéral.

3) la zone de libre-échange de l’Afrique représente une étape décisive vers l’aspiration à l’intégration régionale à laquelle aspire depuis longtemps le continent.

4) Troisièmement, le début du libre-échange ravive l’espoir d’un redressement postpandémie de l’Afrique.

Il s’agit d’un projet qui n’interpelle pas seulement le continent africain mais aussi et surtout les partenaires institutionnels dont le rôle s’avère déterminant dans la construction d’une Afrique forte et résolument tournée vers l’atteinte des objectifs de développement durable.

Par Abdoulaye M KÉÏTA, Diplomate
Spécialiste en ‘Études Internationales Avancées’ dans le domaine des Relations Internationales.