En écrivant un livre sur la liberté de conscience/culte, en islam, je me suis accordé une petite pose, suivie aussitôt de cette pensée: et si on osait l’amour?

Le mot en arabe, hubb, me paraît être d’une douceur rare, que j’ai moins en disant « amour ». Qu’il me soit permis de le dire en arabe. Parce que c’est une partie de moi, de mon identité. Tiens, un mot en vogue dans cette France et ce monde qui se cherchent.

Chacun se cherchant s’invente une vie, une histoire qu’il se raconte – avec laquelle il est en paix. Une personne très chère à la mienne me dit souvent avoir oublié des pans de sa vie les plus douloureux. Elle me dit ne pas pouvoir m’en parler lorsque ma curiosité admirative et/ ou infantile cherche à percer la carapace de sa vie, car elle a tout bonnement oublié.

En réalité, plus une vie est riche, de succès et d’échecs, de peines et de joies, plus elle a des pans à gommer, à cacher. Ce n’est donc pas une tare, que d’oublier ce qui nous fait mal. C’est une technique de survie, dont sont capables les plus forts, dont je ne fais, hélas, pas parti. Nietzsche faisait déjà l’éloge de l’oubli en déclarant que sans lui nulle jouissance de l’instant présent n’existerait. Il a ainsi appelé l’oubli « un appareil d’amortissement », autant que je m’en souvienne.

Quel lien donc avec l’amour y a-t-il dans la quête d’identité, qu’elle soit collective ou individuelle? Je vois s’affronter deux tendances aujourd’hui, que l’histoire devrait pourtant avoir réunies, tant elle est complexe. D’un côté, je vois des gens se battre pour des causes indéfendables, comme la France des Bigeaux et autres Colbert. De l’autre, j’en entends qui se cherchent une identité exclusive, qui ne serait qu’africaine, européenne, asiatique, arabe, européenne où Dieu sait quoi. Je comprends qu’on veuille garder de notre histoire ce que nous aimons. C’est, disais-je, une sorte de bouée de sauvetage psychologique que l’on se construit. Cela dit, c’est une chose de chercher à ne garder que ce qui nous console. C’en est une autre que de s’inventer une vie. Or, le repli sur soi des uns et des autres repose sur un postulat dangereux posé par Sartre il y a quelques temps maintenant selon lequel: l’enfer, c’est les autres. À les entendre, le monde entier est mauvais, sauf les leurs. Et ce, qu’on raisonne à l’échelle d’une ville, d’un pays, d’un parti ou d’un continent. Ou que l’on raisonne à partir de considérations idéologiques, religieuses ou que sais-je encore.

Le plus paradoxal dans tout cela est que ce sentiment d’appartenance exclusive a l’air de se développer à l’ère de la mondialisation. Des sororités des plus bizarres naissent entre un milliardaire qatari qui passe sa vie à jet-seter et un bengali qui souque ferme au quotidien pour se nourrir, alors que le premier se contre-fiche de la vie du second. Mais, à part cela, d’aucuns te parlent d’une oumma, semblable à un corps, dont chaque individu est comme un membre – un propos prophétique à situer dans l’esprit et surtout le contexte de persécution dont il faisait l’objet, de la part des Mecquois, avec ses compagnons. Ils la fantasment au point d’oublier qu’aujourd’hui, le médecin de son fils, de sa fille, de sa mère, est chrétien, juif, athée ou agnostique. Le juif se cherchera un groupe auquel s’apparenter alors que celui qui lui vient au secours en cas de pépin s’appelle Mathieu, Mohamed, Carlos, ou je ne sais qui, athée, musulman, chrétien ou agnostique. Je m’efforce à ne voir que des gens de ma religion, de ma couleur, de ma ville ou de mon pays d’origine. Mais, chaque fois, je m’aperçois du contraire.

Je me suis dès lors dit que je me devais, parce que croyant musulman, revenir à mon texte, le Coran pour voir si ces considérations existent et si oui à quoi elles servent. Et là très rapidement, je m’aperçois que le Coran pose Dieu comme, non le Dieu des musulmans, seulement. Ni même des seuls croyants. Il est, selon le Coran, le Seigneur des univers. Il est le Seigneur des bons et des mauvais, parmi les hommes, des grandes et des petites parmi les plantes et les bêtes et des géants et des minuscules parmi les objets.

J’ai, alors, compris que l’homme ne devrait jamais être exclusif, parce que vicaire de Dieu sur terre. Parce qu’il est le lieu-tenant (ou tenant-lieu) du Seigneur de l’univers, il se doit d’avoir une poitrine capable d’embrasser tous les êtres, avec leurs qualités et leurs défauts.

J’ai surtout commencé à comprendre, je crois, l vrai sens de ce verset coranique « Nous sommes à Dieu et auprès de Lui nous retournerons ». De cette philosophie est sans doute né ce vers du poète égyptien Muhammad Mustwafa Hamam:
« Dans mon esprit se trouve une place pour tout invité,
Qu’il soit de bonne ou de lourde compagnie »

Quand je regarde mon adresse et la trouve dans un endroit ou dans un autre, je ne dois jamais me sentir étranger. Je me dois, surtout en tant que croyant, qui plus est musulman, de me dire avoir compris que parce de Dieu, je suis partout chez moi et œuvrer à rendre meilleur le lieu que j’habite. « La terre de Dieu » est vaste, dit le Coran. Pas celle des hommes. Je ne dois donc jamais être nationaliste car c’est être anti-divin. Osons l’amour! En islam, mourir d’amour est un jihad. Mourons pour avoir aimé et non pour avoir haï. Soyons riches de nos différences. Nul parmi nous n’est mono-originel. Nous sommes tous des paellas, qu’il suffit d’ouvrir les yeux du cœur et les sentiments des yeux pour voir et apercevoir.

Humainement vôtre.

Par Mohamed BAJRAFIL