En observant de plus près l’actualité sociopolitique de notre pays, j’ai comme l’impression que tout tourne en rond et de façon ininterrompue. C’est-à-dire en faisant un pas en avant aujourd’hui, et deux pas en arrière demain. Cette humiliante et regrettable situation s’explique par le simple fait que notre pays soit toujours à la « croisée des chemins » : au lendemain d’une crise, c’est bien une autre qui refait surface. Et, cela me fait penser sans nul doute à la malédiction de Sisyphe1 dans la mythologie grecque.
En effet, « un homme nommé Sisyphe qui avait désobéi aux dieux. Il avait été condamné par ces derniers à pousser un énorme rocher jusqu’au sommet d’une montagne. Mais dès qu’il atteignait son but, le rocher retombait à nouveau jusqu’au pied de la montagne et il était obligé de recommencer. Et cela pendant toute l’éternité. Pourquoi une telle punition avait-elle été infligée à cet homme ? C’est parce que Sisyphe aimait rouler les dieux dans la farine.

Ainsi, lorsque Hadès, le dieu de la mort vint le chercher une première fois, Sisyphe s’arrangea pour passer à Hadès les menottes qui lui étaient destinées et échapper ainsi à la mort. Lorsqu’il finit par mourir, il réussit à convaincre les dieux de le laisser revenir à la vie, tout juste pour trois jours. Mais lorsque les dieux accédèrent à sa requête, il revint auprès de sa femme et ne voulut plus repartir au royaume des morts. A la fin, les dieux se fâchèrent et lui imposèrent la fameuse condamnation à pousser éternellement un rocher au sommet d’une montagne2».

Au regard de la nature des nombreuses crises auxquelles nous faisons face tous les jours, je suis persuadé (en tout cas de mon point de vue) que nous subissons la même sentence que celle de Sisyphe.

Figurez-vous chers compatriotes, sous la première République, nous avions fourni beaucoup de sacrifices, et d’énorme effort pour pousser le rocher sans lâcher prise. Nos muscles étaient tendus à cause du poids énorme et considérable du rocher sur nos épaules. Certains de nos devanciers avaient même payés au prix de leur vie.

Au cours de ce périple et fastidieux moment, nous avions dénoncé avec vigueur la violation des droits et liberté des citoyens. Durant 26 ans de dur labeur, nous avions réussi à pousser le rocher très haut sur la montagne. Nous n’étions pas au sommet de la montagne mais nous nous en approchions3.
En 1984, le Comité Militaire de Redressement National (CMRN) a pris le pouvoir à la suite d’un coup d’Etat au lendemain de la mort du Président Ahmed Sékou Touré (paix à son âme). L’atmosphère qui régnait dans le pays était vive ; nous avions eu le sentiment que le pays allait retrouver un nouveau souffle, un nouveau vent et une nouvelle ère. Une ère de la démocratie et de la liberté. Mais hélas ! Quelques années plus tard, nous avions laissé le rocher dégringoler jusqu’au pied de la montagne.

Après avoir été élu deux fois de suite lors des deux dernières élections pluralistes : de 1993 et 1998 dont les résultats avaient été largement rejetés par l’opposition. Certains hauts cadres et proches du Président Lansana Conté (Paix à son âme), en complicité avec une partie du peuple avaient nourri bec et ongles les slogans comme : « ton pied mon pied » et le « koudéisme » dans le seul et l’unique but de promouvoir le référendum constitutionnel de 2001. Ce référendum largement remporté (98,4% des suffrages) par le Général Lansana Conté avait permis au Président et à ses proches de supprimer non seulement la limitation du nombre des mandats (Art. 24 de la constitution du 23 décembre 1990), mais aussi la limite d’âge des candidats. Tans pis pour les conséquences !

Ce petit clan s’était in fine constitué en petite oligarchie au près du Président ; certains parmi eux se sont livrés aux pratiques comme : la corruption, le détournement des deniers publics, le pillage de nos ressources naturelles du sol et du sous-sol, le népotisme, le clientélisme, l’affairisme etc. Bref, le libéralisme économique d’alors avait été transformé en libéralisme sauvage : « laissez-allez, laissez-faire ».

En janvier-février 2007, nous avions encore repris notre rocher et avions entrepris de le pousser à nouveau vers le sommet4 de ce que nous avons appelé : le départ des militaires au pouvoir. Nous [étions] là, l’épaule bien calée sous le rocher, nos muscles tendus, la sueur dégoulinant de notre front5.
Un an plus tard, plus précisément le 24 décembre 2008, le capitaine de la junte militaire Moussa Dadis Camara, alors président du Conseil National pour la Démocratie et le Développement (CNDD) a pris le pouvoir « dans la rue », disent-ils, au lendemain de la mort du Général Lansana Conté.
Pour pousser le rocher plus haut, la classe politique, les syndicalistes et les organisations de la société civile avaient créé un organe appelé « les force vives de la Nation ». Naturellement, les adversaires d’hier étaient devenus des partenaires stratégiques dont l’objectif principal était de mettre un terme au pouvoir militaire. Mais à quel prix ? C’est bien la journée sombre du 28 septembre 2009 au stade du même nom qui avait coûtée la vie à des centaines de nos compatriotes, sans compter les nombreuses femmes violées. Un autre évènement sur d’autres qui resteront à jamais gravés dans les annales de notre histoire !

Au terme d’une longue transition dirigée successivement par Capitaine Moussa Dadis Camara, et le Général Sékouba Konaté, « un premier Président civil avait été démocratiquement élu en 2010 », comme disent certains.

En effet, avec lui, nous étions à quelques mètres du sommet de la montagne. Nous étions à un niveau de la montagne appelé : « la Guinée is back » ; c’est-à-dire, la Guinée est de retour. Allons-nous cependant laisser le rocher se dégringoler à nouveau ? A l’évidence nous sommes en train de préparer tous les arguments pour laisser le rocher chuter6.

Aujourd’hui, toutes les voies sont en train d’être explorées pour tordre le coup à notre système démocratique. Ces violations visent les dispositions des articles 27 et 154 de la constitution du 0è mai 2010.

Aujourd’hui, certains hauts cadres (ministres et conseillers à la présidence), les militants et sympathisants du parti au pouvoir (RPG-arc-en-ciel), y compris d’autres complices non identifiés ont créé des entreprises de propagande pour la promotion d’un référendum constitutionnel. Est-ce l’histoire va-t-elle se répéter ?

Sachant que le principal concerné de cette histoire n’a pour le moment dit aucun mot, mais son silence de cimetière nous a arraché dix de nos compatriotes. En attendant qu’il ne se prononce ou qu’il nous définisse sa position face à cette épineuse question de troisième mandat, il sied pour le moment de rappeler que le rocher est sur le point de dégringoler à nouveau. Cette fois-ci, il tombera dans la plaine, et il nous faudra des années pour qu’il en arrive au sommet de la montagne ; il en sera toujours ainsi, tant que nous aurons des hommes et des femmes politiques pour qui les principes et la morale n’existeront pas, et dont le principal moteur sera l’intérêt personnel7.

1 Venance Konan dans son éditorial intitulé : « la malédiction de Sisyphe » dans fratma.info, lundi 24 décembre 2018.
2 Ibidem ; 3 Ibidem ; 4 Ibidem ; 5 Ibidem ; 6 Ibidem ; 7 Ibidem.

Aly Souleymane Camara, Auditeur en Master science politique à l’Université Général Lansana conté de Sonfonia.
Email : alysouleymanecamara66@gmail.com