Hommes armés, chien abattu, biens emportés, … ça, vous le saviez. La vraie histoire commence bien avant. Bonne lecture !
Télékoro, 18 septembre 2019. Le jour a eu le temps de s’enfuir. La nuit est arrivée fulgurante, aidée du gabarit des arbres qui ceinturent le village et épaississent le noir des nuits. A 23 heures, la petite cité de Dieu, cette cuisinière à Pasteurs s’est depuis peu glissée dans les bras de Morphée. Dans les habitacles, chaque famille a forcément dit une doléance avant de s’endormir à poings fermés. Mais nous allons trop vite !
1945. La Christian and Missionary Alliance ouvre un centre à Kissidougou, en retrait, à sept (7) Kilomètres du centre-ville. C’est une école où l’on enseigne la Bible à des hommes et femmes qui l’enseigneront ensuite à d’autres. Soixante-quinze (75) ans plus tard, l’Institut Biblique de Télékoro [à distinguer du camp humanitaire] continue de tenir son pari. Là-bas, on ne commerce pas. Là-bas, la vie se dispense des fragrances et mondanités de la ville. Là-bas, l’ethos très ascétique circonscrit l’existence à trois rites : Dieu, le travail du champ et l’école des blancs.
C’est là que j’ai passé mon premier quart de siècle [J’espère qu’y en aura d’autres]. C’est là aussi qu’à l’entrée de la cité, dans une modeste demeure de trois petites chambres, vivent Esaïe et Christine, un couple pastoral dont les années de service avoisinent de très près quatre (4) décennies aujourd’hui. C’est eux qui ont mijoté ma naissance. Ceci ayant été dit, nous pouvons à présent revenir à nos moutons.
Une heure plus tard, il est minuit. De son lit, papa vient de sursauter avec frénésie. Il est tiré de sommeil par un rêve inhabituel. Je vous raconte. Victorine notre regrettée tante, les mains levées vers le ciel et tout en larmes alerte avec véhémence : « Zacharie ! » « Zacharie ! » « Zacharie ! ». S’approchant en hâte pour voir ce qu’il en est, papa me découvre alors impuissant, pris au piège d’un puissant torrent qui m’encercle et pivote rageusement autour de moi. Pour lui, ce rêve préfigure la fin, ma fin, et cette douloureuse idée l’arrache à son sommeil. Précautionneusement, il sort de sa chambre sans priver maman de son léger assoupissement et rejoint, désemparé, la pièce qui lui sert à administrer la cité cléricale. Il se met aussitôt à genou. il prie, supplie, implore, pleure. Jusqu’à l’aube sans se relever. Il demande à Dieu de m’épargner l’amère coupe d’une mort prématurée.
Très peu d’instants après le réveil de papa, c’est à maman le tour ! Elle vient de sursauter à la manière d’une femme effarée. Que s’est-il donc passé ? Voici l’histoire. Dans un petit ruisseau, elle découvre cinq (5) bouteilles entrainées par le courant. Brusquement, deux (2) d’entre elles disparaissent alors que les trois (3) autres s’affaissent à mesure que l’eau tarit. Alors qu’elle passe la scène, à un pas du ruisseau, elle découvre gisant au sol et inanimé, un grand serpent noir. Aux côtés du reptile, un bébé de quelques mois dans son berceau : c’était moi aux premiers mois de mon existence. Maman ainsi tirée de sommeil, s’empresse de se mettre à genou au pied de son lit pour implorer Dieu. Jusqu’à l’aube. Un véritable combat pour tordre le cou au “destin”.
Cependant trois jours avant, l’appel du Pasteur Docteur Samuel KAMANO, fondateur des écoles Emmaüs me laisse perplexe. Vous allez savoir pourquoi. Au téléphone, il hésite, tâtonne, balbutie, avant de me faire part d’une situation dont il sait qu’elle ne me regarde qu’en très peu d’aspects. Quand il raccroche, je reste confus. Je me demande alors pourquoi me parle-t-il de ce qui ne me concerne pas, jusqu’au soir du 19 septembre, quand la nouvelle du braquage de ma maison lui parvient. Vous l’avez deviné, il avait aussi rêvé et c’était si explicite qu’il hésita à m’en faire part. Il avait clairement vu que des hommes viendraient me prendre la vie. Ainsi peu avant papa et maman, le préféré de mes esclaves [un Kamano] s’était déjà répandu en supplications pour moi.
Cette nuit du 18 au 19 septembre, tous eurent des moments de sacrée agitation. Anne ma sœur aux études à Dakar ; Marie mon adorée belle-sœur sous contrat d’expatriation en RDC ; Saraï ma mère de grand’sœur et, enfin Esther qui a tremblé et prié toute la nuit sans pouvoir fermer l’œil d’une seule minute. Dieu a prouvé qu’Il parle encore.
Deux (2) heures du matin, nous sommes le 19 septembre. Alors que papa, maman et Esther sont en train de prier, Black mon ami commence à aboyer. Il aboie, aboie, aboie encore et ça, c’est le signe que nous sommes en mauvaise compagnie. J’entreprends alors, curieux insouciant et comme à mon habitude, d’y aller prendre des nouvelles. Avant d’ouvrir, mon frère Gédéon m’apprend que dehors se tiennent dans la pénombre deux quidams. Après un sommaire conclave, nous nous résolvons à traiter la situation comme de grands garçons, mon frère procédant par derrière et moi par devant, à mains nues. Mais comme vous allez le voir, l’audace se nourrit parfois d’ignorance et d’insouciance.
Notre plan à deux n’intègre pas encore que nos visiteurs puissent être armés. Je m’exécute donc. En ouvrant la porte, Black double d’ardeur et lève le ton. Son beau pelage noir de chien métissé se hérisse. Il est d’attaque et se tient sur ses gardes, juste derrière, il grogne. J’avance alors en direction de ses aboiements. Insouciant. Rassuré du soutien de mon ami Black et de celui de mon frère. J’avance donc d’un pied ferme, torse nu, muni d’imprudence et de quiète angoisse, alors qu’au même moment, en différents endroits, papa, maman et Esther mènent leur concert de prière !
Au bout de quelques secondes, une voix émerge du noir de la pénombre. Elle hèle. La première silhouette qui apparait semble clairement me défendre d’avancer. Pourtant je n’y prends point garde et je continue d’avancer. Alors que le second visiteur sort son buste de l’ombre, je réalise que le premier a les mains tendues vers moi, sans que je ne puisse dire ce qu’il parait tenir entre les mains.
Aussitôt, tel un guépard, Black me devance et bondit énergiquement et pom ! Un feu ardent fait bruyamment irruption et se loge dans la poitrine de mon fidèle compagnon. Le vacarme est celui d’une arme de manufacture artisanale. Black s’en prend donc fatalement les plombs et s’effondre, là, à deux pas de moi, en émettant un dernier cri et quelques faibles soupirs qui me lacèrent encore aujourd’hui.
Je n’ai pas eu le temps de le voir passer l’arme à gauche, puisqu’aussitôt d’un agile bond d’athlète, je me surprends à refermer la porte que j’ouvrais il y a peu. Par quel geste leste ai-je pu m’en tirer ? Comment ai-je pu échapper, non pas seulement à l’abatteur de Black, mais aussi à son acolyte qui, lui tenait une kalachnikov chargée ? La réponse à cette question est un mystère ! Je sais seulement que dans ma cachette, placardé au plancher tantôt de la douche, tantôt de la cuisine, j’entendais Black lutter contre la mort, je sentais la vie répudier cet ami que nous aimions et qui allait bientôt payer de sa vie. Quand il fit entendre son silence, je me souviens m’être exclamé d’effroi : « ils ont tué mon ami, Black est mort ! »
Aussitôt, le réflexe de quelqu’un qui connait quelqu’un s’empare de moi. Dans mes contacts, je fais tôt de tomber sur le GSM du Contrôleur Général de la Police. Petit air de soulagement. Je file droit sous le lavabo de ma cuisine et quelques touches discrètes, le tour est joué. Au bout du fil, une voix rocailleuse et enrouée. A l’évidence, je viens de tirer l’officier d’un repos mérité. L’instant de quelques secondes, le Général est au fait de la situation, mais sa réponse finit d’enterrer mes espoirs. Alors que des tirs font la rumba sur mon toit, il me demande de noter [mémoriser] un numéro de téléphone que je dois ensuite contacter pour demander de l’aide. Ce que je fais, mais peine perdue, celui-ci est éteint ! C’est alors que je me souviens des paroles de l’Écriture : « Ce n’est pas une grande armée qui sauve le roi… Le cheval est impuissant pour assurer le salut et toute sa vigueur ne donne pas la délivrance… ».
Espoir déchu, réalisme obligeant, je me glisse alors brusquement à la douche. Là-bas je prononce ce qui restera une des plus brèves prières de ma vie : « Seigneur Jésus, épargne nos vies. Mais si c’est la fin, reçois-moi dans ton royaume et prends soin de tous les miens ! » Après quoi et m’assurant par intermittence que tous allaient bien, je reviens m’affaisser dans ma pièce de travail pour attendre et espérer que Dieu daigne murmurer au “destin” en ma faveur.
Dans la cour, ça a tiré. Ça a fait la java. Ça s’est fait la malle avec nos biens et c’est seulement alors que le rêve de maman prit son sens parfait. Le grand serpent noir mort à côté de l’enfant Zacharie ne préfigure-t-il pas à la perfection le grand Black noir abattu à mes pieds ? Des cinq (5) bouteilles flottantes, raconte maman, seulement deux (2) sont emportées. Pareillement, suite au braquage, mes visiteurs sortiront cinq (5) motos de la cour, mais n’en emporteront que deux… Simples coïncidences ?
Au reste, j’ai écrit ces lignes pour faire encore mieux qu’être simplement reconnaissant. En présence de plusieurs, papa m’enjoignait formellement: “Zacharie, raconte cette histoire. Raconte le salut de Dieu”. Eh bien maintenant papa, on peut dire que c’est fait!