Les tensions politiques exacerbées depuis la fin du siècle dernier pose la question de la conquête, de l’exercice et de la transmission du pouvoir politique en Afrique.
Décidément, le berceau de l’humanité a du mal à s’accommoder aux réalités du régime politique en vogue dans la quasi-totalité des Etas du monde actuel.

La démocratie, par cela qu’elle consacre le droit des citoyens à participer à la gouvernance publique par leur liberté de ton notamment en ayant la latitude de porter un regard critique sur l’action des personnes ayant mandat du peuple pour diriger les affaires publiques, est de nos jours, le régime politique le plus plébiscité.

Même si tous les spécialistes ne sont pas d’accord pour chanter ses louanges eu égard à quelques incongruités le caractérisant, il faut néanmoins noter qu’elle bénéficie de nos jours de l’adhésion quasi-totale des décideurs publics des Etats les plus émancipés à cause des libertés fondamentales qu’elle accorde aux citoyens.

Les dérives autoritaires des pouvoirs publics conjuguées aux conditions peu orthodoxes d’accession au pouvoir en Afriques (Putschs et Coup-d’ Etat militaire ou encore élections frauduleuses), montrent clairement combien le continent est réfractaire à cette « nouveauté importée d’ailleurs ».

Comment la démocratie est-elle à juste titre perçue en Afrique ? Est-elle, si l’on en juge par une frange importante de l’opinion publique un régime politique idéal contre les écarts des autorités ? Ou, à contrario (et tel que perçue par certains dépositaires de pouvoirs), n’est-elle que la résultante d’une inhibition d’un « occident interventionniste » dans les affaires publiques du continent ?

Dans ce présent article, nous nous proposons dans un premier temps de cerner l’analyse contextuelle de l’avènement de la démocratie (tel qu’elle est perçue de nos jours) en Afrique (i) et, dans un second temps, faire le point sur l’état de l’exercice démocratique du pouvoir dans les cinq régions dont elle est composée (ii) avant enfin, de porter un regard croisé sur les appétits révisionnistes du continent (iii)

Analyse contextuelle de l’avènement de la démocratie en Afrique

L’Afrique aura sans nul doute été un champ d’expérimentation de toutes sortes de systèmes de gouvernance ou, pour parler mieux, de régimes politiques. La gérontocratie et la monarchie avant l’ère coloniale, l’autoritarisme pendant la colonisation, le despotisme lors des premiers cris des indépendances, le totalitarisme, à l’amorce de la seconde phase des indépendances, elle n’expérimente pour l’essentiel la démocratie (telle qu’elle est perçu aujourd’hui au sens de la définition d’Abraham Lincoln) qu’à l’orée des années « 90 ».

Les spécialistes campent le plus souvent l’analyse à la conférence de la Baule. Le 20 juin 1990 se rappelle-t-on, la France accueille à La Baule le 16e sommet des chefs d’État de France et d’Afrique. À cette occasion, le président Mitterrand confirme l’engagement de la France dans l’aide au développement des pays africains, mais lie cette aide à une transition démographique et surtout un encrage démocratique dans la gouvernance du continent.

Si la France continue d’apporter son aide, notamment financière, sa présence est néanmoins peu à peu diluée à mesure que croît le rôle des institutions internationales telles que la Banque mondiale et le Fonds monétaire international.

Ces instituions, il est important de le rappeler, conditionnent leur soutien financier par un package de mesures parmi lesquels le respect des libertés et droits fondamentaux des citoyens, de l’Etat de droit, la transparence dans la gestion des affaires publique et l’exercice démocratique du pouvoir.

L’état de l’exercice démocratique du pouvoir dans les cinq régions du continent

Dans le classement 2019 des pays africains les plus démocratiques selon l’EIU, seuls huit Etats sur la cinquantaine que compte le continent se distinguent par leurs efforts à la satisfaction des exigences démocratiques. Ils sont pour l’essentiel répertoriés en Afrique australe et comprennent l’île Maurice qui arrive en tête de classement suivie du Botswana, la Namibie, le Lesotho et l’Afrique du sud.
L’Afrique occidentale compte deux Etats et ce sont le Ghana et le Cap-Vert cependant que l’Afrique du nord n’enregistre que la Tunisie. L’Afrique centrale rafle quant à elle la mise des Etats les plus réfractaires à la démocratie.

Des Etats comme la Guinée, le Tchad, l’Egypte, l’Erythrée, l’Angola ou encore le Mozambique se disputent la place de mauvais élèves alors que le Sénégal, l’Algérie, le Nigeria, le Kenya et le Madagascar entre autres se partagent le second rang juste derrière « les modèles ».

Dans les faits, nous distinguons trois groupes d’Etats selon leur encrage démocratique. Un premier groupe, constitué d’une poignée d’Etats est qualifié de « démocraties imparfaites « (A). Le deuxième navigue dans les régimes hybrides (B) alors qu’un troisième groupe stagne carrément à la place de régimes autoritaires (C)

Les démocraties imparfaites :

Notons de prime abord que seule l’Ile Maurice est qualifiée de pleine démocratie dans le sillage de ce classement. Les suivants directs et dont nous avons cité ex ante étant, pour ce qui les concerne, logés dans la catégorie de « démocratie imparfaite » avec de rangs au classement mondial plus ou moins honorables. La Namibie qui occupe la dernière place de ce chapeau de tête arrive en effet « 65ème » au rang mondial alors qu’un pays comme le Botswana se classe « 29ème ».

Quant au qualificatif « démocratie imparfaite », il doit être compris au sens de pays consentant à d’énormes sacrifices malgré quelques incongruités ici et là notées dans l’exercice démocratique du pouvoir. Ils ne sont pas de pleines démocraties à l’image de l’Ile Maurice, seul Etat africain dans cette catégorie et qui par ailleurs arrive « 18ème » au classement mondial. Ils ne sont pas non plus de régimes multiformes au sens des régimes hybrides.

Les régimes hybrides :

Les régimes hybrides sont ceux qui occupent une position médiane, à cheval entre les démocraties imparfaites et les régimes autoritaires. Par hybrides, un système de gouvernance multiforme s’entend. Ce sont en effet de régimes qui naviguent entre les dictatures dont ils sont à quelques efforts près de s’affranchir et les démocraties dites imparfaites dont ils n’ont pas encore atteints le niveau.
Le Sénégal arrive premier dans ce classement et se positionne au « 82ème » rang mondial suivi de près par le Madagascar « 85ème » alors que l’Algérie qui ferme ce tableau arrive « 113ème » juste devant la Mauritanie qui ouvre la marche des régimes autoritaires.

Les régimes autoritaires :

Plus nombreux, on les retrouve sur toutes les régions et représentent plus de la moitié des Etats du continent. Ils partagent d’emblée les mêmes traits caractéristiques : coup-d’ Etat militaire, élections frauduleuses, restrictions des libertés fondamentales ou encore répression de manifestations politiques, ils cochent pour ainsi dire toutes les cages de dérives autoritaires. Ils nourrissent également les mêmes sentiments révisionnistes et comme on le verra un peu plus loin, ils ne manquent pas de manouvres combinatoires pour arriver à leur fin, celle de trifouiller dans les boyaux de la Constitution au grand dam des principes fondamentaux de la démocratie.

Regard croisé sur les appétits révisionnistes du continent :

Nous aborderons ce point à travers une analyse comparative entre d’une part ceux qui pensent que la démocratie constitue un rempart contre les dérives autoritaires (A) et, d’autre part, ceux qui la juge trop regardant dans les affaires publiques des Etats et donc interventionniste (B) sans perdre de vue les appétits révisionnistes du continent (C).

La démocratie comme rempart aux dérives autoritaires ?

Étant donnée la multiplicité des critères invoqués par les régimes pour revendiquer leur appartenance à la démocratie, nous mettrons ici le curseur sur quelques critères de définition de celle-ci. Ce sont entre autres :
la manière dont est recruté l’exécutif (élection, nomination, pouvoir héréditaire, libre arbitre des électeurs…) ;
les moyens de contrôle sur l’action de l’exécutif (autres pouvoirs : législatif et judiciaire…) ;
la manière dont est traitée la concurrence politique (opposition des partis politiques, contre-pouvoirs comme la presse ou l’opinion publique…).

Une fois que cette notion est cernée, notre postulat de base consiste à démonter à partir de la compréhension axiologique de la démocratie, en quoi elle peut être un rempart contre les dérives autoritaires. La réponse somme toute concluante trouve une éloquente explication dans le phénomène de séparation des pouvoir largement consacré par la démocratie et intelligemment repris par Montesquieu au sens « du pouvoir qui arrête le pourvoir ».

Par ailleurs, les points de vue divergent sur ce point précis. D’une part ceux qui soutiennent avec véhémence la thèse d’un atténuement à défaut d’un arrêt des dérives autoritaires par le truchement de la démocratie et, de l’autre, ceux qui soutiennent avec encore plus de fougue qu’elle ne serait que l’ombre d’un occident interventionniste.

La démocratie, l’ombre d’un occident interventionniste ?

Les défenseurs de ce courant sont pour l’essentiel les dépositaires des pouvoirs publics et de personnes qui virevoltent autour des cercles de décision. Défendant une approche de la démocratie qui épouserait les réalités africaines, ils développent dans l’espace public un discours populiste aux contours flous. Ils soutiennent pour ainsi dire la thèse de « l’Africanisation de la démocratie » sans pour autant cerner clairement le substrat d’un tel idéal.

Regard sur les appétits révisionnistes du continent :

Ils sont répertoriés sur toutes les régions du continent et ont en commun la même recette révisionniste : suppression de l’âge limite et du nombre de mandats. Ces deux verrous, essentiels au fonctionnement démocratique des pays, se font sauté par la même démarche biaisée : referendum somme toute frauduleux et entaché d’irrégularités.

Le renforcement des pouvoirs du président Azali Assoumani lors d’un référendum dit constitutionnel en 2018 aux Comores, la révision de la Constitution permettant à Paul Kagamé de se présenter pour un nouveau mandat en 2017 et de potentiellement diriger le pays jusqu’en 2034, l’adoption d’une nouvelle Constitution lors d’un referendum controversé en 2015 ayant permis à Denis Sassou-Nguessou de briguer un troisième mandat, Le projet de nouvelle Constitution du Président Alpha Condé, annoncé le 19 décembre 2019, la suppression en 2010 au Djibouti du nombre de mandats par un Parlement entièrement acquis à la cause d’Ismaël Omar Guelleh, l’adoption en 2008 d’une révision constitutionnelle supprimant la limitation du nombre de mandats présidentiels au Cameroun permettant à Paul Biya, au pouvoir depuis 1982 d’être réélu pour un septième mandat en octobre 2018, l’adoption d’une révision constitutionnelle en 2005 lors d’un référendum controversé ayant débouché à la suppression de la limitation du nombre de mandats présidentiels au Tchad et, permettant de ce fait à Idriss Deby de rempiler en 2006, 2011 et 2016, sont parmi une kyrielle d’explications de cet ordre autant d’exemples de l’essoufflement en Afrique d’une démocratie déjà aux abois.

Dans l’obscur espace conceptuel de l’exercice démocratique du pouvoir en Afrique, existe toutefois une lueur d’espoir. Des Etats comme le Benin, le Ghana ou encore l’Ile Maurice se distinguent en effet par leur effort d’encrage démocratique. Des élections libres, transparentes, régulières et périodiques sont organisées sans violence électorale. Cependant, la lutte contre la corruption et la mal gouvernance demeure un défi de taille.

La question qu’il faille se poser aujourd’hui, est celle de savoir quel sors sera réserver à l’exercice démocratique du pouvoir pour la décennie qui s’annonce ?

Par Alpha Oumar DIALLO, Analyste politique, poète et Ecrivain. Auteur du roman « La Grand-mère solitaire ».